Éditorial
(2 février 2012)
Quelle protection sociale demain
dans la Fédération Wallonie-Bruxelles ?
L’accord
gouvernemental sur les réformes institutionnelles prévoit le transfert de
compétences importantes dans les domaines de la santé, des allocations
familiales et de l’emploi. Ces matières relèvent de la sécurité sociale. Ces
transferts toucheront le quotidien de milliers de personnes et de centaine
d’institutions. Selon quels principes les Communautés et Régions
s’organiseront-elles ? Quel choix marquera ce moment historique ?
La sécurité sociale est une des grandes réalisations et
avancées sociales modernes. Depuis la Seconde guerre mondiale, elle s’est
étendue progressivement à toutes les catégories de la population, couvrant
les risques liés aux maladies ou à la perte de revenus du travail ou
compensant les charges familiales: assurance soins de santé, allocations de
chômage, indemnités d’incapacité de travail, pensions, indemnités en cas de
maladies professionnelles ou d’accidents du travail, allocations familiales…
L’ensemble de ces prestations représentaient, en 2011, plus de 80 milliards
d’euros. Notre système de sécurité sociale a permis de réduire l’impact sur
le pouvoir d’achat des situations de crise économique et de chômage, et
d’éviter à nombre de personnes fragilisées de tomber sous le seuil de
pauvreté. Cette efficacité est atteinte parce que notre système de sécurité
sociale est construit sur des principes fondateurs essentiels: la
solidarité, la concertation sociale, la cogestion, la démocratie
participative.
Les principes fondateurs de la sécu
Au sortir de la Seconde guerre mondiale, les responsables
politiques et les partenaires sociaux ont jeté ces fondations de notre
système de sécurité sociale. Ils ont décidé de le financer sur la base de
cotisations sociales proportionnelles aux salaires, à charge en partie des
travailleurs, en partie des employeurs. Parallèlement, l’Etat a organisé un
système de couverture pour les personnes qui ne peuvent ouvrir le droit à la
sécurité sociale par leur travail. Ainsi la solidarité entre les hauts et
les bas revenus, entre les jeunes et les personnes âgées, entre les gens en
bonne santé et les malades s’est concrétisée. C’est un premier fondement. Le
second principe fondateur est celui de la concertation sociale. Les
syndicats, les organisations patronales, les mutualités et les représentants
du gouvernement sont réunis au sein d’organes de gestion paritaire. Ils
assurent la gestion globale, la transparence des décisions et sont
responsabilisés financièrement. Le troisième principe fondateur est celui de
la cogestion. En effet, l’exécution du système a été confiée aux employeurs
pour les allocations familiales, aux syndicats pour les allocations de
chômage et aux mutualités pour les soins de santé et indemnités. Ces
administrations efficaces assument le bon déroulement du système– et ce,
même lorsque le gouvernement est en affaires courantes! Elles sont
strictement contrôlées et leur organisation se base sur une démocratie
participative.
Les compétences transférées concernent des
milliers de personnes
Les matières transférées aux Communautés et Régions
concernent les secteurs de l’emploi (4,3 milliards d’euros), les allocations
familiales (5,9 milliards d’euros), les soins de santé (3,7 milliards
d’euros) et l’aide aux personnes âgées (500 millions d’euros). Ce n’est donc
qu’une petite partie (+/- 15%) de la sécurité sociale qui est transférée
mais elle touche de nombreuses personnes. Pour Bruxelles et la Wallonie,
plus de 800.000 enfants bénéficient d’allocations familiales, 335.000
travailleurs sont concernés par les diverses mesures pour l’emploi, 65.000
personnes âgées sont soignées dans des maisons de repos et des maisons de
repos et de soins, près de 45.000 personnes âgées bénéficient d’une aide
financière en fonction de leur degré de dépendance et de leurs revenus. Les
matières transférées de la sécurité sociale concernent donc bien le
quotidien de milliers de personnes et de centaines d’institutions.
Aujourd’hui, ces matières sont gérées et assumées sur la base des principes
fondateurs de la sécurité sociale, qu’en sera-t-il demain ?
Communautés et Régions devant un choix historique
!
Les matières qui vont être transférées sont connues, les
budgets ont été identifiés mais comment seront-elles gérées par les
Communautés et Régions ? La réponse n’est pas évidente et est déterminante
pour l’avenir. Elle demande un vrai débat politique.
Les mêmes principes fondateurs guideront-ils encore la
gestion future ? Quel sera le rôle des partenaires sociaux ?
Seront-ils consultés pour la forme ? Co-gestionnaires ? Opérateurs comme
aujourd’hui? Ou optera-t-on pour un modèle étatique ? Si tel est le cas,
comment assurer la continuité et la cohérence avec le système de sécurité
sociale fédéral ? Comment assurer la transparence des décisions? Où va-t-on
trouver l’expertise ? Va-t-on répartir les compétences d’une manière
morcelée vers des administrations éparses et nouvelles ? Comment assurer une
gouvernance globale des matières transférées permettant des politiques
ambitieuses ? Ne faut-il pas créer un organisme de la protection sociale ?
Va-t-on encore diviser un peu plus les compétences et les
matières entre Bruxelles, la Wallonie, la Communauté germanophone ? Comment
assurer la solidarité s’il y a plus de scission ?
Alors qu’on réclame des simplifications, le quotidien des
citoyens et des entreprises risque de se complexifier un peu plus : droits
d’allocations familiales différents, remboursements des soins différents en
maison de repos, aides à l’emploi différentes…
A nos yeux, les principes fondateurs de la
sécurité sociale doivent rester les fondations de la protection sociale pour
la Fédération Wallonie-Bruxelles. La solidarité, la concertation sociale, la
cogestion et la démocratie participative en sont l’essence. C’est un débat
politique essentiel, nous sommes tous concernés !
//Jean Hermesse//Secrétaire général
|