Éditorial
(16 février 2012)
Les malades, des coupables ?
Des
voix se sont élevées, ces derniers jours, venant de médecins comme le
cardiologue Brugada, de responsables politiques, de services d’études comme
Itinera, pour proposer qu’on sanctionne dans le système des soins de santé
les personnes aux comportements qui pourraient aggraver les risques pour
leur santé. Derrière cette idée, il y a évidemment aussi la volonté de
trouver des pistes d’économies dans les soins de santé.
Faire de la politique aujourd’hui, c’est parfois faire feu
de tout bois et sortir de vraies fausses bonnes idées pour faire des
économies. Il nous parait essentiel de revenir sur l’une de ces fausses
bonnes idées qui nécessite de prendre le temps pour ne pas tomber dans les
clichés faciles “que le fautif assume et paie tout seul les conséquences
de son comportement irresponsable!”.
Très inégaux devant la maladie
Il est toujours important de rappeler que 5% de la
population sont à l’origine de 60% des dépenses de soins de santé. Les
dépenses sont donc terriblement concentrées et à des périodes données de la
vie (la naissance en est un exemple). Il est tout aussi essentiel de
rappeler que n’importe lequel d’entre nous peut, demain, faire partie de ces
5% à cause d’un accident, d’une maladie, d’une catastrophe… Si tout le monde
est concerné par ces risques, il est vrai que la maladie ne touche pas de la
même manière les êtres humains. Le niveau d’enseignement, de revenus, la
qualité du logement ou de l’insertion sociale (qui passe autant par le
travail que par les loisirs) influent grandement. Nous ne sommes pas égaux
face aux facteurs déterminants de la santé.
De la même manière, nous ne sommes pas égaux face aux
politiques de prévention. Il est remarquable de constater que, pour les
soins dentaires préventifs pour les enfants et jeunes âgés de moins de 18
ans, le recours aux soins passe du simple au double selon le niveau de
scolarité des parents. Pourtant ces soins sont gratuits, dans notre pays,
pour les moins de 18 ans (chez un dentiste conventionné…). Ce n’est donc pas
seulement le niveau de revenu qui influence les pratiques. L’information, le
sentiment d’y avoir droit ou celui d’y avoir accès, la culture familiale du
rapport à soi et à son bien-être jouent un rôle non négligeable.
Une femme de 25 ans, universitaire, pense qu’elle a encore
50 ans de vie en bonne santé devant elle. Une femme sans diplôme pense qu’il
ne lui reste que 25 années de vie en bonne santé. En réalité, elles ont une
différence de 5 ans entre elles, et ce n’est déjà pas rien! Plus
fondamentalement, la projection de soi-même et des autres dans une histoire,
dans un avenir que nous souhaitons meilleur ou de qualité, nous rend plus ou
moins actif de notre propre prévention en matière de santé.
Le diktat de la bonne gouvernance de soi
Nous nous sommes émancipés de la culpabilité face à Dieu
qui guidait nos comportements y compris dans le rapport à notre corps, notre
hygiène quotidienne voire notre hygiène de vie (ex: se laver les mains avant
de manger, se reposer un jour par semaine, …). Mais nous sommes passés à la
responsabilisation individuelle nous contraignant à assumer les conséquences
de nos actes, seuls face à des principes de bons comportements, de bonne
gouvernance de nous-mêmes. Et même la psychologie, les sciences ou approches
médicales dites parallèles nous y ramènent : “si vous avez mal au dos,
c’est que vous prenez trop sur vous”. Etre à l’écoute de son corps pour
qu’il nous livre les limites de ce que nous devons accepter, manger, boire,
fumer, travailler, supporter comme stress… Voilà un nouveau credo! Et si
nous écoutons notre corps, si nous nous comportons comme il faut… alors nous
aurons une attitude responsable et méritante d’une bonne santé. Même les
firmes commerciales utilisent ce vocabulaire publicitaire. Elles nous
parlent de cette manière quand elles nous vendent des produits qui vont
diminuer les risques de cholestérol ou de surpoids. Dès lors, et à
l’inverse, serions-nous coupables d’accepter trop de travail, de stress, de
prendre sur nous ou de passer du temps à l’écoute des autres? Si de tels
comportement nous amènent à souffrir voire à être malades, devrions-nous en
payer les conséquences? Ces attitudes sont pourtant conditionnées pour
partie par la société même qui nous condamnerait…
Facile de rester en bonne santé?
Est-il si simple de rester en bonne santé? En faisant du
sport, bien-sûr, mais pas trop! Trop de sport, c’est la course vers les
fractures, les blessures et donc les dépenses. En mangeant sainement et
modérément, mais pas trop peu non plus! Et si possible en prenant le temps
pour bien digérer, bien mastiquer, sinon ce sont la maladie de l’estomac et
les problèmes de digestion qui arrivent au grand galop. En buvant juste ce
qui est conseillé par les sociétés scientifiques d’œnologie et les
cardiologues. Et surtout vivre sans connaître le stress, ce mal qui gagne
les actifs dans le travail et qui envahit les non actifs coupables d’être
des poids pour notre société en crise.
Bref, quand on pousse un peu la caricature, on se rend
compte très vite qu’il ne suffit pas de dire que demain la chirurgie
cardiaque doit être moins remboursée pour les fumeurs ou pour ceux qui ont
trop de cholestérol. Mais il s’agit de développer des politiques de
prévention, de sensibilisation et des actions de terrain qui permettent
d’agir au mieux sur sa santé et celle de son entourage. Etre acteur de sa
vie est sans doute en soi un facteur déterminant de la santé. Croire que
nous sommes libres et qu’il suffit de le vouloir, c’est l’illusion d’une
société où les individus ne peuvent plus se voir que comme leur propre
finalité.
Responsabiliser sans culpabiliser, agir sans discriminer,
sensibiliser sans contraindre, permettre d’être acteur de sa santé, ce ne
sont pas des slogans simplistes qui le réalisent, c’est un véritable
investissement dans la prévention. Et cela nécessite aussi de dégager des
vrais moyens surtout en période de crises socio- économiques.
Alda Greoli//Secrétaire nationale
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