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A suivre... (6 décembre 2012)

Tourner sept fois sa langue dans sa bouche…

…avant de parler. Le proverbe invite à être prudent dans l'expression, à soupeser nos mots. Sans doute devrait-il être appliqué à nos doigts sur les claviers. Quoi qu'il en soit, le temps d'arrêt que suggère la maxime pourrait être mis à profit pour gratter un peu et découvrir ce que certains substantifs véhiculent.

La langue ronronne souvent à nos oreilles, sans plus éveiller notre attention. A lire le mot “crise” formulé presqu’au quotidien depuis plusieurs années, voire décennies, on le comprend comme un état continu, on ne distingue plus le paroxysme, le stade aigu que le terme sous-entend. A lire la combinaison “demandeur d'emploi” et “activation”, on baigne dans l'insinuation que les chômeurs seraient trop “passifs” et auraient besoin d'incitants pour s'engager dans la voie active du travailleur salarié, à tout le moins être des “chercheurs d'emploi” affairés autour d'un projet professionnel. A force de parler de “personnes à revenus modestes”, de “défavorisés”, on ressent moins de révoltes que lorsqu'on dit la “misère”. A évoquer les “partenaires sociaux”, on en oublierait les divergences de vues qui séparent organisations syndicales et patronales. Stimuler l'esprit critique vis-à-vis du langage, voilà ce qu'ambitionne une récente brochure de “Question santé” sous le titre Langue de bois et pouvoir des mots(1). “Selon les mots que l'on choisit ou fabrique, on peut costumer les réalités, les rendre plus acceptables ou plus redoutables, les neutraliser et même leur ôter toute signification vivante”. Et finalement modifier des manières de penser.

Chaque époque – chaque pouvoir élabore sa langue, remarque l'essayiste français Eric Hazan qui passe au crible la langue de la Vème République française (soit l'actuel régime républicain en vigueur depuis 1958 en France). Mais aujourd'hui, relève- t-il, les médias constituent un “mégaphone” de diffusion sans précédent et les économistes ainsi que les publicitaires semblent aux manœuvres. Pour cet ancien chirurgien qui passe au scalpel très acéré la langue du pouvoir, les mots de l'émancipation sont mis à l'écart(2). Les travailleurs se muent en “ressources humaines”. Il n'y a plus de classes sociales, mais des couches de population, des tranches d'âge, des milieux, des catégories… Les exploités supposant des exploiteurs ont disparu du vocabulaire pour être substitués par les exclus, pour lesquels les “exclueurs” n'existent pas au dictionnaire de nos conceptions. Les personnages “sans” ont fait leur apparition : sans domicile, sans papiers, sans emplois… On évite les mots du litige, constate E.Hazan. On pratique l’euphémisme – c’est-à-dire l’expression atténuée pour ne pas choquer, déplaire.

Ouvrons brièvement un mini dictionnaire que ces auteurs – et d’autres – nous suggèrent au hasard de leurs lectures, sur la santé en particulier.

> Epidémie : Le terme remplace la “maladie du siècle”, comme étaient qualifiés les lombalgies et autres maux du dos. Il assure plus de sérieux, fort de son origine scientifique, et surtout draine plus d'angoisses. “Car le terme renvoie, dans notre imaginaire à tous, aux grandes épidémies de maladies infectieuses – peste, choléra, tuberculose, sida –, des maladies que l'on peut se transmettre de l'un à l'autre”, décode Question Santé. Les épidémies sont devenues légion dans notre monde globalisé, propice à la propagation. Surtout, elles témoignent de cette tendance à l'hyperbole dans les communications, c'est-à-dire à exagérer l'expression pour produire une forte impression. Quitte à s'écarter du sens premier. Parler d'épidémie d'obésité n'est-ce pas là un drôle de procédé qui stigmatise davantage qu'il ne décrit?

> Médecines parallèles : Acupuncture, homéopathie, ostéopathie… sont regroupées sans distinction en un vaste ensemble très hétéroclite de soins que l'on distingue de la médecine “moderne”, volontiers appelée aussi, assez étrangement, médecine “traditionnelle” ou “classique”. A l’adjectif “parallèle” qui charrie aux yeux de certains des relents occultes, il en est qui préféreront “alternative” avec ses implications de choix, voire d'exclusivité, d'autres choisiront “complémentaire” et les voies de l'interdisciplinarité.

> Usager : Il arrive au “patient” de se muer en “usager”. Dans le cadre de la réforme de la santé mentale, le terme “usager” est préféré à celui de “patient”, celui de “trouble” à “maladie”. “Ce glissement des mots (…) est en tout cas indicatif d’une tendance contemporaine à démédicaliser le vocabulaire du soin, et par là à dédramatiser des situations délicates”, explique Gaëlle Jeanmart de l’asbl Philocité(3). Elle y décèle un pari, celui d’ajuster le monde aux mots – et non l’inverse. “L’enjeu essentiel est de savoir jusqu’où il est possible que quelqu’un qui a été un ‘patient’ d’hôpital, privé de la gestion de son quotidien et entièrement pris en charge par la structure hospitalière, puisse redevenir en effet un acteur de sa vie. Le pari est délicat, estime-t-elle, d’autant que le geste de nommer ne vient pas des ‘patients’ eux-mêmes, mais des ‘agents’ du monde médical. C’est donc aux ‘patients’ maintenant à se réapproprier leur nouveau nom et à devenir effectivement des ‘usagers’.“ Un autre glissement moins souhaitable, mais parfois également utilisé, aurait pu les qualifier de “client”.

Mots pudiques pour éviter de heurter les susceptibilités ou rester dans le ton dominant ; mots “essorés” par les stratégies de communication aux intentions vendeuses inavouées ; mots léchés pour rendre la réalité plus agréable; mots gonflés pour alarmer, mots hermétiques tout droit sortis du jargon médical ou juridique… Aucun usage n'est anodin. Pas question toutefois de se taire, d'oublier le clavier. Le choix des mots requiert de sortir du réflexe pour se faire en toute conscience. Le dictionnaire est toujours à réinventer, pour créer des “paroles libres, non standardisées, non formatées”, enjoint Question Santé. Tandis que d'une oreille ou d'œil plus attentif, nous nous contraindrons à décoder le flux des mots.

// CATHERINE DALOZE

(1) Langue de bois et pouvoir des mots, éd. Question Santé asbl, 2012. www.questionsante.be

(2) Eric Hazan, LQR (Lingua Quintae Respublicae), La propagande du quotidien, éd. Raisons d'agir, 2006.

(3) “Le pouvoir des mots” sur http://reseauho.be/

 


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