À suivre...
(16 février 2012)
La crise : un moment à saisir
Difficile aujourd’hui de regarder l’avenir avec
optimisme! Y a-t-il une entreprise, une association, un parti politique ,
une banque… qui ne connaît pas LA crise?
La crise n’est pas seulement celle des banques ou de la
finance. Les plaintes surgissent de partout. L’impression prévaut que “tout
fait problème” : trouver l’équilibre entre travail et vie privée,
disposer d’un revenu suffisant, trouver un emploi après ses études, se
loger, se chauffer, financer un logement, se constituer une épargne,
construire une famille, prévoir sa pension… Les consommateurs adoptent des
stratégies de résistance. Ils changent leurs habitudes de consommation. Ils
sont plus soucieux de la pertinence de leurs achats. Les magasins de seconde
main ont la cote. A l’occasion des cadeaux de fin d’année, ils ont connu de
beaux jours. Les familles achètent en plus petites quantités pour éviter le
gaspillage. Malgré tout, les difficultés de paiement sont à la hausse pour
des biens essentiels comme le logement ou le chauffage.
D’autres voient la crise plus précisément comme une
opportunité : faire le tri entre ce qui est important et ce qui ne l’est
pas. Ils en témoignent sur l’Internet : “Forcément, à force de voir des
reportages à la télé montrant des familles, dont les deux personnes
travaillent, galérer pour finir le mois, cela fait réfléchir. Alors
qu’auparavant, on pouvait toujours se préserver en se disant ‘non, cela
ne nous arrivera pas’, aujourd’hui, rien n’est moins sûr… je ne sais pas
si l’on peut parler réellement de ‘crise’. Je dirais plutôt un
assainissement, tant sur le plan économique qu’écologique. Les dernières
générations ont fait des excès, qui ne pouvaient durer éternellement. Nous
le payons aujourd’hui. La crise a ceci de bon qu’elle va devoir assainir
certaines choses et, espérons-le, quelques inégalités… La crise met en
lumière ce qui ne va pas dans notre monde. Après, va-t-on prendre les bonnes
décisions? C’est une autre question…” C’est même la seule vraie
question.
Pour ceux et celles qui ont grandi dans les années
cinquante et soixante, “le Progrès” ne pouvait que “progresser”.
Une crise ne pouvait déboucher que sur un mieux. Aujourd’hui, le tragique
est devant nous, et nous ne savons qu’en faire.
Un monde s’en va, un autre survient
Affronter une crise, quelle qu’elle soit, c’est porter un
jugement critique sur les évènements. C’est surtout faire le tri entre ce
que l’on veut abandonner et ce que l’on veut créer. Voilà pourquoi le
sociologue français Michel Maffesoli affirme que “La crise est dans nos
têtes”(1).
Cela ne veut pas dire qu’il faut nier la réalité de la
crise. Celle-ci est vécue difficilement au quotidien par des milliers de
citoyens. Les chiffres du chômage atteignent des niveaux jamais atteints
depuis longtemps. Les travailleurs – en particulier les cadres –
s’inquiètent, déstabilisés par les exigences de rendement, les objectifs de
compétitivité et l’esprit de concurrence qui prévaut entre collègues. Si le
travail demeure globalement protecteur par rapport aux maladies induites par
le chômage, certaines manières agressives d’organiser le travail engendrent
des stress chroniques, qui peuvent conduire à des dépressions sévères….
Jusqu’au retrait du circuit du travail.
Aujourd’hui - c’est un chiffre record - 265.000 salariés
bénéficient en Belgique d’une indemnité d’invalidité. Soit une augmentation
de 17% en six ans. Ce nombre devrait atteindre entre 294.000 et 302.000
unités en 2015. Soit, une augmentation de 45% en dix ans. On retrouve en
fait dans les statistiques de l'Inami, des chômeurs de longue durée ou des
personnes en fin de carrière qui n'en peuvent plus de subir des conditions
de travail de plus en plus dures et des pressions de plus en plus fortes qui
engendrent stress et burn-out.
La hausse des suicides en Europe est un indice lourd de
l’importance des difficultés actuelles du monde du travail. La revue
médicale britannique “The Lancet” (9 juillet 2011) constate ainsi pour la
Grèce, sur la période 2008-2011, une hausse de 40 % des suicides ! La hausse
est de 8% en Grande-Bretagne et de 13% en Irlande. Le fait est connu des
sociologues : en période de crise la tentation du suicide s’aggrave. Mais,
alors qu’Emile Durkheim en parlait déjà à la fin du XIXème siècle, on entend
dire moins souvent que “si les crises industrielles ou financières
augmentent les suicides, ce n’est pas parce qu’elles appauvrissent, puisque
des crises de prospérité ont le même résultat : c’est parce qu’elles sont
des crises, c’est-à-dire des perturbations de l’ordre collectif…”
On connaît des régions du monde économiquement prospères
et pourtant en crise, tant les inégalités, les injustices et la corruption
s’y sont développées. Pour s’en faire une idée, il suffit de se reporter au
classement annuel établi par le PNUD (Programme des Nations-Unies pour le
Développement). Si l'Indice du développement humain (IDH) montre certains
progrès au niveau mondial, il indique une perte globale de 23% en un an,
lorsqu’il tient compte des “inégalités”. Ainsi, malgré leur quatrième
position globale, les Etats- Unis passent à la 23ème place.
Le mal-être s’approfondit lorsqu’on se rend compte que les
solutions avancées n’annoncent pas de vrais changements. Une crise, cela
doit servir à quelque chose! Ce qui est en jeu, ce sont des espoirs anciens
mais toujours neufs: passer d’un monde vers un autre, plus juste, plus
fraternel au lieu de remettre en selle un monde ancien à bout de souffle : “La
crise, affirme le sociologue français Maffesoli (1), n’est
pas celle d’une économie dominée par la financiarisation mais bien celle,
plus profonde, du productivisme, d’une croissance sans autres horizons que
ceux d’une société de consommation dont on connaît les contours et dont on
est en train de mesurer les limites.”
Voulons-nous encore perdre notre vie à la gagner? La
recherche du qualitatif ne détrône-telle pas l’obsession du ‘progrès en
termes quantitatifs’? L'écologique ne remet-il pas en question la priorité
au ‘tout-économique’ ? La prouesse des résultats financiers n’est-elle pas
seconde par rapport à la qualité de vie en société? On a trop souvent
reproché à notre société de développer, avec la profusion des technologies
de communication, des réflexes individualistes. On a peut-être parlé un peu
trop vite. Car ce soi-disant individualisme a aussi permis de développer des
réseaux de résistance. Il a favorisé l’apparition d’une “nouvelle
manière d’être ensemble” en revalorisant la dimension qualitative de
l’existence, de nouvelles cultures tribales ou claniques, pour reprendre les
termes du sociologue Maffesoli.
//CHRISTIAN VAN ROMPAEY
(1) Michel Maffesoli, La crise est dans
nos têtes. Editions Jacob-Duvernet, 2011
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