A suivre...
(5 juillet 2012)
“Ô temps! Suspends ton vol…”*
Quelques jours de repos en perspective et on dirait que le rythme s'emballe.
Vacances et coup d'accélérateur seraient-ils indéniablement liés? L'un
précédant l'autre, comme une sorte de fatalité. Entre les extrêmes, prenons
le temps d'interroger nos rythmes.
Entre les
préparatifs de voyage, les rebondissements scolaires éventuels des enfants,
les demandes des collègues ou des clients pour boucler les dossiers avant
l'été, la déclaration d'impôt, puis l'intendance du quotidien qui
s'agrémente, à la belle saison, du jardin à entretenir, des vitres à tenir
prêtes pour accueillir les rayons du soleil… l'agenda du mois de juin donne
dans le chronométrage. L'embellie est à l'horizon, avec le transat et les
siestes estivales que les vacances annoncent.
Mauvaise
nouvelle pour celui qui attend ses congés d'été pour lâcher prise, pour
s'étaler épuisé de stress en quête de récupération. Accumuler puis d'un coup
tout lâcher, ce ne serait pas efficace. Mieux vaut ajuster le rythme au
quotidien. Les vacances, elles, serviront à “créer des souvenirs agréables
dans lesquels se ressourcer lorsqu'elles sont derrière nous.”(1)
Allonger les journées : le rêve !
Mais
peut-on ralentir le temps ? La revue Sciences humaines de ce mois de juillet
s'interroge dans un dossier très à propos(2). Elle invite
à prendre le temps de réfléchir aux côtés de ceux – de plus en plus nombreux
– qui suggèrent de lever le pied. Car, face au “bougisme”, au grand
accélérateur, à la dictature de l'urgence, au changement perpétuel de notre
monde moderne(3), nombre d'entre nous se prennent à rêver
l'impossible : allonger les journées. Utopie! Les aiguilles ne tourneront
pas moins vite, les jours ne dépasseront pas les 24 heures, ni la semaine
sept jours.
L'impression que le temps file pourrait venir de la fréquence cardiaque.
Plus elle est basse, plus on pense que ce qui nous entoure va vite:
hypothèse de chercheurs. De même, les émotions auraient un effet régulateur.
L'attention portée à un moment en réduirait la durée, l'attente paraissant
presque toujours longue. Quoi qu'il en soit, le temps “objectif” est d'une
stabilité déconcertante et subjectivement, l'impression d'empressement
domine. Pourtant, avec le temps gagné en rapidité de transport, en
mécanisation de certaines tâches – la machine à laver en est une belle
illustration –, nous aurions pu croire notre temps partiellement libéré.
Braver l'accélération : un challenge
Le souci
partagé de “mieux gérer le temps” témoigne de la problématique ambiante.
Certains se lanceront dans la chasse aux “voleurs” ou aux “croqueurs” de
temps : télévision, mails, files d’attente, embouteillages, réseaux sociaux
sur Internet, blogs, entretien et réparation des appareils domestiques,
ménage, courses, démarches administratives, bavardages inutiles, manque de
planification, inaptitude à dire non, indécision… etc(4).
D'autres
préfèreront organiser des “pièges à vitesse”. Ainsi, la Société pour la
décélération du temps(5), de création autrichienne,
sensible depuis plus de vingt ans à la question, a entre autres organisé un
chronométrage amusant : les piétons surpris à parcourir 50 mètres en moins
de 37 secondes étaient invités à s'arrêter et à expliquer les raisons de
leur hâte. Voilà qui participe du mouvement slow (“lent”), un mouvement de
“ralentis” qui s'étend. Slow food – prendre le temps de manger – en était
l'origine, en réaction au “fast food”. Viendront le compléter ensuite le
Slow city (favoriser la mobilité douce en ville), la Slow science (militer
pour des recherches scientifiques faites de réflexion et non d'urgence à
découvrir à tout crin), etc. Dans une sorte de déclinaison à l'infini, on
pourrait y ajouter aussi la Slow musique en rejoignant un pianiste attentif
au sujet, Uwe Kliemt. Beethoven jouait sa Sonate opus 106 en une heure,
explique-t-il, alors qu’aujourd'hui certains virtuoses l'achèvent en 35
minutes. Si les deux versions ne manquent pas d'émouvoir, il est bon de
savoir goûter à la lenteur de la version originale.
A l'aise, pas flémard
Le premier
combat des adversaires de la vitesse revient à dissocier “lenteur” et
“oisiveté”, “lenteur” et “pataud, flémard, endormi, ennuyeux…”, autant
d'images disqualifiantes de l'homme qui n'est pas pressé. Valeureuse
croisade, s'ils n'oublient pas d’être cohérents. Leur conquête du temps ne
doit pas se faire sur le dos d'autrui, en pressant les autres. La caissière
qui devrait vite scanner les achats. L'automobiliste ou le piéton qui
devrait réagir plus rapidement aux feux de circulation. Le serveur qui
tarderait à servir l'apéro…
//CATHERINE DALOZE
*
Alphonse de Lamartine
(1) David Servan-Schreiber, “Notre corps aime la vérité.
Chroniques 1999-2011”, éd. Robert Laffont, 2012, p.104.
(2) “Peut-on ralentir le temps”, dossier du mensuel
Sciences humaines, juillet 2012.
(3) Voir les ouvrages de sciences sociales cités dans le
dossier de la revue Sciences humaines.
(4) Erik Pigani, “Petit cahier d’exercices pour ralentir
quand tout va trop vite”, Editions Jouvence.
(5)
www.zeitverein.com
(site en allemand et en anglais).
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