Éditorial
(2 septembre 2010)
Communautariser
les soins de santé?
La
qualité de notre système de soins de santé est reconnue et saluée par des
études internationales mais aussi par la population belge (1).
Une communautarisation n’apporterait aucune avancée réelle pour la
population. Au contraire, elle risquerait de diminuer la qualité et l’accès
aux soins et engendrerait des coûts administratifs inutiles.
Les Belges sont très
attachés aux principes de liberté qui sont à la base de leur système de
soins de santé: liberté de choix pour le patient, liberté thérapeutique pour
le médecin et liberté d'établissement pour l’ensemble des prestataires.
Ainsi par exemple, un enfant qui habite en Flandre peut être soigné à
l'hôpital des enfants à Bruxelles. Une patiente domiciliée à Wavre peut être
soignée à l'hôpital universitaire de Louvain. Ou encore un Bruxellois,
victime d'un traumatisme crânien, peut être soigné au centre William Lennox
dans le Brabant wallon. Les choix des patients sont guidés par leurs
besoins, mais aussi par les recommandations des médecins. La frontière
existant entre les Régions ne constitue pas une frontière pour les patients.
D’après nos estimations, plus de 150.000 patients sont d’ailleurs soignés
dans un hôpital qui se situe dans une Région autre que celle de leur
domicile.
Dans un système de soins
communautarisés, faisons le pari que les principes de liberté qui font la
qualité de notre système et l'appréciation de sa population seront respectés
: liberté de choix, liberté thérapeutique et liberté d'établissement. La
mobilité des patients resterait donc garantie en Belgique. On peut toutefois
légitimement s’interroger sur la complexité administrative, et donc les
coûts additionnels, qui seraient inévitablement générés par ces mouvements
de patients d’une région à une autre du pays.
Une complexité administrative
coûteuse et inutile
Comment empêcher, dans
ce contexte, qu’une communautarisation des soins ne se fasse au détriment du
coût global de soins, de leur accessibilité et même de leur qualité? Car les
coûts des soins rendus dans une Communauté ou Région pour des patients issus
d'une autre région devraient tout d'abord être récupérés. Vu les flux
actuels de patients entre Communautés et entre Régions, on peut calculer que
les procédures de récupération porteraient sur près d'un milliard d’euros!
Les hôpitaux qui accueillent des patients issus des trois Communautés ou
Régions devraient aussi appliquer des modalités de facturation différentes.
Les choix des patients, aujourd’hui guidés par les besoins et les
recommandations des prestataires de soins, risquent d’être influencés
demain par un niveau de remboursement plus avantageux puisque certains
médicaments ou prestations seraient remboursés dans une Communauté et pas
dans l’autre. Au final, le coût administratif d’un système communautaire,
avec deux ou trois administrations et des mécanismes complexes et longs de
récupération, serait largement supérieur au coût de gestion actuel.
Un risque de concurrence néfaste
pour l’accès aux soins
Mais l’accessibilité et
la qualité des soins risquent aussi de souffrir d’une communautarisation.
Aujourd’hui, la politique d’offre et de programmation des services médicaux
“lourds” (centres de cardiologie, oncologie, Pet scans, résonance magnétique
nucléaire…) est concertée au niveau national et ne varie pas de manière
importante d’une Région à l’autre. En cas de communautarisation des soins,
on pourrait assister à la formation de listes d’attente dans une Communauté
qui serait plus restrictive dans son offre. Ceci inciterait alors les
patients à chercher ce type de soins dans l’autre Communauté, plus
“généreuse” (ou plus laxiste selon les points de vue) et cela, sans qu’on
puisse freiner cette mobilité, fondée sur le principe du libre choix. Par
ailleurs, vu que les soins aux patients étrangers sont de plus en plus
considérés comme un véritable pôle d’exportation (
www.healthcarebelgium.com ),
les Communautés ou Régions pourraient aussi se faire concurrence afin
d’attirer des patients d’une autre Communauté pour des raisons de
développement économique. A titre d’exemple, les hôpitaux bruxellois
devraient, à eux seuls, continuer à attirer 100.000 patients issus de
l’extérieur de la Région bruxelloise afin d’assurer leur simple survie!
Enfin, cette concurrence se marquerait très certainement par une
différenciation des conditions de rémunération des médecins et du personnel
infirmier. Ceci aurait pour conséquence une migration des prestataires de
soins en fonction des opportunités financières, générant une surenchère
coûteuse pour tout le monde et, in fine, des phénomènes de pénurie dans la
Communauté ou la Région plus limitée dans son offre.
A quoi donc rime un
repli communautaire sur un aussi petit territoire que la Belgique? Et ceci
d’autant plus qu’on parle aujourd’hui d’une médecine basée sur des standards
internationaux, qu’on va vers un modèle d’accréditation européen pour les
hôpitaux et que l’on consulte de plus en plus en dehors des frontières via
la télémédecine? Ce repli communautaire risque fort de n’apporter aucune
avancée réelle…
Basé
sur un modèle de concertation et géré dans le cadre d’une assurance soins de
santé obligatoire fédérale et solidaire, notre système de soins de santé n’a
pas à rougir de ses bonnes performances. Bien sûr, nous devons continuer à
l’adapter aux progrès de la médecine et des techniques ainsi qu’à
l’évolution des besoins. Mais ce n’est pas en communautarisant les soins de
santé que l’on répondra efficacement à ces défis! Au contraire, le risque
d’assister à un recul général est bien là: ingérable complexité,
augmentation des coûts, moindre accessibilité, diminution de la qualité
avec, au final, un système de soins moins performant. Alors pourquoi
communautariser les soins de santé si tous, patients mais aussi prestataires
de soins et pouvoirs publics, nous en serions les premiers perdants?
(1) L’Eurobaromètre TNS sur la Sécurité des patients et la
qualité des soins de santé, publié en avril 2010 par la Commission
européenne, classe la Belgique première en termes d'appréciation par ses
habitants.
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