Éditorial
(6 octobre 2011)
Pour
une rémunération juste des médecins
Notre système de soins est l’un des plus appréciés au monde : peu ou
pas de listes d’attente, facilité d’accès, liberté de choix et des soins de
qualité. Ce résultat remarquable est le fruit, notamment, de la qualité et
de l’engagement de nos médecins. Leur rôle est central. Pour maintenir cet
équilibre, la manière de les rémunérer devrait cependant être adaptée.
Le rôle central des médecins dans notre système de soins se manifeste aussi
par la part importante que représentent les honoraires médicaux dans le
budget total des soins de santé: 6,6 milliards d’euros en 2010, soit 29% du
budget total. Ces honoraires ne sont cependant pas intégralement perçus par
les médecins. Selon les spécialités, une partie plus ou moins importante de
ces honoraires sert à couvrir les frais de fonctionnement et d’amortissement
des appareillages et des services médicaux, tels que les laboratoires de
biologie clinique et les services de radiologie.
Ces dernières années, les honoraires médicaux ont été régulièrement
revalorisés, particulièrement les honoraires des médecins généralistes (MG)
et des spécialistes pratiquant peu d’actes techniques. Dans le même temps,
le salaire moyen des travailleurs n’a augmenté que de 1 % par an hors index.
Cette augmentation a été voulue comme mesure d’équilibrage pour les MG et
certains spécialistes (gériatrie, rhumato, oncologie, psychiatrie…).
Derrière ces taux de croissance des honoraires médicaux se cachent cependant
des tendances inquiétantes et des différences importantes injustifiées. Les
corriger est essentiel pour préserver la qualité et l’engagement
des médecins au sein de
notre système d’assurance maladie.
Des honoraires liés aux coûts réels
Les prestations remboursées aux médecins se composent de milliers d’actes
différents : consultation, échographie, scanner, interventions
chirurgicales, analyses de biologie clinique… A chaque acte correspond un
code de nomenclature et un tarif de remboursement. Ce tarif est fixé en
fonction de la complexité de l’acte, du coût du matériel
et de l’assistance éventuellement nécessaire.
Etant donné l’évolution des techniques médicales, ce tarif se doit
d’évoluer. Un exemple relatif aux analyses de biologie clinique: elles
nécessitaient autrefois de nombreuses manipulations ; aujourd’hui ce sont
des automates qui officient. L’automatisation a entraîné
une forte diminution des tarifs. Ainsi, les tarifs doivent être
régulièrement adaptés pour correspondre à la réalité des coûts. Sans cette
adaptation, le tarif de remboursement est en décalage et l’acte peut devenir
très ‘rentable’ ou déficitaire. Plus la nomenclature vieillit, plus le
décalage se creuse. Ainsi, certains actes de cardiologie, de néphrologie ou
de radiologie sont devenus aujourd’hui “trop” rentables. Les médecins dans
ces spécialités sont anormalement rémunérés par rapport aux généralistes ou
à d’autres spécialistes.
Ces honoraires surévalués constituent un vrai problème de santé publique.
D’une part les étudiants sont davantage attirés par ces spécialités plus
lucratives et délaissent les autres spécialités comme la gériatrie et la
psychiatrie. D’autre part, les hôpitaux se battent pour obtenir l’agrément
de tels services plus ‘rentables’ et se montrent moins intéressés par les
autres, pourtant nécessaires. Revoir les tarifs est donc essentiel pour des
raisons d’équité et de santé publique. Ce chantier aurait dû démarrer depuis
2005!
Décourager les actes superflus
La rémunération des médecins est directement liée au nombre d’actes
réalisés. Il existe un risque de multiplication d’actes inutiles, d’autant
plus grand que les mécanismes de financement valorisent davantage la
quantité des actes produits que leur qualité. Notre système de soins peut
inciter à la multiplication d’actes inutiles. Ainsi, le financement des
hôpitaux basé sur le nombre et la gravité des admissions incite à la
multiplication des admissions et des actes qui y sont liés. Pour une même
pathologie, le nombre d’actes médicaux facturés peut varier fortement d’un
hôpital à l’autre. Par ailleurs, le mode de financement des hôpitaux est
également de plus en plus dépendant d’une part rétrocédée par les médecins
sur leurs honoraires. Ce système rend les gestionnaires d’hôpitaux
intéressés par la croissance des activités médicales.
La multiplication d’actes inutiles peut avoir aussi un impact négatif sur la
santé. En Belgique, vu le grand volume d’actes de radiologie, par exemple,
la population serait soumise à 2 voire 4
fois plus de rayons ionisants que les patients de pays proches.
Encourager les médecins conventionnés
Au-delà des 6,6 milliards d’euros d’honoraires médicaux remboursés par
l’assurance soins de santé, certains médecins perçoivent aussi des
suppléments. Ces suppléments sont autorisés si le médecin n’est pas
conventionné ou pour des soins à l’hôpital en chambre privée. Ces dernières
années, on assiste à une certaine dérive des suppléments.
D’une part, on constate que le nombre de médecins conventionnés diminue dans
certaines spécialités et ce malgré la revalorisation de leurs honoraires.
Est-il dès lors encore pertinent de rembourser ces médecins non
conventionnés de la même manière que les médecins conventionnés qui
respectent les tarifs? Aucune garantie tarifaire ne protège le patient. Ne
serait-il pas plus pertinent de mieux rembourser les médecins qui s’engagent
à respecter les tarifs?
D’autre part, les suppléments d’honoraires demandés en milieu hospitalier
flirtent franchement avec l’indécence dans quelques hôpitaux (jusqu’à plus
de 200%) ou sont tout simplement illégaux. Il faut mieux protéger les
patients par rapport à ces pratiques, isolées mais inacceptables.
Les médecins occupent un rôle central dans notre système de soins.
Leur engagement et la qualité des soins sont unanimement appréciés. Pour
garantir ces atouts, nous devrons moderniser leur système de rémunération en
le rendant plus juste. Et ce n’est pas une question de moyens.
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