A suivre...
(21 juin 2012)
La relation au bout des
doigts
Boulevard
Reyers. Bruxelles. Journée d'information de la Fondation contre le cancer.
Au programme: les grandes avancées en cancérologie. Au milieu du déploiement
de la recherche médicale, une petite voix insiste : “prière de toucher”
l'humain.
La salle Diamant
est bondée. Des spécialistes en chimiothérapie, radiothérapie, imagerie
médicale ou chirurgie oncologique s'apprêtent à décrire – avec des mots
simples pour un public de néophytes – les progrès de leurs sciences. Des
incisions chirurgicales qui se réduisent. Des cicatrices qui se font presque
invisibles. De l'irradiation qui se programme de plus en plus finement. Des
molécules "intelligentes" qui se montrent capables d'attaques plus ciblées.
C'est d'abord une
patiente qui monte sur scène. Bien qu'impressionnée par le public venu en
nombre, Dominique donnera un ton particulier aux considérations
scientifiques. Elle y insuffle de l'humain, de la chair. “Un médecin m'a
regardée en voyant un avenir en moi. J'ai vu la vie dans ses yeux,
explique-t-elle. Il y a le regard et aussi le toucher. Quant ils m'ont
annoncé le diagnostic, les deux jeunes médecins se trouvaient au bout de mon
lit. Je me suis trouvée un peu honteuse… On n'est pas des pestiférés. On a
besoin d'amour, de compassion. Le toucher est un autre cadeau”.
Du corps blessé,
meurtri, vieilli, les gestes, trop souvent, se détournent. C'est jeune,
belle et lisse que la peau bénéficie de la considération contemporaine. De
la faveur de ses regards, à tout le moins. Car le toucher a globalement
mauvaise presse de nos jours. “Manger avec ses doigts, se gratter, taper
sur l'épaule d'un camarade, tâter la marchandise… apparaissent comme des
gestes d'un autre âge”, observe l'ethnologue Christian Bromberger(1).
Notre civilisation y reconnaît parfois des manières d'enfant, souvent de la
vulgarité, voire du vandalisme ou de mauvaises intentions. Quand il
indiquait "prière de toucher" en lettres capitales sur son tableau,
l'artiste Marcel Duchamp titillait la bienséance. D'autant que son œuvre
représente un sein féminin en relief, mis sous verre. Double provocation de
sa part qui évoque l'exposition de l'intime, mais rappelle surtout
qu’aujourd'hui encore le toucher est découragé (don’t touch!). Au musée,
comme ailleurs, nous nous tenons à distance. Nous pensons ainsi prévenir
toute contagion, protéger des intrusions, garantir la sécurité.
N'en déplaise à
notre civilisation robotique et virtuelle, le besoin de toucher, d'être
touché “ne disparaît pas en l'homme”(2). Pour
preuve, l'essor que connaissent les thérapies corporelles comme les
massages, la relaxation, la réflexologie.... Plus encore, les bienfaits du
contact physique sont attestés… scientifiquement. D'abord, celui-ci
constitue un facteur de croissance. Le médecin, auteur à succès, David
Servan-Schreiber titrait ainsi une de ses chroniques: “Les caresses qui
font grandir”(3). Il y fait référence à des
expériences sur les ratons et des observations sur les enfants en couveuses.
“Sans contact physique, la partie du génome qui produit les enzymes de
croissance cesse de s'exprimer et le corps entier entre en hibernation”.
Et de s'interroger - un rien moqueur et ironique - sur les conséquences de
cette découverte. “Verrons-nous bientôt des couveuses agrémentées d'un
bras électronique prodiguant des caresses à heure fixe?”
Assurément, rien ne
remplacera la main humaine. Comme le montre cette autre expérience relatée
par le même Servan-Schreiber : “Richard Davidson, l'un des plus grands
chercheurs en neurosciences, a évalué la peur et la douleur chez des femmes
soumises à de petits chocs électriques. Une IRM (imagerie par résonance
magnétique) mesurait l'activité de leur cerveau. Si elles étaient seules
pendant l'expérience, elles avaient peur, souffraient physiquement. Et leur
cerveau émotionnel était particulièrement activé. Si un des membres du
laboratoire qu'elles n'avaient jamais rencontré auparavant et dont elles ne
voyaient pas le visage, leur tenait simplement la main, elles avaient moins
peur. Mais elles avaient toujours mal. Leur cerveau montrait moins
d'anxiété, mais toujours l'activation de la douleur. En revanche, si leur
mari leur tenait la main, alors là, le cerveau se calmait à tous les niveaux”.
CQFD, s'il fallait
le démontrer, la douceur de la main, si elle ne guérit pas, prend soin.
Indéniablement.
//CATHERINE
DALOZE
(1) “Toucher”. Terrain, n°49, 2007. Voir
http://terrain.revues.org/5641
(2) Bernard
Andrieu, “Toucher. Se soigner par le corps”, éd. Les belles lettres, 2008.
(3) David
Servan-Schreiber, “Notre corps aime la vérité. Chroniques 1999-2011”, éd.
Robert Laffont, 2012.
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