Éditorial
de Jean Hermesse // Secrétaire
général (4 novembre 2010)
La politique de santé
en panne
En
comptant la période pré-électorale, voilà déjà plus de six mois que nous
connaissons une paralysie politique. Le pays est gouverné sans programme,
sans orientation. Pourtant les défis sont sérieux. Pour les rencontrer, nous
devons en débattre, faire des choix politiques et ainsi donner confiance en
l’avenir.
Les défis en politique
de santé sont connus depuis longtemps. Le vieillissement de la population va
non seulement faire croître les dépenses en soins de santé mais nécessite
aussi l’adaptation de notre offre de soins. L’austérité budgétaire impose
aussi plus d’efficience dans l’organisation et l’utilisation des soins. Les
difficultés économiques vécues par de nombreuses familles deviennent
catastrophiques en cas de maladie parce que certains soins coûtent chers,
trop chers. Vieillissement, déficit de la sécurité sociale et accessibilité
des soins : voilà trois grands défis qui nécessitent un gouvernement avec un
programme politique ambitieux.
Adapter l’offre de soins
Le baby-boom qui a suivi
la Seconde Guerre mondiale se transforme en papy-boom. Or, une population
plus âgée a besoin de plus de soins chroniques, de plus d’aides pour assurer
les actes de la vie journalière. Mais, notre infrastructure de soins est
encore trop centrée sur l’hôpital et les soins aigus.
Confrontés aux mêmes
défis démographiques, de nombreux pays ont progressivement réduit leur
capacité hospitalière et investi dans des structures plus adaptées pour des
soins chroniques ou de revalidation. La santé communautaire a aussi été plus
développée. En effet, la bonne santé des personnes ne se limite pas aux
soins. L’environnement, les services collectifs et les solidarités locales
ont un impact majeur sur la santé.
Développer cette offre
nécessite des moyens. Ils pourraient provenir d’une conversion partielle de
la capacité hospitalière. Une telle opération de conversion a été réalisée
dans les années 80, permettant la création de milliers de places en maisons
de repos et de soins.
En plus des structures,
nous aurons besoin de mains expertes pour prodiguer ces soins. Outre ces
conditions financières, la reconnaissance des métiers, la délégation des
tâches, l’encadrement suffisant apparaissent comme autant de politiques à
développer pour garantir les ressources humaines essentielles et ainsi
maintenir la qualité des soins.
Plus d’efficience
Le système de soins de
santé belge est très apprécié par la population, entre autres pour sa
qualité et son accessibilité. Il n’y a pratiquement pas de file
d’attente. Cependant, cette grande accessibilité est le résultat d’une offre
abondante, peut-être même parfois surabondante. Elle dissimule un mécanisme
de financement incitant à la multiplication des actes et des prescriptions.
Pourtant, les constats sont là : une trop grande dispersion des pratiques
médicales nuit à la qualité des soins. Tous les acteurs n’ont pas
l’expérience suffisante dans tous les domaines. Et de grandes différences de
traitement existent – en termes d’utilisation de médicaments, de recours aux
actes techniques – pour des patients qui souffrent d’un même pathologie.
Ces constats
d’inefficience connus depuis longtemps indiquent qu’on peut atteindre de
meilleurs résultats avec, par exemple, moins de centres de cardiologie,
qu’on peut réduire la surconsommation ou la sur-prescription d’actes
techniques et de médicaments, sans réduire la qualité des soins.
Le mécanisme de
financement des hôpitaux est à revoir d’urgence, car il incite à
la croissance continue des activités et des admissions. Pour conserver sa
“part de gâteau”, chaque hôpital doit veiller à ce que son nombre
d’admissions “progresse” au même rythme que l’ensemble des hôpitaux. Ce
mécanisme pousse à la productivité sans considération suffisante pour la
pertinence des activités par rapport aux besoins de la population,
c’est-à-dire sans une véritable approche de santé publique.
Enfin, toute la
problématique de la garde médicale de la première ligne doit être repensée
et organisée en concertation avec la permanence médicale et les services des
urgences des hôpitaux.
Améliorer l’accès aux soins
Le coût des soins à
charge du patient est élevé en Belgique, près de 25% du coût total des soins
de santé, soit 8 milliards d’euros ! Ce coût élevé est un frein pour les
familles à faibles revenus. Il peut conduire à la précarité et à la
pauvreté. On peut réduire ces coûts en remboursant mieux mais aussi en
agissant sur les prix et les suppléments. Par un système d’appel d’offre
publique, on peut faire baisser les prix des médicaments et du matériel
médical. Les suppléments d’honoraires à l’hôpital peuvent être interdits ou
limités par la loi. Les médecins conventionnés peuvent être valorisés en
remboursant mieux leurs prestations. Par ces différentes mesures, on peut
agir sur les coûts à charge des patients sans augmenter le budget des soins
de santé.
Pour
faire face à ces défis, nous avons besoin d’un gouvernement. En cas de
communautarisation partielle des soins de santé, la paralysie risque de se
prolonger, car l’exécution de toute communautarisation nécessite un long et
complexe travail de nouveaux règlements, de calculs de répartition,
d’installation de nouvelles administrations, avec, sans doute à la fin, un
coût global plus élevé.
Et si
cette période de paralysie devient trop longue, la confiance dans le service
fourni par l’assurance soins de santé obligatoire risque de s’effriter, de
pousser à la débrouillardise, au chacun pour soi.
La
crise politique mobilise beaucoup d’énergie, de temps, de créativité… alors
que les défis en soins de santé appellent une politique de santé avec un
programme pluriannuel et ambitieux. La prolongation de cette paralysie
risque de coûter aux patients en termes de soins non adaptés, moins
efficaces et plus chers. Il est temps que l’intérêt général prime sur les
intérêts particuliers.
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