A suivre...
(15 décembre 2011)
Derrière les sapins,
un peu d’intimité
Camille - statut sur facebook : “a fait un joli sapin de Noël, tout
doré”. Charles : “a mis son sapin”. David : “Ils vont être gâtés pour Noël”.
Marie : “cadeaux de Noël : checked!”…La saison des fêtes bat son plein sur
la Toile. Elle laisse un arrière-goût de futile, de fausse intimité
partagée.
Entre deux “post”, les connectés frénétiques prennent-ils encore le temps de
savourer? N’est-il pourtant pas agréable de faire durer le déballage des
décorations chaque année retrouvées, chaque année réagencées? Souhaitable
d’aller à tâtons vers les choix de suspendre une étoile ici ou là, de
dérouler les guirlandes comme ci ou comme ça? La juste place fait son
chemin. Et plus que l’efficacité, c’est le plaisir de créer qui prévaut.
Mais prennent-ils le temps de sentir l’humeur, les branchés en mode FB(1),
avant de la poster? Un sapin est entré chez eux. En ont-ils senti l’odeur à
pleines narines, en ont-ils admiré le scintillement autrement que sous le
fugace déclic d’un flash, pour afficher au plus vite la photo du phénomène?
“Aujourd’hui quand on rencontre quelqu’un, juste après la poignée de
main et un regard furtif, on note les noms des sites et des blogs. La séance
devant les écrans a remplacé la conversation. Après la rencontre, on ne
conservera pas le souvenir des visages ou des timbres de voix mais on aura
des cartes avec des numéros. La société humaine a réussi son rêve: se
frotter les antennes à l’image des fourmis. Un jour, on se contentera de se
renifler.” C’est ce que
note, avec une pointe d’humour et un brin d’éthologie, l’explorateur Sylvain
Tesson lors de son ermitage, troublé par le passage de deux kayakistes
allemands plus affairés à exhiber leurs photos de périple qu’à profiter du
panorama(2). Le paysage doit pourtant être d’une splendeur
à couper le souffle, au bord du lac Baïkal, au cœur des forêts de Sibérie.
Sous le couvert des pins, l’homme – voyageur avide jusque là – a choisi de
passer six mois, de février à juillet 2010. Là, il expérimente l’immobilité,
il part à la recherche de ce que le voyage ne lui apporte plus: la paix. Il
se love en solitaire, à cinq jours de marche du premier village, avec -30°
en hiver et proche des ours en été. Son abri: une cabane de bois, comme
“un laboratoire. Une paillasse où précipiter ses désirs de liberté, de
silence et de solitude. Un champ expérimental où s’invente une vie au
ralenti.” Le voilà navigateur immobile. “Privé de voiture, l’ermite
marche. Privé de supermarché, il pêche. Privé de chaudière, son bras fend le
bois (…) Privé de télé, il ouvre un livre”. Privé de contact – en
dehors du passage sporadique de l’un ou l’autre voisin logé à des kilomètres
– il a rendez-vous chaque jour avec son carnet de notes. Un rituel qui le
contraint “à prêter meilleure attention aux événements de la journée, à
mieux écouter, à penser plus fort, à regarder plus intensément”. Loin de la
dispersion des villes, il profite du froid, du silence et de la solitude,
“des états qui se négocieront demain plus cher que l’or”, sur une Terre
surpeuplée, surchauffée, bruyante.
Ces pas de côté, ce séjour dans un “havre de vide”, ces jours libérés de duo
infernal de l’action-réaction dégagent un goût d’essentiel. Lorsqu’on
regarde la vue par la fenêtre, tantôt ébloui par un rayon du soleil, tantôt
happé par un ruissellement pluvieux, lorsqu’on foule les mêmes sentiers au
gré des saisons, lorsqu’on contemple chaque jour l’horizon, lorsqu’on
explore le tout proche dans ses recoins, la beauté des lieux nous emporte
toujours plus encore. Certes, la vie en cabane “décape l’âme, met l’être
à nu, ensauvage l’esprit et embroussaille le corps, mais elle déploie au
fond du cœur des papilles aussi sensibles que les spores. L’ermite gagne en
douceur ce qu’il perd en civilité”, écrit Sylvain Tesson, quelques
jours avant de repartir.
Et si nous nous accordions une pause, si nous cultivions notre douceur? Mais
“une vraie pause, pour récupérer, savourer, ne plus faire mais être”,
comme la décrit l’auteur Christophe André(3). Pas un de
ces arrêts dans le travail pour s’activer dans le loisir, mais une pause où
l’on respire pleinement, où l’on marche profitant de chaque pas, où l’on
regarde le ciel, les nuages. Pas une de ces pauses qui fatiguent le cerveau
autrement, de ces pauses, pendus au téléphone ou rivés sur la Toile. Si nous
prenions le temps de vivre les instants? Peut-être pas d’une manière aussi
radicale que l’explorateur sibérien, quoique…
//Catherine Daloze
(1) Raccourci d’usage chez les pressés parlant de
facebook.
(2) Sylvain Tesson, “Dans les forêts de Sibérie”, éd.
Gallimard, 2011.
(3) Le psychiatre français est l’auteur d’un blog :
http://psychoactif.blogspot.com/
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