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A suivre... (4 septembre 2014)

Les yeux fermés

© AGEFOTOSTOCK BELGAIMAGE

De petits corps ensanglantés, des hommes égorgés face caméra ou repêchés gonflés d'eau, des morceaux d'humains dans les décombres d'une carlingue, des prisonniers humiliés et des guerriers aux allures terrifiantes… L'insoutenable était encore au rendez-vous des actualités, cet été. Combien de fois n'avons-nous pas fermé les yeux, tourné la page au plus vite ou changé de chaîne, par trop bouleversés ?

Les avertissements des présentateurs n'y font rien. Ils tiennent de la litanie. "Certaines images peuvent choquer". Et les voilà qui tombent sous nos regards installés. Idem sur le papier. Quelle dose de stoïcisme faut-il pour parcourir un journal de référence chaque matin ?, observait l'essayiste Susan Sontag(1), voici dix ans déjà. On sait en effet le risque qu'on encourt de tomber sur des images "susceptibles de nous faire pleurer"… Car les guerres, poursuit-elle, sont devenues aussi des spectacles son et lumière, amenés en direct, jusque dans nos salons. En Syrie, dans la bande de Gaza, en Irak, en Ukraine…, les séquences d'actualité violentes se succèdent à un rythme soutenu. Sans compter les commémorations de la Grande guerre qui font rejaillir aujourd'hui les atrocités d'antan. "Une image chasse l'autre, un génocide succède à un carnage ou surgit entre une publicité et un record du monde", note le professeur Jacques Gonnet, parlant de "blessures d'information"(2), d'un tempo qui s'accélère.

Peut-on tout montrer ? Faut-il tout montrer ? Ce genre de questions ne date pas d'hier. Elles se réveillent au gré des horreurs perpétrées et affichées. Elles convoquent au débat des points de vue divers sur le devoir d'information, sur la nécessité de documenter des événements certes barbares mais véridiques, sur le droit à l'image des victimes, le respect de la dignité des personnes, la protection des jeunes spectateurs…

En tant que public, on veut croire en l'existence de filtres dans la chaîne d'informations comme autant de remparts au voyeurisme. Avant d'être publiée ou diffusée, une image n'est-elle pas sélectionnée ? Choisie, voire montée, elle porte la responsabilité du média qui la transporte, des professionnels qui la relayent. Un vœu pieux sur les réseaux sociaux et autres plateformes comme Youtube, où ces filtres sont quasi inexistants. Par contre, dans la presse, le premier filtre, on l'imagine activé par le photographe ou le journaliste sur place. Il choisit de shooter, de transmettre… cette image plutôt qu'une autre, de commenter de telle ou telle façon.

Et là, nous revient en mémoire cette image récemment exposée au Musée de la photographie de Charleroi. On y voit Raymond Depardon et surtout son acte. Le célèbre photographe filme un enfant agonisant. Sous sa caméra, le petit corps famélique jonche le sol, et se meurt. À l'arrière, quelques autres émaciés regardent la scène. L'image est de Gilles Caron, photoreporter. Il couvrait alors la famine au Biafra. Sur son cliché, "le sujet n'est pas l'enfant qui se meurt, mais le photoreporter en action qui se précipite pour ne pas rater son agonie"(3). Dans sa photographie, s'exprime un véritable don : celui de nous emmener au-delà de l'image elle-même. Il interroge tout de go la recherche forcenée du scoop, le détachement à force d'habitude, la surenchère dans l'horreur… Surtout, il pose la question de l'action. Les photographes ne pouvaient-ils pas intervenir pour sauver l'enfant ? Fournissent-ils de quoi provoquer un élan de solidarité à l'autre bout du monde ? S'ils nous émeuvent, nous conduisent-ils à bouger pour autant ?

Ces questions se rouvrent à chaque vision dramatique. De son côté, Susan Sontag con seille pourtant de se laisser "hanter" par les images douloureuses, pour entamer une réflexion sur notre monde. Cela changera-t-il quelque chose ? En tout cas, si savoir le monde n'est pas le transformer, il y contribue.

//CATHERINE DALOZE

(1) Susan Sontag, Devant la douleur des autres, éd. Christian Bourgeois, 2003.

(2) La violence dans l'information télévisuelle, éd. Fédération Wallonie Bruxelles, 2002, brochure de 88 p., téléchargeable sur www.audiovisuel.cfwb.be

(3) Gilles Caron, le conflit intérieur, dossier pédagogique du Musée de l'Elysée (Lausanne), janv. 2013.

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