Éditorial
(20 octobre 2011)
// Alda Greoli//Secrétaire nationale
Matières et compétences transférées… et après?
Ils y sont arrivés! Une nouvelle Belgique est née. Chacun se penche
sur son berceau avec le sourire et se félicite de cet espoir de projets
neufs, d’un avenir “ensemble” pour notre cher pays réinventé.
Ce qui vient de se passer sur le terrain belge est impressionnant, après une
telle période de négociations, de blocages, et de ruptures ! Les superlatifs
ont été déployés: “un grand accord”, “une avancée historique”, “une
‘méga (r)évolution’ dans un esprit de consensus et de paix”… Cependant,
il est de notre devoir de ne pas cacher que les suites de ces décisions
seront difficiles et que cela vaut la peine de s’arrêter sur les
conséquences de ces transferts. Quel modèle social allons-nous
construire ou subir en Wallonie, à Bruxelles et en Communauté
germanophone? Quelles seront les réelles marges de manœuvre pour poursuivre
des politiques de santé à la fois sociales, équilibrées pour l’ensemble des
acteurs et des prestataires et qui garantissent le libre choix du patient,
l’accessibilité et la qualité?
Du bien-fondé des concertations
Pour rappel, notre pays a organisé un certain nombre de fonctions de l’Etat
au travers de services délégués à des organismes “non-profit”. Les
politiques sont menées dans ces secteurs grâce à des concertations et des
accords entre prestataires et organismes payeurs et assureurs. Cette méthode
d’organisation nous permet de développer un système de soins de santé parmi
les meilleurs et les plus efficaces au monde, une offre de maisons de repos,
de maisons de repos et de soins qui tentent de rester accessibles au plus
grand nombre… Les accords médico-mutualistes permettent un renforcement à
chaque étape de la couverture de soins de santé des patients. Ils
garantissent également la rémunération des médecins ou d’autres acteurs de
soins de santé. Ils suivent l’évolution de l’offre ou des nouvelles
techniques.
Sur d’autres thèmes, la concertation sociale entre les représentants
syndicaux et patronaux participe également à la réussite du mode
d’organisation sociale dans notre pays. Tous les observateurs s’accordent à
dire que ce modèle nous permet de passer ces moments de crise “moins mal”
que d’autres nations européennes.
Un modèle à repenser
Le transfert de pans entiers de la sécurité sociale vers les communautés ou
les régions oblige à repenser et surtout à construire un modèle qui permette
et garantisse la poursuite de cette concertation.
Deux exemples permettront sans doute de comprendre mieux les enjeux et les
conséquences possibles.
• Les allocations familiales
Aujourd’hui, la caisse d’allocations familiales est choisie par la direction
des entreprises. Tous les employés et ouvriers d’une même société sont
inscrits à la même caisse via l’employeur. Quels que soient leur situation
familiale, leur lieu de résidence, la langue qu’ils parlent, c’est au
travers du contrat de travail ou plus largement du statut social (demandeur
d’emploi, bénéficiaire de l’aide sociale…) que le système fonctionne.
L’administration est centralisée au niveau fédéral et les paiements se font
via des caisses d’associations patronales comme l’Union des classes moyennes
(UCM).
Et demain? La matière est transférée. Se pose la question de la logique
administrative, financière… qui sera à l’œuvre. Les employeurs vont-ils
devoir demander à chacun de leurs travailleurs de choisir eux-mêmes une
caisse d’allocations familiales? Pratiquera-t-on un choix sur la base du
lieu de résidence, de la langue parlée? L’administration régionale ou
communautaire va-t-elle reprendre l’ensemble du circuit? Quel sera le choix
alors pour les familles mixtes sur le plan de la langue, du lieu de vie? Les
fédérations patronales se verront-elles retirer cette compétence? Et avec
quelles conséquences pour elles et pour le modèle global d’application
jusqu’ici? Alors qu’aujourd’hui, un subtil équilibre prévaut: les
fédérations patronales paient les allocations familiales, les syndicats
versent le montant de l’allocation de chômage et les organismes assureurs
(mutuelles) veillent au paiement des indemnités d’incapacité de travail.
• Les maisons de repos (MRPA) et maisons de repos et de soins (MRS)
Aujourd’hui, le secteur des MRS- MRPA est le 4ème secteur en termes de
dépenses dans le budget de l’assurance soins de santé, soit 2,2 milliards
d’euros en 2010. Sur la période 2003-2010, son taux de croissance moyen
annuel a été de 7.6%. Ce taux de croissance extrêmement important n’est
pourtant pas encore affecté par le vieillissement de la population belge
dont les effets ne se font pas encore sentir pleinement. L’accord
institutionnel prévoit le transfert de ce budget du fédéral aux Régions mais
avec une augmentation annuelle limitée. Elle se fera en fonction du nombre
de personnes âgées de plus de 80 ans dans chaque entité, de l'inflation et
sur la base de 82,5% de la croissance réelle du PIB/habitant. Les
Régions vont ainsi devoir gérer des budgets largement insuffisants pour
couvrir l’augmentation des besoins de la population.
Sans budget public suffisant pour prendre ou soutenir des initiatives non
lucratives, le secteur sera plus encore qu’aujourd’hui envahi par les règles
spéculatives et financières. Il ne s’agit pas de plaider pour la fermeture
de ce secteur au monde de l’entreprenariat commercial - qui y a sa place
comme le monde non-marchand. Mais il s’agit de veiller à ce que l’ensemble
de l’offre puisse encore être accessible au plus grand nombre, de s’assurer
que le secteur soit à l’abri des spéculateurs financiers, et surtout de
veiller à ce que la qualité des projets de vie, des soins et de
l’encadrement soit garanti pour tous, dans toutes les formes d’accueil.
Ces deux exemples – parmi bien d’autres – prouvent qu’il ne s’agit pas
seulement de trouver un accord institutionnel. Celui-ci n’est qu’une petite
étape.
L’enjeu est de construire des Régions et des Communautés capables de
développer un modèle de concertation sociale, paritaire et représentatif qui
n’enferme ni dans le tout à l’Etat, ni dans le tout au marché! Gageons que
ceux et celles qui sont en responsabilité dans les gouvernements régionaux,
communautaires et dans les parlements, respecteront ce modèle.
Ils peuvent compter sur la Mutualité chrétienne et sur les acteurs
du secteur pour le leur rappeler, ainsi que pour construire avec eux un
projet dans l’intérêt de la population belge!
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