A suivre...
(6 septembre 2012)
Un livre, une histoire, un
prix ?
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© Pierre Rousseau/Belpress |
Dans
l’antre des libraires, il y a comme un parfum de rentrée. Les commandes
scolaires se bousculent. La livraison aux écoles bat son plein. Le tout sur
fond de ce que l’on appelle aujourd’hui communément la “rentrée littéraire”
avec ses quelque 600 petits nouveaux à accueillir. L’occasion de se
remémorer de vieux débats sur le prix du livre, où se mêlent considérations
marchandes et plaisirs de la lecture.
Septembre, étals du
libraire : un arrivage énorme de romans doit trouver sa place sur les
présentoirs. Cette année encore, plus de 600 nouveaux livres joueront des
coudes. Ce goulot dans l’arrivage “s’explique dans la mesure où il est
rarissime qu’un livre qui ne fasse pas partie de la rentrée – un livre de
février par exemple – participe à la course aux prix littéraires”,
observe Deborah Danblon de la librairie La Licorne (Uccle). Devenu lauréat,
le roman aura une chance de sortir du lot. Il bénéficiera d’un surcroît de
publicité, non négligeable pour figurer en bonne place sur les têtes de
gondole et atteindre le lecteur indécis.
Histoires
d’envie ou de portefeuille
Les lecteurs ne
sont pas une race en voie de disparition. Pour le prouver, on utilisera,
aujourd’hui encore, l’argument massue du succès de ces sept briques qui
racontent les aventures d’Harry Potter. Mais ne nous y trompons pas : les
ventes de livres décroissent(1), beaucoup de lecteurs
attendent le passage en format poche avant d’acheter et ceux qui achètent
plus de 20 livres par an – considérés comme de grands lecteurs – se font
plus rares. Les effets de la crise économique sur le budget des ménages
n’épargnent pas cette forme de loisirs, déjà fortement éprouvée par les
écrans de tout ordre (télévision, console, ordinateur).
Aussi culturel
soit-il, le domaine n’est pas épargné par une rude concurrence en son sein.
D’aucuns souhaiteraient pourtant éviter au “produit livre” les affres des
autres biens de consommation, soumis aux aléas des marchés, à ses lois.
Ainsi, l’idée de fixer, comme en France, un prix au livre pour une période
déterminée – et de l’imprimer directement sur la couverture – entend mettre
sur pied d’égalité le petit libraire indépendant, la chaîne spécialisée
voire la grande surface et son rayon bouquins. L’idée n’est pas neuve :
voilà près de 30 ans qu’elle se discute en Belgique. L’écrivain Hubert
Nyssen, fondateur des éditions Actes Sud, résume le débat – non sans laisser
transparaître ses aspirations : “Si le livre a un prix dans le circuit
économique où sa diffusion le place, il n’en a pas, en tout cas pas de la
même espèce, là où son texte le situe. Les uns estiment que l’on fait et
vend du livre pour créer du profit. Les autres pensent qu’on les écrit et
les diffuse pour assumer un devoir de transmission. Pour les premiers, qui
sont les plus forts en gueule et disposent de moyens financiers que les
autres n’ont pas, la valeur culturelle n’a d’autre fonction que de rendre
désirable un produit appelé à rentabiliser leurs chers investissements. Pour
les autres, le mécanisme économique devrait, à tout le moins, être plus
respectueux du magnifique complément que la pensée donne à la vie. Entre les
deux, comme toujours, erre tout un peuple d’indécis qui, avant de céder au
suivant, se rallient au dernier interlocuteur qu’ils ont écouté”(2).
Histoires
de bénéfices
Actuellement, s’il
est interdit de vendre à perte, certains marchands iront jusqu’à pratiquer
le prix d’achat pour attirer le chaland. Imbattables, alors, ces grandes
surfaces qui profitent par exemple d’un arrivage massif de dictionnaires
pour la rentrée scolaire. La marge des libraires – déjà bien maigre (+/-30
%) – ne fait pas le poids. D’autant qu’elle se réduit encore du fait de la
majoration de prix que quelques distributeurs continuent de pratiquer sur
des livres édités en France et importés en Belgique. La pratique, ancienne
(du nom de “tabelle”), permettait de compenser les frais de douanes et les
fluctuations du taux de change entre les monnaies belges et françaises.
Depuis le passage à l’euro, avec l’impression en France du prix fixé sur la
couverture-même des livres et le développement de plateformes de vente en
ligne (telle Amazon), il est devenu compliqué de justifier cette différence
auprès de l’acheteur, observe Deborah Danblon. Certains libraires font alors
le choix de vendre au prix français, se fournissant en direct chez l’éditeur
et en rognant sur leurs marges. Tabelle, prix du livre… autant de sujets qui
mobilisent – “confraternellement” – ces libraires indépendants au sein du
Syndicat des libraires francophones de Belgique.
Outre un prix
correct et compétitif, c’est tout un métier qu’ils entendent pérenniser. Une
profession de commerçant de proximité, de conseils, de confiance. Qui
préférera déconseiller un livre à cette maman venue chercher de quoi lire
pour sa gamine, plutôt que de lui vendre à tout prix un bouquin
inaccessible, au risque de dégoûter la petite à tout jamais. Un métier qui
donne de la place à la diversité et une chance aux “petits livres” qui,
sinon, seraient asphyxiés par les “blogbusters”. Ne reste qu’à aller à leur
rencontre. Bonne rentrée.
//CATHERINE
DALOZE
(1) Analyse chiffrée dans “Pourquoi harmoniser le prix des
livres français?”, Faits & Gestes, débats et recherches en Communauté
française Wallonie-Bruxelles, hiver 2011. Disponible sur
www.faitsetgestes.cfwb.be
(2) Avant-propos de T.Habrand, “Le prix fixe du livre en
Belgique. Histoire d’un combat”, éd. Les impressions nouvelles, 2007.
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