A suivre...
(2 février 2012)
L'expertise scientifique, le jeu de la vérité ?
Affaire après affaire, les politiques de santé
publique voient leur aura pâlir. En France avec le Mediator®, en
Belgique avec le vaccin contre la grippe A/H1N1. Parmi les critiques, celle
adressée aux experts scientifiques, pas suffisamment objectifs ou trop liés
aux intérêts commerciaux de l'industrie.
Voici un an, on apprenait par le menu la stratégie perfide
des laboratoires Servier autour du Mediator®, en France. Les
média sortaient de l'ombre un véritable scandale autour de ce médicament,
commercialisé malgré les nombreuses contre-indications qui apparaissaient au
fur et à mesure de ses prescriptions. Cela aura duré près de 35 ans.
Voici un mois, on apprenait incidemment en Belgique – à la
lecture d'un rapport de la Cour des comptes sur les dépenses de l'Etat – que
les 5,1 millions de doses de Pandemrix devaient être jetées. Les voilà
périmés, ces vaccins acquis par le gouvernement belge pour 110 millions
d'euros, au bénéfice de la société GSK! Les risques de pandémie de grippe
A/H1N1 avaient été surestimés. Ce constat est sans doute trop facile à
affirmer a posteriori. Par contre, il est d'autres éléments à instruire :
ainsi celui que relève le journaliste David Leloup (1)
quand il évoque “l'inquiétante opacité entourant le choix du vaccin”
: pas d'appel d'offres public et un contrat exclusif avec un seul fabricant.
De là à soupçonner des profits mal acquis…
Indépendants de l’industrie?
Ces événements ne laissent pas sans réactions. En France,
depuis l'affaire Mediator®, le système de contrôle des
médicaments est soumis à des velléités de réformes plus ou moins
convaincantes. Fin 2011, une loi était adoptée dans ce sens. Il s'agit
notamment, pour les laboratoires pharmaceutiques, de déclarer toutes les
rémunérations qu'ils versent aux experts et aux institutions qui les
emploient, de rendre publics tous les avantages qu'ils procurent aux
médecins, sociétés savantes et autres experts. En Belgique, la question de
l'indépendance de l'expertise en santé publique était encore récemment
décortiquée. Des députés écologistes soucieux de poursuivre les auditions de
la Commission santé publique de la Chambre menaient le débat, le 20 janvier
dernier, pour dégager des recommandations au Parlement fédéral
(2).
C'est, en effet, sur le terrain des conflits d'intérêt que
se centre une partie de l'attention. Parce qu'il arrive à l'expertise
scientifique de pêcher par déficit d'indépendance. Parfois, des liens trop
étroits avec l'industrie introduiraient des biais dans les essais cliniques
ou les évaluations de risque. Des fabricants peu scrupuleux allant jusqu'à
s'assurer les services d'auteurs fantômes, qui signent des conclusions de
recherches auxquelles ils n'ont pas participé. Les bonnes pratiques de
laboratoire imposent en effet une série de règles pour voir une recherche
“homologuée”. Parmi celles-ci : fournir les données brutes et informer des
conditions de la recherche pour permettre une reproduction des mêmes tests,
le tout sous le sceau d'un scientifique. Mais certaines pratiques laissent
songeur. Comme s'il existait deux sciences, simplifie le biochimiste John
Fagan de Earth Open Source : celle de l'industrie et une autre,
indépendante. La première estime plus volontiers les produits et substances
comme “sûrs et sains”. Tandis que la seconde en note davantage les dangers.
Surtout, la première regorgerait de moyens. Et serait presqu'un passage
obligé pour tout scientifique, s'il veut financer ses recherches et rester à
la pointe.
Déclarer un conflit d’intérêts
Pour tendre à la neutralité des avis, les procédures de
déclarations de conflit d'intérêts se généralisent dans les institutions
publiques. Le Conseil supérieur de la santé belge vient de se doter d'un tel
outil, que l'Institut scientifique de la santé publique ou l'Agence fédérale
des médicaments et produits de santé utilisaient déjà. Des déclarations plus
ou moins détaillées sont exigées afin d'évaluer les risques de trop grande
proximité. Parfois elles sont publiées sur le Net. Un gage de clarté ou une
transparence de façade? Quant à l'idée de diffuser l'enregistrement des
débats d'experts, pour permettre le contrôle démocratique, elle n'engendrera
que langue de bois et négociations parallèles, estiment généralement les
observateurs.
Au vu des rapports qu'entretiennent industrie et experts,
certains en arrivent à penser que l'indépendance n'existe pas. Sur le petit
territoire belge, d'autant moins, faute d'un réservoir d'experts suffisant.
D'autres estiment au contraire qu'il y a lieu de renforcer l'indépendance,
voire de travailler à sa valorisation – à l'aide de soutiens financiers et
de reconnaissances symboliques. Mais voir tout lien entre les industries et
la recherche scientifique comme l’expression d’un conflit d’intérêt,
n'est-ce pas adopter une lecture intégriste? Le professeur Denis Zmirou-Navier
le croit. Pour lui, l'important est la pluralité des expertises. Le
processus collégial, l'arbitrage entre les avis, la diversité des points de
vue seraient gages d'avis plus éclairés, de jugements sans chapelle pour
permettre les décisions politiques.
Des experts d’un autre genre
A cet égard, l'implication des profanes – c'est-à-dire des
non scientifiquement instruits – perce. L'expertise de l'expérience s'impose
de plus en plus aux côtés des techniciens. On se rappelle le recours à des
“experts du vécu” dans l'évaluation des politiques de lutte contre la
pauvreté. Mais, là aussi, les conflits d'intérêts existent. Nombre
d'associations de patients dépendent par exemple du financement de
l'industrie pharmaceutique. Pas de naïveté: toute partie prenante est partie
à la cause; l'important est de savoir d'où chacun parle, d'instaurer une
dynamique de débat, de confronter les avis, de laisser de la place aux
“dissidents”, à ceux qui titillent les évidences.
// CATHERINE DALOZE
(1) Journaliste récompensé par le prix de
la presse Dexia pour ses articles sur le vaccin. Voir son site:
www.mediattitudes.info
(2)
www.ecologie-politique.be
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