Éditorial
(5 mai 2011)
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Jean Hermesse
Secrétaire général
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Les
fruits pourris
de l’immobilisme
Déjà un an
en affaires courantes. Le gouvernement assure juste le fonctionnement de
l’Etat, mais ne conduit plus de nouvelles politiques. Les seuls débats
portent sur les réformes institutionnelles, la communautarisation et la
maîtrise du déficit publique.
Or gérer, c’est prévoir. Et comme ce gouvernement n’a pas le pouvoir d’agir,
on ne prévoit plus, on ne gère plus… On peut craindre que faute de semer et
de préparer le terrain, la récolte sera maigre dans les années qui viennent.
Les défis en matière de
santé et soins de santé pour les prochaines années sont bien connus et
documentés : les besoins croissants en soins chroniques liés au
vieillissement et au progrès de la médecine, le manque de personnel médical
et soignant, les dérives de la privatisation, le développement d’une
médecine à plusieurs vitesses – une pour les riches et une pour les pauvres
– et le maintien d’une société organisée sur le principe de la cohésion
sociale. Pour faire face à ces défis, on peut soit s’organiser
collectivement, soit s’y préparer individuellement. La réponse collective
nécessite du temps, des débats et des services publiques motivés. Or, depuis
un an, nous sommes sans débat, sans perspective. De nombreuses nominations
sont bloquées. L’appareil d’Etat se grippe… Sans ensemencement, sans
entretien du champ, la moisson risque d’être décevante, de produire des
fruits pourris.
Soins aux
personnes âgées,
la loi de la débrouille
Pour faire face aux
besoins croissants en soins chroniques, notre offre de soins doit être
réorientée. Une partie de l’offre hospitalière doit être convertie en
services et soins de revalidation, de convalescence. Les soins apportés par
les aidants proches comme la famille, les amis, les voisins doivent être
plus soutenus pour permettre de vivre et d’être soignés à domicile. Il faut
aussi accroître le nombre de places en maisons de repos et de soins.
Décider et mettre en
œuvre ces développements nécessite du temps, de la négociation et de la
motivation. Mais si rien ne se décide, si rien ne bouge, faute de
perspectives organisées, chacun cherchera à se débrouiller avec ses propres
moyens financiers, son épargne pension, son réseau, ses capacités. Les
inégalités en termes de qualité et d’espérance de vie vont encore
s’accentuer. La loi de la débrouille favorise toujours les plus forts et les
plus nantis.
Soins
privatisés et médecine duale
La part du coût des
soins à charge des patients est en Belgique une des plus élevées d’Europe,
plus de 25%! Afin de garantir un meilleur accès aux soins, des mesures
devraient être prises pour réduire ce coût. Or, faute d’intervention
politique, on assiste à tout le contraire. Citons quelques exemples. Il n’y
a plus de mécanisme légal pour réduire les suppléments d’honoraires en
chambre commune et à deux lits ; tandis que les suppléments d’honoraires en
chambre privée augmentent d’année en année. Certains médecins spécialistes
ont tendance à exercer de préférence en dehors de l’hôpital et à créer des
cliniques privées. Pour obtenir un rendez-vous rapidement, des médecins
proposent des consultations en cabinet privé, d’autres exigent au patient de
prendre une chambre particulière. Dans certaines spécialités, il y a plus de
médecins non-conventionnés que de conventionnés – de ceux qui respectent les
tarifs fixés par l’accord médico-mutualiste. Par manque de clarté et
d’initiatives légales, la facturation du coût du matériel médical à charge
du patient peut varier d’un hôpital à l’autre. Etc.
S’il n’y a pas un
minimum de régulation, il n’y a pas de sécurité tarifaire. Et la liberté
tarifaire entraîne des abus et des coûts injustifiés. Les assurances
hospitalisation privées n’arrivent pas à maîtriser ces coûts et les primes
augmentent sans cesse. La privatisation a tendance à s’étendre et
l’assurance soins de santé obligatoire recule.
Pas de
personnel soignant,
pas de soins…
Le défi des ressources
humaines est un enjeu fondamental pour tout système de soins. Il est
impossible d’offrir des soins de qualité accessibles sans personnel soignant
et médical suffisant. Aujourd’hui, dans certaines maisons de repos et de
soins, des étages sont fermés parce que les institutions ne trouvent pas
d’infirmières. Pour apporter une réponse, il faut un programme combinant
plusieurs types de mesures à destination du personnel soignant :
attractivité des professions, soutien administratif, révision du numerus
clausus, délégation des tâches, réduction du stress lié à une médecine
productiviste… et peut-être une politique d’immigration concertée pour le
personnel médical.
A nouveau, sans
programme politique explicite, chaque institution essaye de se débrouiller.
On assiste alors à une surenchère sur les conditions de travail pour être
plus attractif, à la mise en place de filières d’immigration pour le
personnel médical, à la délégation des tâches de manière informelle. La
qualité et l’accès aux soins risquent ainsi de reculer faute de personnel
soignant de qualité.
Bien d’autres chantiers
dans le domaine des soins de santé restent à l’arrêt : la révision des
tarifs en fonction de la réalité des coûts, la promotion de la qualité par
l’accréditation des institutions de soins, l’organisation de la permanence
des soins, le coût des nouveaux médicaments, le développement des bassins de
soins…
Les
défis à relever dans le domaine des soins de santé sont importants : besoins
croissants en soins chroniques, risques de privatisation, pénurie de
personnel soignant. Faute de s’y préparer à temps, nous aurons des fruits
secs ou pourris. Il est temps de mettre fin à l’immobilisme politique pour
dégager des horizons solidaires et sociaux.
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