Éditorial
(4 juin 2009)
Un monde plus juste
au-delà de la crise
Face
à la crise, aux crises, les plans de relance se multiplient: aides au crédit
et à l’investissement, garanties d’Etat, investissements publiques,
réductions d’impôts... Les milliards s’accumulent, les déficits se creusent…
et les promesses électorales s’étalent. Les élections passées, le
gouvernement devra faire face et tracer des perspectives. Quelles valeurs et
quelle vision de la société vont inspirer nos décideurs politiques?
Crise,
mutation, transformation, récession… à intervalles réguliers les sociétés
occidentales sont secouées par des “pannes” économiques. A chaque fois des
plans de relance basés sur plus de marché, plus de commerce, plus de
libéralisation, plus de consommation relancent la machine et la course à la
croissance économique à tout prix. Aujourd’hui on se rend compte, et de
nombreuses études l’attestent, que cette formule n’entraîne pas
nécessairement du bonheur et de la santé en plus pour tous. Alors avant de
relancer la “machine” posons la question du sens et de la vision de société
qui va inspirer les mesures et notre avenir.
Les inégalités sociales de santé s’aggravent et ne sont pas
une fatalité!
Une petite fille qui
naît aujourd’hui en Belgique peut vivre au-delà de 80 ans, en Afrique
subsaharienne son espérance de vie est de moins de 45 ans et cet âge est
encore en recul. En Belgique même, entre une femme qui n’a pas de diplôme et
une femme avec un diplôme d’étude supérieur, il y a un écart de plus de 20
ans d’espérance de vie en bonne santé.
Les inégalités sociales
de santé sont une réalité entre pays riches et pays pauvres, mais aussi à
l’intérieur de chaque pays. De nombreuses recherches ont mis en évidence
l’origine de ces écarts. Ce sont les inégalités sociales qui engendrent des
inégalités de santé. Et le marché non régulé, sur lequel est basé la
croissance, ne crée pas des conditions favorables à la santé: inégalités
économiques, épuisement de la nature et des ressources, pollution de
l’environnement, mauvaises conditions de travail, circulation de produits
nocifs… La richesse et la croissance à elles seules ne déterminent pas
l’état de santé d’une population. Certains pays à faibles revenus comme
Cuba, le Costa Rica – même s’ils ne sont pas des exemples en tout - ont
atteint des niveaux de santé satisfaisants.
Non, les inégalités
sociales ne sont pas une fatalité, c’est une question de justice sociale et
de vision de société.
Mener une politique sociale
produit de la santé pour tous
Forte de recherches de
plus de 20 ans et d’exemples concrets, l’Organisation mondiale de la santé
(OMS) propose des recommandations groupées sous trois principes d’action(1):
►
améliorer les conditions
de la vie quotidienne, les circonstances dans lesquelles les gens naissent,
grandissent, vivent, travaillent et vieillissent;
►
s’attaquer à la
répartition inéquitable du pouvoir, de l’argent et des ressources – les
causes structurelles de ces conditions de vie;
►
mesurer le problème,
évaluer l’action, former des intervenants et susciter l’implication du
public.
En investissant dans ces
actions, on n’invite pas forcément à la consommation, on ne crée pas
nécessairement de la richesse économique mais on produit du progrès social.
Exemple: si on investit dans la sécurité routière, on réduit les accidents,
les coûts de réparation, les coûts de soins, les ventes de nouveaux
véhicules... au total moins de “richesse” produite, de croissance mais plus
de santé et de bonheur. Autre exemple: introduire un système d’eau potable
dans les bidonvilles du monde coûterait 100 milliards de dollars et
sauverait des milliers de vies mais tous les plans de sauvetage des
institutions financières (et l’appât du gain de quelques uns) ont coûté plus
de 5.000 milliards de dollars. Troisième exemple: dans les pays nordiques où
la répartition des richesses est plus équitable, la cohésion sociale plus
forte, les inégalités de santé sont moindres et l’espérance de vie est plus
longue.
Enfin une politique
sociale qui offre la perspective d’une plus longue vie en bonne santé incite
chacun à investir dans son éducation et celle de ses enfants. Et l’éducation
réduit à son tour les inégalités sociales.
Et en Belgique,
quelle sera la sortie de crise?
Les leçons du passé et
les recommandations unanimes internationales devraient inciter nos
dirigeants politiques à ne pas tout miser sur la croissance économique et la
consommation. Bien sûr des moyens financiers seront nécessaires. La lutte
contre la fraude fiscale et l’augmentation des taux d’activité entre 55 et
65 ans y contribueront. Des économies seront aussi nécessaires, y compris
dans le budget des soins de santé. Toutefois, nous nous opposerons à toute
économie sur le dos du patient.
Au-delà de la croissance
économique il y a lieu d’interroger le sens et le type de croissance mais
aussi la répartition des richesses, les moyens réservés aux transports
publics, à l’enseignement, aux logements sociaux, la politique de
l’urbanisme, de l’intégration des personnes âgées…
N’est-ce pas le moment
de renforcer la sécurité sociale et de mener une politique sociale qui
réduira les inégalités sociales; plus porteuse du progrès social!
La
croissance économique n’a pas réduit les inégalités sociales de santé. Une
vraie politique sociale agissant sur les déterminants sociaux, produit plus
de santé et plus de bonheur.
Dans
la gestion de la crise et des soins de santé, les Mutualités chrétiennes
prendront leur responsabilité mais la justice sociale sera toujours notre
guide.
Jean
Hermesse
Secrétaire général
(1)
Voir
Document de la Commission des déterminants sociaux de l'OMS
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