Éditorial
(2 octobre 2008)
Santé pour
tous!
Un choix de société
1978.
Réunis à Alma Ata au Kazakhstan, les représentants de 137 pays signent une
déclaration commune fondatrice d’un autre modèle de société. Celui-ci sera
basé sur un nouvel ordre économique mondial, plus juste et plus solidaire,
et sur la promotion des soins de santé primaires.
L’ambition de cet engagement était de permettre à tous d’atteindre un
niveau de santé acceptable au plus tard en l’an 2000. Trente ans plus tard,
la logique marchande s’est imposée mondialement et les inégalités d’accès à
la santé s’aggravent …
On
le constate aujourd’hui, la logique marchande sans régulation conduit au
désordre économique, à plus d’injustice, à plus d’individualisme. Dans un
marché dérégulé, avec peu de contrôle comme le marché financier, les
opérateurs cherchent des gains rapides, des bonus disproportionnés. Ils
prennent des risques spéculatifs démesurés avec l’argent des petits
épargnants confiants dans le système bancaire. Les pertes financières de
cette économie virtuelle seront énormes. Catastrophique au point de vue
financier, cette même logique marchande est aussi catastrophique en termes
de santé. La mondialisation de la ‘main invisible’ a aggravé les inégalités
face à la santé, que ce soit entre les pays riches et les pays pauvres ou
entre les classes sociales en Belgique.
Les inégalités sociales
face à la santé sont importantes
La Mutualité Chrétienne
(voir en page 8) a mis en carte l’état de santé de ses 4,5 millions de
membres. Après les avoir regroupés en cinq groupes socio-économiques, nous
avons constaté des écarts très importants entre le groupe ‘le moins
favorisé’ et le groupe ‘des mieux nantis’ : risque de décès supérieur de 45
%, plus de 15 % de malades broncho-pulmonaires et cardio-vasculaires, plus
de 66 % de risques d’invalidité, plus de consommation d’antidépresseurs pour
les personnes dans le groupe des moins favorisés. A l’inverse, mieux
encadrées à domicile, les personnes plus nanties ont plus de chance de
décéder à la maison. Elles font plus d’examens de dépistage du cancer du
sein, se vaccinent davantage contre la grippe, visitent plus souvent le
dentiste. Tous les résultats concordent : à mesure que l’on descend le long
de l’échelle sociale, les indicateurs de santé se dégradent.
Les vraies causes
des inégalités sont sociales
Les causes à l’origine
des grandes inégalités en santé sont bien connues. Les études sont claires.
Le mauvais état de santé des pauvres, des moins favorisés est principalement
déterminé par les inégalités sociales. Les inégalités de santé s’expliquent
par l’accès inégalitaire à l’enseignement, au logement, à un environnement
sain, à l’emploi, à un revenu et travail décent, à la mobilité… Et cet accès
inégalitaire trouve entre autre sa source dans une répartition inégale du
pouvoir, des revenus, des biens et services ou encore dans la privatisation
des services d’intérêt général. En faisant entrer des services ou des biens
tels que l’enseignement, l’eau, le transport public ou les soins de santé
dans la logique marchande, on introduit une logique de segmentation et donc
d’oubli des ‘clients’ les moins intéressants. Certains clients sont plus
rentables que d’autres et les services deviennent moins accessibles pour ces
derniers. Leurs chances de s’épanouir sont limitées. Leurs conditions de vie
au quotidien moins favorables expliquent une grande part des inégalités de
santé observées entre pays et dans le pays.
Les inégalités de santé
ne sont pas inéluctables
Le constat de l’extrême
variabilité de l’espérance de vie et de la santé entre les pays ou entre les
régions d’un même pays démontre que les inégalités de santé ne sont pas
inéluctables. Les différences systématiques d’état de santé pourraient être
évitées par des actions et des choix politiques. Par exemple, si la
croissance économique fournit des ressources pour améliorer les conditions
de vie de la population, mais sans politiques sociales pour répartir de
façon relativement équitable, cette croissance contribue peu à l’équité en
santé. Ainsi les rendements financiers exceptionnels des fonds de placement
profitant à une poignée d’actionnaires ne vont certainement pas contribuer à
réduire les inégalités de santé. Au contraire ces rendements exceptionnels
sont-ils peut-être le résultat de prix écrasés entraînant revenus et
conditions de travail indécents…
La médiocrité et la
disparité des conditions de vie sont les conséquences de politique et de
programmes sociaux insuffisants. Agir sur les déterminants sociaux de la
santé c’est possible. Mais il faut faire intervenir l’ensemble des pouvoirs
publics, la société civile, les communautés locales, le monde des
entreprises et les organismes internationaux. Quel beau défi et choix de
société!
Les inégalités
en santé sont criantes et cette situation n’est pas inéluctable.
Combler ces inégalités est une question de justice sociale. C’est
aussi un impératif éthique car l’injustice sociale tue à grande
échelle, de manière anonyme et silencieuse.
Jean Hermesse
Secrétaire général |
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