A suivre...
(1er novembre 2012)
La planète sous l’embout
du stéthoscope
Le dernier
ouvrage du philosophe Frédéric Lenoir emprunte, à la médecine et à la santé,
son vocabulaire pour appeler à faire face aux bouleversements qui secouent
notre monde moderne. Il titre son livre La guérison du monde(1).
Est-ce à dire que le monde serait malade?
Comme nombre
d’observateurs aujourd’hui, le philosophe le pense. Et le démontre. Il
décrit les symptômes du patient Terre sous la forme d’une longue déclinaison
du terme “crise”: crise économique et financière, crise agricole et ses
effets désastreux sur les paysans, sur la biodiversité…, crise
environnementale marquée notamment par l’épuisement des ressources
naturelles, crise politique, crise sanitaire et psychologique où grippe
aviaire, VIH ou burn-out et dépression s’égrainent comme autant de drames.
L’organisme
planétaire ainsi ausculté fait l’objet d’un diagnostic sévère – fatal à
courte échéance aux yeux des plus alarmés. Mais il existe des voies de
guérison, avance, rassurant, Frédéric Lenoir. Elles nécessitent ce que
d’aucuns nomment très savamment un changement de paradigme. C’est-à- dire,
une manière de voir les choses radicalement différente, foncièrement
inédite. Panser les plaies ci et là, sans changer de logique, c’est oublier
que “le tout ne se réduit pas à la somme de ses parties”, qu’il est
plus que cette somme. “Vous pouvez manger bio, vous chauffez à l’énergie
solaire… et exploiter votre prochain”, lançait, doucement provocateur,
le sage Pierre Rabhi lors d’une récente intervention où il invitait à penser
à l’éthique avant toute technique. Parallèlement, laisser sans soin telle ou
telle zone, c’est oublier l’effet domino ou – autre image initialement
usitée par des météorologues-poètes – l’effet papillon au regard duquel une
variation localisée peut de proche en proche provoquer un grand
chambardement. L’interconnexion est profonde. Jamais dans l’histoire du
monde, elle n’a été aussi forte.
Changer de logique
n’est-ce pas une œuvre de trop grande ampleur? Certains restent confiants,
comme Mathieu Ricard, célèbre moine bouddhiste français, qui rappelle qu’il
n’y a “pas de grande tâche difficile qui ne peut être découpée en
petites tâches faciles”.
Le (ré)enchantement
du monde passe par “une critique lucide et argumentée des logiques
mécanistes et mercantiles qui sont à l’origine de bien des dérèglements de
la Terre et de la société humaine”, affirme Frédéric Lenoir. Voilà la
planète, et nos modes de vie, en nécessité de rééquilibrage. Davantage de
qualitatif, d’être, d’intériorité, de gratuité… devraient imprégner notre
civilisation devenue globale. En conséquence, nous devrions construire
ensemble ce monde sur d’autres valeurs que celles de la logique marchande,
estime le philosophe. Fort de sa connaissance fine des sagesses du monde, le
directeur de la revue Le Monde des religions invite alors à (re)décourvir
des valeurs universelles, observables au cœur de l’ensemble des grandes
civilisations humaines, divergentes dans leur formulation, mais aux traits
saillants similaires. La vérité (qui permet d’orienter sa vie et ses actes
de manière juste), la justice, le respect de l’autre, la liberté, l’amour
(particulièrement la compassion) et la beauté.
Etonnant dernier
item de la liste. La beauté, vue comme une des clés de la sagesse, semble
chère au philosophe. Son petit traité de vie intérieure paru en
2010 mettait déjà en exergue l’expérience du beau, telle une pratique
profonde pour chacun de nous. Et de pointer du doigt notre aveuglement
fréquent, notre insensibilité régulière devant des manifestations toutes
simples de la beauté du monde : dans un reflet, un sourire, un regard... Le
philosophe flirte avec les poètes à la recherche d’autres choses que de
chiffres.
Il passe en revue
des solutions concrètes qui prennent soin de l’humanité malade d’injustices,
de nos êtres qui la composent et la définissent, de la planète meurtrie.
Finance solidaire, commerce équitable, diplomatie de paix, voie de la
non-violence, agro-écologie, dialogue entre les médecines… les remèdes sont
finalement connus. Comme le suggère Pierre Rabhi, il nous faudrait apprendre
à être davantage “les médecins de la Terre”, à en finir avec nos
attitudes de “saccageurs”.
//
CATHERINE DALOZE
(1) Frédéric
Lenoir, La guérison du monde, éd. Fayard, 2012.
|