A suivre...
(15 mars 2012)
Manger est-il devenu un
acte militant ?
“Nos
systèmes alimentaires rendent les gens malades”, signale Olivier De
Schutter, rapporteur spécial de l’Onu sur le droit à l’alimentation et
successeur du bouillonnant Jean Ziegler. Dans le collimateur, on trouve bien
entendu la sous-alimentation dont souffre une large partie de la population
mondiale, et la “faim cachée”, celle des carencés, des malnutris.
Plus étonnant, le scrutateur de l’alimentation vise aussi l’autre extrême :
le surpoids et l’obésité qui affectent 1,3 milliard de personnes(1).
Le droit à
l’alimentation – devenu son combat et son métier –, Olivier De Schutter
l’envisage non seulement comme l’accès à une nourriture suffisante mais
aussi comme la “possibilité d’avoir un régime alimentaire équilibré et
nutritif”. La pléthore de pilules amincissantes, de méthodes
d’accompagnement à la perte de poids, de messages d’attention à nos styles
de vie dit l’ampleur du problème. Mais cette profusion se limite à une série
de remèdes médicaux qui ne s’attaquent pas aux “problèmes systémiques”
à l’origine de la “mauvaise nutrition”.
De l’avis du
rapporteur spécial, il y a bien d’autres actions à mener. Ce 6 mars, dans
son rapport au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, il en
identifie cinq : taxer les produits préjudiciables à la santé ; réglementer
les aliments riches en graisses saturées, en sel et en sucre ; mettre un
frein à la publicité pour la malbouffe ; réviser les subventions agricoles
peu judicieuses qui rendent certains ingrédients moins chers que d’autres ;
et soutenir la production alimentaire locale pour que les consommateurs
aient accès à des aliments sains, frais et nutritifs.
Taxer la
malbouffe
Les Unes des média
ne semblent avoir retenu que la proposition relative à la taxation des
produits préjudiciables à la santé. Et les commentaires des observateurs
interrogés sur ce point sont allés bon train. Les uns – comme le Crioc –
préférant, à l’idée de l’augmentation de la TVA sur les produits néfastes à
la santé, celle de sa réduction sur les fruits et légumes ; les autres –
comme Test Achats – considérant la mesure trop facile et la problématique
plus large, plaidant alors pour un meilleur étiquetage ou encore un contrôle
accru de l’industrie agroalimentaire… Réactivité trop immédiate? Une lecture
plus approfondie du rapport permet en tout cas de remarquer que l’idée de
rendre les aliments sains plus accessibles n’est pas absente du rapport de
De Schutter(1). Les mesures de taxation des biens de
consommation sont en effet souvent critiquées pour engendrer une
augmentation des prix pour le consommateur en bout de course et pénaliser
les plus pauvres. Ces derniers “consacrent une part proportionnellement
plus importante de leur revenu à l’alimentation et sont souvent contraints
d’adopter des régimes alimentaires dommageables pour la santé. On peut y
remédier en utilisant les recettes fiscales pour rendre les aliments sains
plus accessibles, car ce sont les prix relatifs qui doivent changer”,
lit-on dans le rapport. Surtout, aux yeux du rapporteur onusien, le prix –
s’il n’est pas à négliger – n’est pas le seul facteur à l’origine de la
situation. D’autres mesures s’imposent, pour “refaçonner les systèmes
agroalimentaires”.
Cette
nourriture usinée qui nous emplit
Parmi les éléments
pointés du doigt par Olivier De Schutter, comme par de nombreux autres
observateurs des comestibles : les aliments transformés. Au grand bénéfice
de l’industrie agroalimentaire, ils abondent, avec leur richesse en acides
gras saturés et trans, avec les sel et sucres ajoutés. Même le “fait maison”
des restaurants est atteint, révèle le restaurateur français Xavier Denamur,
à l’origine du film “République de la malbouffe”(2).
Gains de temps et de main d’œuvre à l’appui, les livraisons de produits
usinés par l’industrie font office de fréquentation du marché matinal pour
nombre de cuisiniers et remplacent les bonnes relations avec les producteurs
du cru, les paysans d’à côté. La restauration se met en mode “service” et
perd ses accents d’art de vivre. Elle déballe et réchauffe, plus que de
sélectionner et de façonner – devenu presque acte de résistance.
Nos goûts souffrent
de formatage. La saisonnalité disparaît au profit de la disponibilité de
toutes sortes de mets, à tout moment de l’année. Et, dans une fin louable de
nous simplifier l’existence, le “pré-préparé” se développe. Le prémâché et
le déjà-cuit font des ravages. Ainsi le raconte le professeur François
Desgrandchamps, urologue, au travers d’une expérience aussi insolite que
révélatrice avec des pythons et de la viande. La recherche a montré les
effets de l’absorption du prémâché et du cuit sur la prise de poids(3).
“L’absence de mastication fait l’obèse”, résume-t-il.
Le
marketing du frigo
La balle est-elle
dans le camp du consommateur? Dans les choix de ses produits, dans sa
manière de les consommer, dans son oubli d’être à l’écoute de son sentiment
de satiété? Pas uniquement. D’autant que nos fourchettes sont sous
influence. Le marketing rivalise souvent de “bonnes idées” pour nous inciter
à consommer ce qui lui rapporte. En guise d’exemple, le diététicien Patrick
Mullie parle des stratégies à l’œuvre avec les aliments light – qui
entendent faire débourser pour éviter de grossir –, avec l’augmentation de
la taille des portions…(4) “Comment résister, par
exemple, à une offre aussi alléchante qu’un hamburger pour 1 euro, deux pour
1,3 euro?, écrit-t-il. En tant que consommateurs, nous avons appris
à faire attention à notre argent, donc ceci a tout l’air d’une superbe
occasion de faire une bonne affaire. En réalité il achète surtout un second
hamburger dont il n’a nul besoin”. Et les exemples se multiplient. A
grand renfort de moyens. Interpellant, le constat du rapporteur de l’Onu
pour le droit à l’alimentation : “En 2010, les entreprises américaines
ont dépensé, 8,5 milliards de dollars en publicité pour de la nourriture,
des confiseries et des boissons non alcoolisées, alors que 44 millions de
dollars avaient été budgétisés pour le principal programme d’alimentation
saine du gouvernement américain”.
Les messages
d’attention à la santé qui accompagnent les pubs de biscuits, chips et
autres sodas – sur les chaînes de télévision françaises notamment – ont des
airs de bien maigres cache-misères. Bien plus, il y a des priorités à
changer, voire un renversement de logique à opérer sur le terrain du – super
– marché.
//
CATHERINE DALOZE
(1) Rapport disponible sur
www.srfood.org
(2) Dossier et DVD diffusés dans le mensuel
Rue 89, n° février-mars 2012.
www.rue89.com
(3) Nourris de viande hachée et cuite, les
pythons prennent plus de poids que ceux qui sont nourris avec la même
quantité de la même viande mais crue et sur os.
(4) Patrick Mullie, “Engraisser les
actionnaires? L'obésité, conséquence des lois de l'économie de marché?”,
dans
Education Santé, n° 233, avril 2008.
|