Éditorial
(3 février 2011)
Rien ne bouge,
est-ce grave docteur?
De
jour en jour, de semaine en semaine, de mois en mois, les femmes et hommes
politiques cherchent à changer l’Etat belge en octroyant plus de pouvoir aux
Communautés et Régions, en maintenant une certaine solidarité, en améliorant
le fonctionnement de nos institutions et en assurant aux citoyens un plus
grand bien-être. L’équation semble bien difficile à résoudre, l’immobilisme
s’installe… Est-ce grave docteur?
Un gouvernement en
affaires courantes, on finit par s’y habituer. S’il ne peut certes pas
initier de grandes politiques, il assure la stabilité et le bon
fonctionnement de notre démocratie. Ce n’est pas spectaculaire mais
relativement efficace: le déficit des finances publiques est sous contrôle,
le chômage recule, l’économie redémarre, les entreprises reprennent
confiance, un accord interprofessionnel est sur la table, notre population
croît régulièrement (11 millions d’habitants!), l’espérance de vie augmente
encore et d'autres pays nous envient notre système de soins. Avant de
modifier en profondeur nos institutions, soyons conscients de nos atouts.
Quelles sont ces forces ‘obscures’, ces énergies ‘cachées’ qui nous ont
conduits au fil des années à compter parmi les nations les plus “prospères”
au monde? Les réformes institutionnelles en divisant vont-elles susciter de
bonnes énergies?
Un pays
où il fait bon vivre!
A force d’entendre sans
arrêt: “le pays est bloqué”, “on ne peut plus mener de vraie politique”,
“plus rien ne marche”, “les compromis sont des demi-solutions”…, on finirait
par croire que tout va mal. Faux ! Dans le domaine des soins de santé, la
Belgique se porte bien. En fait, les performances de notre système de soins
sont excellentes :
►
Peu ou pas de liste
d’attente. Mieux: dans le domaine des transplantations, grâce à notre bonne
organisation pour les dons d’organes, des patients étrangers cherchent à
être soignés chez nous.
►
Une grande accessibilité
et proximité grâce à des prestataires de soins en nombre, grâce à une offre
abondante d’appareillages médicaux, d’hôpitaux…
►
Des soins organisés en
fonction de besoins locaux. On trouve par exemple plus de soins à domicile
dans le Limbourg, plus de soins résidentiels pour personnes âgées à
Bruxelles et d'institutions de soins psychiatriques en Flandre.
►
Une grande qualité des
soins grâce entre autres au haut niveau de formation des soignants, au libre
choix des patients et à l’engagement professionnel des prestataires de
soins.
►
Un coût administratif
minime pour la gestion de l’ensemble du système de soins: moins de 4 % du
coût total des soins.
►
Des dépenses de soins
sous contrôle permettant le financement du coût croissant des soins engendré
par le vieillissement de la population et les soins chroniques dont elle a
davantage besoin.
Certes notre système
n’est pas parfait. Les inégalités par rapport à la santé sont grandes, nous
connaissons la surconsommation d’actes inutiles mais aussi la
sous-consommation (à Bruxelles, la consommation des soins est 5% sous la
moyenne nationale!), le coût à charge des patients est encore trop élevé,
les suppléments d’honoraires ne sont pas toujours justifiés… On peut donc
améliorer le système de soins. Mais, de là à jeter le bébé avec l’eau du
bain…
Comment
expliquer ces performances?
Les performances de
notre système de soins sont le résultat de l’engagement de nombreux acteurs:
les politiques, les prestataires de soins, les hôpitaux, les partenaires
sociaux, les mutualités, les associations de patients... Tous ces acteurs
francophones et néerlandophones sont en dialogue, en concertation permanente
à travers les nombreuses instances et commissions au sein du ministère de la
Santé publique et de l’INAMI. Les avis, les décisions, et les accords
largement discutés et préparés sont acceptés collectivement et portés par
chacun. Ce n’est ni l’Etat seul, ni une administration seule, ni un ministre
seul qui décide. Notre système est construit sur le dialogue, l’échange, sur
la concertation entre les représentants de tous les acteurs.
L’organisation et le
fonctionnement des soins sont ainsi soutenus par le dynamisme des acteurs de
soins. Notre système permet une grande liberté d’initiative. L’Etat
intervient peu directement. Il fixe un minimum de règles et de régulation et
fait confiance aux capacités créatrices des acteurs du terrain. Tant que les
acteurs, bien formés par un enseignement de qualité, sont mobilisés par les
valeurs de solidarité et travaillent principalement dans des structures sans
but lucratif, l’initiative privée se montre stimulante et porteuse de
services de qualité pour la population. Notre système d’assurance soins de
santé obligatoire a réussi ce subtil équilibre entre la liberté − dynamique
créatrice des acteurs − et le cadre garantissant l’accès et l’équité,
financé par la solidarité.
Des
réformes institutionnelles,
un plus ou un moins pour la santé?
La scission d’une partie
des soins de santé entre l’Etat fédéral, les Communautés et les Régions
peut-elle encore améliorer ces performances? On peut franchement en douter.
Peut-on faire mieux en
termes de concertation, en termes de qualité, d’offre de soins, d’adéquation
par rapport aux besoins locaux… lorsque les centres de discussion et de
décision sont divisés en deux ou trois? Ou lorsque des règlements, des
tarifs, des modalités, voire des temps de réunion… sont multipliés par deux,
trois ou quatre?
Dans un tel cas de
figure, la complexité ne peut que croître, alors que tout le monde aspire
notamment à plus de simplification administrative. En outre, la liberté de
circulation des patients pourrait être entravée. Les Communautés et les
Régions risquent d’entrer en concurrence. Finalement, nous risquons de
perdre un des atouts majeurs de notre système: la motivation et le dynamisme
créateur des acteurs et partenaires actifs sur le terrain.
La
performance d'un système de soins est portée par l’énergie et la capacité
d’innovation et d’adaptation de tous les acteurs actifs dans les soins - les
prestataires, les mutualités, les politiques... Grâce à notre modèle de
concertation permanent et à une large solidarité, notre système de soins est
universellement apprécié. Nous ne soutiendrons une réforme que si la santé
pour tous en sort gagnante.
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