Éditorial
(3 juin 2010)
Avancer en confiance
et en sécurité (sociale)
Un voyage
d’étude en Suède m’a amenée à relire la situation sociopolitique belge au
travers de ce miroir déformant que sont très souvent les pays du Nord de
l’Europe.
Pourquoi le “pacte
social” fonctionne-t-il dans un pays où la population paie bien plus
d’impôts que chez nous, est syndiquée à 85% et ce, presque sans conflits
sociaux, un pays où les parents peuvent prendre un an et demi de congé de
maternité ou de paternité, où une extrême libéralisation du système cohabite
avec une sécurité sociale très forte? Sont-ils si différents ces Vikings?
Pourquoi devons-nous passer notre temps, en Belgique, à rappeler et rappeler
encore l’importance de la sécurité sociale, de l’assainissement des finances
publiques, la nécessaire prise de responsabilités des acteurs, le tout ayant
pour principal effet le désintérêt de la population et la perte de confiance
dans le système?
Pour sauvegarder la
sécurité sociale, plusieurs ingrédients sont indispensables : un
gouvernement qui gouverne avec efficacité, des finances publiques sous
contrôle ou pilotées, la confiance de la population dans le système mais
aussi des initiatives publiques, privées, à but lucratif ou non (celles
d'entrepreneurs – et non de financiers – à la tête des projets à profit ou à
profit social) et, enfin, du côté de ceux qui prennent la représentation des
travailleurs en charge, le courage de risquer du changement, de l’évolution.
Des choix forts et courageux
Quand osera-t-on assumer
qu’il est impossible de financer deux projets politiques en même temps? Soit
on finance un projet de libéralisation du système (réductions fiscales,
bonus fiscaux au troisième pilier de pension, assurance hospitalisation
payée par les employeurs…), soit on consolide un système solidaire (moins de
réductions fiscales, renforcement du premier pilier de pensions, assurances
hospitalisation dans l’assurance obligatoire avec arrêts des suppléments
d’honoraires…). Faire croire qu’il est possible de financer les deux, c’est
mentir deux fois à la population !
La conviction que le
système n’est pas sécurisé gagne du terrain dans l’opinion publique. Il est
exact que, pour que le système soit durable, il faut prendre des mesures qui
ne sont pas toutes vendables en éternelle période électorale.
Prenons un exemple : le
taux de remplacement des pensions (c'est-à-dire le rapport entre le dernier
salaire et le montant de la pension) est trop faible. Il justifie aux yeux
d’une part importante de la population la nécessité d’une pension
complémentaire.
Deux pistes. Soit on
diminue encore ce taux de remplacement, on allège les charges sociales, on
demande que chacun se débrouille par l’intermédiaire des mécanismes
alternatifs d’épargne pension (2ème et 3ème piliers).
Soit on travaille sur ce taux de remplacement en l’augmentant, on arrête la
réduction des charges sociales patronales, on taxe d’une manière plus
importante les deuxième et troisième piliers au profit du renforcement du
premier, et on démontre objectivement à la population que cela est plus
rentable pour tous.
Les employeurs payent
annuellement plus de 500 millions d’euros de cotisations à des pensions
complémentaires privées… Ces mêmes montants auraient pu être mobilisés
autrement pour renforcer le premier pilier !
Les politiques suédois
ont mis dix ans pour réformer les pensions mais ils ne l’ont pas fait sur la
place publique, à coups de livres de toutes les couleurs, de pub, de grands
débats pseudo-publics. Ils ont abouti à un accord : tout Suédois a la
garantie que l’Etat lui accordera une pension qui atteindra entre 61 et 71%
de taux de remplacement de son salaire actuel, en fonction de la
conjoncture.
Les décideurs politiques
ne pourront prendre des décisions réellement courageuses que si, autour
d’eux, ils ont trouvé l’espace de dialogue social et de concertation avec
les acteurs socio-économiques – mais aussi institutionnels – qui le
permettent vraiment. Nous devons, en tant qu’acteur social, oser aussi
prendre nos responsabilités, ne pas rester sur nos privilèges ou acquis,
sous prétexte que nous les avons obtenus sur la base de longues et dures
luttes. Les partenaires médico-mutualistes et les partenaires sociaux ont
montré qu’à l’INAMI, ils ont la sagesse de mener des politiques et de
proposer des accords qui permettent une gestion saine et durable des budgets
qui leur sont confiés.
Stop à l'empilement de mesures
Regardons encore le
miroir déformant de la Suède et son “pacte social”. Cette population semble
avoir une réelle confiance dans la manière dont ses représentants politiques
lui assurent une sécurité sociale durable, solide. Elle est alors d’accord
de payer des impôts dont elle sait qu’elle pourra recevoir une juste
répartition au travers des soins de santé, des pensions, de politiques
familiales ou sociales. Quand vous êtes assuré de disposer de filets de
sécurité, alors vous trouvez le courage de passer sur les ponts qui
permettent d’enjamber les changements.
Mais, une des plus
grandes caractéristiques du système est qu’il est clair, lisible. Les
travailleurs ou les politiques se permettent d’abandonner des acquis pour
changer et ne pas superposer des couches qui rendent le système compliqué,
coûteux. Et surtout moins égalitaire car de plus en plus segmenté. C’est un
des grands problèmes de notre système de sécurité sociale. Toujours les
couches sont empilées et jamais rien n’est remis en cause parmi les mesures
prises dans le passé. Cela entraîne des difficultés dans la gestion
administrative mais, surtout, engendre d’importants obstacles pour les
personnes isolées et sans réseau social qui veulent accéder à leurs droits.
Prenons encore un
exemple en Suède : tout Suédois sait qu’il ne paiera pas plus de 180 euros
par an de frais de soins de santé. Au-delà, tout est pris en charge,
parallèlement à la liberté de choix du prestataire. Mais le prestataire ne
joue pas avec ses honoraires selon la tête du patient ni surtout son
portefeuille.
Bien-sûr, tout n’est pas rose, dans ce pays du nord mais les miroirs ont la
particularité de mettre nos propres traits en valeur. Tous les acteurs du
système “Belgique” – “le système le meilleur du monde” – devraient mettre en
œuvre l’ensemble des facteurs qui permettent de rendre cette confiance à la
population. Alors, politiques, acteurs sociaux, médias: tous sur le pont
afin que les passagers se sentent en sécurité (sociale)!
Alda Greoli//Secrétaire
nationale
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