Éditorial
(18 février 2010)
La croissance en crise,
et notre santé ?
Notre modèle de
développement basé sur la croissance est en panne. Or sans croissance pas de
commerce, pas de profits, pas d’investissements, pas de production, pas
d’emploi, pas de recettes publiques… C’est la crise, mais plurielle :
financière, économique, écologique, alimentaire, énergétique… Le bonheur et
la santé sont-ils aussi en crise ?
Pour «sortir» de
la crise, la recette présentée est simple et classique : relancer la
croissance en soutenant le crédit, la consommation et les grands
investissements. Pourtant le «développement» basé sur la croissance conduit
à des impasses. Les gens se rendent compte que «quelque chose» ne tourne pas
rond, qu’il faut changer les mentalités et les habitudes de vie, que cette
course à la consommation ne rend pas si heureux. Pour un nombre croissant
d’humains, le bonheur lié à la croissance est un leurre et leur vie devient
chaque jour plus inhumaine.
Les impasses de la
croissance et de la consommation
Lorsqu’on
analyse les résultats du modèle de croissance en termes humains, les
perspectives sont sombres pour une grande partie des habitants de notre
terre et, chez nous, l’avenir devient incertain. La croissance a surtout
enrichi les riches et a peu bénéficié aux pauvres. Deux pourcents de
l’humanité détiennent la moitié du patrimoine des ménages. Le patrimoine des
quinze individus les plus fortunés dépasse le PIB annuel total de l’Afrique
sub-saharienne. 2,4 milliards de personnes n’ont pas accès à une
infrastructure sanitaire élémentaire. Le nombre de personnes souffrant de la
faim augmente. La croissance a aggravé les inégalités partout.
La croissance
économique n’a pas engendré une croissance équivalente du développement
humain. Les indicateurs de développements humains tels que le progrès
véritable ou le bien-être économique durable ont très peu augmenté depuis 30
ans.
La croissance
épuise et réchauffe la planète, elle provoque aussi une crise écologique.
Depuis 1986, nous avons dépassé, semble-t-il, la capacité de la terre à
absorber les déchets et les émissions polluantes produites par l’homme. Le
niveau de développement économique des pays occidentaux est inaccessible aux
trois quarts de l’humanité. Pour atteindre le niveau moyen de consommation
des Américains, il faudrait 6,1 planètes. Et pour atteindre celui des
Européens, il en faudrait 3,4. Au rythme actuel d’exploitation des
ressources naturelles, il ne reste que quelques dizaines d’années de
consommation.
La croissance peut
nuire à la santé
Ce ne sont pas
les pays avec le Produit Intérieur Brut (PIB) le plus élevé qui atteignent
l’espérance de vie la plus élevée. En effet, derrière un PIB élevé se
cachent des activités et une consommation qui, en fait, nuisent à la santé.
La surconsommation alimentaire entraîne l’obésité, les maladies
cardio-vasculaires, le diabète, les soins, les interventions médicales, la
consommation de médicaments, donc plus d’activités économiques et de
richesses mais moins de santé. De même, le trafic automobile entraîne des
activités de réparation, de vente de voitures, de soins de santé liés aux
accidents, c’est-à-dire plus d’activités économiques et de richesses mais à
nouveau moins de santé. La recherche de profit, le marché, la compétition,
la course à l’avoir entraînent la méfiance, le stress et l’élimination des
moins performants. Les maladies psychiques et les exclusions sociales sont
en augmentation.
Un changement de
l’équation «croissance = bonheur = santé» semble donc indispensable et même
vital. Mais est-ce possible, imaginable ou simplement un rêve, une utopie ?
Mettre le
développement humain au centre
Un autre modèle
de développement est possible si nous renversons l’équation. Il faut mettre
le bien-être physique et psychique au premier plan et réfléchir ensuite aux
activités, à l’organisation, aux relations qui vont le «maximiser». Il faut
modifier nos schémas de pensées et notre représentation du bonheur. Une
société basée sur la confiance, la solidarité, sur les liens et le partage
produit plus de bonheur, en moyenne et pour tous. La question de la
croissance, dès lors, n’est plus centrale. C’est la valorisation des
activités «humaines» qui devient essentielle. Il en résultera moins de
richesses matérielles et de consommation, mais plus de satisfaction
individuelle et collective.
Une société
centrée sur le développement humain nécessite aussi des démarches et des
choix collectifs. Les nouveaux réseaux sociaux et de services basés sur le
partage, la durabilité, l’écologie, la simplicité et le non-marchand doivent
être soutenus.
Il faut
également réguler les marchés financiers, taxer les produits et services
polluants, promouvoir les quartiers durables, encadrer les publicités,
encourager le partage du temps de travail…
Placer le
développement humain au centre des priorités est un vrai changement de
société qui nécessite un large débat d’idées et un programme politique
ambitieux.
Notre modèle
de développement basé sur la croissance, le marché et la consommation
conduit l’homme vers des impasses. Remettre le développement humain au
centre de notre société, c’est sans doute le seul pari qui offre une
perspective de santé et bonheur aux hommes et femmes d’aujourd’hui et de
demain.
//Jean Hermesse//Secrétaire général
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