Éditorial
(20 novembre 2008)
Médicalisation des difficultés
et mal-être social
La
Mutualité chrétienne a réalisé une analyse de l’évolution de la consommation
d’antidépresseurs et d’antipsychotiques, ainsi que des profils de
consommateurs et les types de consommation.
Pourquoi
parlons-nous d’analyse et non d’enquête? La Mutualité chrétienne a effectué
ce travail à partir des données de l’ensemble de ses membres, soit 4.5
millions de personnes, un peu moins de 45% de la population belge. Les
enseignements, les conclusions qui en ressortent sont donc d’importance.
Premier enseignement
important: en cinq ans (2002-2007), la consommation d’antidépresseurs et
d’antipsychotiques a augmenté de 14%. Durant la même année, le nombre de
patients consommant ces deux types de médicaments a lui augmenté de 22%.
Il est important d’aller
plus en détail sur cette évolution. Parmi les différents critères d’analyse,
le niveau de consommation de deux catégories particulières de patients nous
a interpellé.
Tout d’abord, les femmes
consomment deux fois plus d’antidépresseurs que les hommes. D’autre part,
chez les personnes âgées, en 2007, une personne sur cinq de plus de 75 ans
s’est vue prescrire des antidépresseurs, qu’elle vive à son domicile ou en
maison de repos. Une étude portant sur la consommation de médicaments en
maison de repos, que nous avions réalisée en 2007, indiquait une
consommation moyenne par 44% des personnes d’antidépresseurs, avec des
variations très importantes d’une maison de repos à l’autre.
La consommation
d’antidépresseurs
et d’antipsychotiques semble constituer plus une réponse sociale
au mal de vivre
qu’une réponse médicale.
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Les facteurs
socio-économiques ont également une influence importante sur la consommation
de ces médicaments. Ainsi, on observe 1,4 fois plus de patients consommant
des antidépresseurs au sein des chômeurs. Ces patients sont également 1,8
fois plus nombreux au sein des personnes bénéficiant du statut de BIM
(bénéficiaire de l’intervention majorée).
Complémentairement à ces
facteurs liés au sexe, à l’âge, au statut social, les trois quarts des
personnes qui, en 2007, ont débuté une utilisation d’antidépresseurs ont
reçu la prescription de ces médicaments rédigée par un médecin généraliste.
Ce phénomène s’observe quasi dans les mêmes proportions chez les personnes
ayant commencé à consommer des antipsychotiques.
Tout aussi interpellant,
ces prescriptions sont occasionnelles pour une importante partie d’entre
elles (6.5/10 pour les antipsychotiques; 1/4 pour les antidépresseurs).
C’est-à-dire qu’elles répondent à un besoin passager d’accompagner un état
de mal-être plus qu’à un diagnostic scientifique de dépression nerveuse.
Elles semblent constituer plus une réponse sociale qu’une réponse médicale.
Qui
prescrit et pourquoi?
Dans de nombreux cas, le
généraliste est le seul prescripteur. Et il est exact d’affirmer que
celui-ci garde un rôle central dans la détection et le traitement de la
dépression et de la schizophrénie.
Cependant,
l’articulation entre les généralistes et les spécialistes est évidemment
essentielle.
Outre le rôle central
que doit jouer et que joue le médecin généraliste dans la médecine de
première ligne se pose la question de savoir pourquoi il se retrouve
confronté à des questions qui dépassent la question médicale au sens strict,
pourquoi la réponse demandée par les patients, proposée par l’organisation
actuelle de notre société à ces appels issus d’un mal-vivre, d’une situation
difficile de recherche d’emploi, de vieillesse d’une personne isolée ou non
passe par la médicalisation de la réponse?
Au départ d’une analyse
très intéressante sur “la crise contemporaine de la régulation du champ
médical”, Jean de Munck, professeur à l’Université catholique de Louvain,
écrit: “… On constate le même mouvement dans l’expansion de la santé
mentale. Celle-ci n’est plus d’ordre purement curatif, elle n’est plus
fondée comme la psychiatrie classique sur un ensemble répertorié et objectif
de troubles. Le champ de la santé mentale s’occupe désormais de malaises, de
souffrances multiples, souffrances inclassables, souffrances complexes, qui
renvoient à des souffrances culturelles, à des souffrances sociales, à des
malaises dans le travail. Il est, par exemple, intéressant de constater que
la loi sur le harcèlement moral et sexuel a constitué une espèce de
“santé-mentalisation” du travail qui échappait radicalement à la médecine
jusqu’alors.
Cela met le médecin dans
une situation assez difficile. D’un côté, il continue d’être formé à la
différenciation des sphères. Il continue de se considérer comme médecin et
non comme moraliste. Mais d’un autre côté, des questions éthiques, des
questions morales envahissent son cabinet, et ses interventions participent
autant du conseil que du soin, de l’élucidation d’une situation éthique et
existentielle que de la thérapeutique stricto sensu. …”
De plus, en cas de
dépression, de nombreux autres traitements sont possibles au delà du seul
recours aux médicaments. C’est la raison pour laquelle la Mutualité
chrétienne plaide pour un meilleur accès au remboursement de psychothérapies
de qualité.
C’est la raison
également pour laquelle la Mutualité chrétienne pense que les acteurs des
soins de santé devraient avoir un dialogue approfondi sur les réponses que
les uns et les autres pouvons apporter à ces questions afin de servir au
mieux ceux pour lesquels nous travaillons tous: les patients! Mais aussi
afin que les uns et les autres puissent interpeller les acteurs politiques
et sociaux, en dehors de la médecine, afin de mettre en œuvre des réponses
correctes à des questions fondamentales et éthiques sur le projet de société
que nous construisons.
Alda Greoli
Secrétaire nationale
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