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A suivre (18 mars 2010)

Entre labeur et bonheur

 

Chez les caissières de Carrefour, on a pu apercevoir la stupeur et le désarroi. En février, la direction a annoncé 1.672 licenciements, 21 fermetures de magasins. Et tel celui des marchandises, le coût humain est traduit en chiffres. On dit, entre autres, qu’elles coûtent cher les dames qui transbahutent nos achats d’un bout à l’autre du tapis.

 

Voyons les statistiques que nous livrait en 2008 l'une d’entre elles, décidée à témoigner de son expérience dans un Super français. Sous le titre “Les tribulations d’une caissière” (1), Anna Sam, ancienne hôtesse de caisse, raconte son travail et relate par le menu l’ordinaire vécu derrière les caisses, “lieux incontournables pour notre consommation quotidienne” (2) et pourtant bien méconnu des passants que nous sommes. Elle voulait “casser l’image d’un métier dévalorisé et montrer qu’au contraire, ce métier (car oui, elle l’a toujours dit, caissière, c’est un métier, un vrai !) est indispensable et au final bien plus difficile qu’il n’y paraît.” 

 

La jeune française comptabilise : pour 850 euros net sur la fiche de paie en fin de mois (3):

> 15 à 20 articles à enregistrer par minute ;

> 700 à 800 articles enregistrés par heure ;

> 800 kilos d’articles soulevés par heure ;

> avec en moyenne, par jour, 250 bonjours, 250 aurevoirbonnejournée, 500 mercis, 200 avez-vous la carte de fidélité, 70 vous pouvez composer votre code, 70 vous pouvez retirer votre carte, 30 les toilettes sont par là…

> 6h15 le nombre maximum d’heures de caisse d’affilée ;

> 3 minutes de pause par heure travaillée (si vous souhaitez 18 minutes pour manger, il faudra que vous ayez déjà travaillé au moins 6 heures …).

Ces comptes distillés avec humour donnent cependant à réfléchir.

 

Le travail, c'est la santé

D’abord, comme l’espère Anna Sam, notre prochain passage à la caisse prendra peut-être une autre allure. “(…) la prochaine fois que vous ferez vos courses, écrit-elle, observez bien les hôtesses de caisse et découvrez les gestes secrets qu’elles utilisent quotidiennement pour sculpter leur corps de rêve. Travailler en caisse, c’est encore mieux que de fréquenter une salle de sport…”.

Ensuite, sur sa lancée humoristique, nous risquons d’entonner avec Henri Salvador “Le travail c'est la santé... Rien faire c'est la conserver... Les prisonniers du boulot... N'font pas de vieux os”. Certes, travailler peut nuire gravement à la santé, comme le détaille la sociologue Annie Thébaud-Mony (2) forte d'exemples de ce qu'elle perçoit comme des formes modernes d'exploitation. Travailleurs touchés par l'amiante, ouvriers dans le démantèlement de navires, la militante cite aussi l'histoire d’une infirmière ou celle d'une hôtesse de caisse. Cette dernière, blessée en soulevant un bac d'eau, se retrouvera sans emploi, elle était sous contrat à durée déterminée. Aux yeux d'Annie Thébaud-Mony, ceci illustre l'injonction contradictoire vécue par la caissière où se mêlent le maintien de la cadence et le service attentionné au client-roi.

 

La productivité se fait plus pressante – tout en maintenant le sourire - et la flexibilité est au rendez-vous des hôtesses (4).

 

Leur job est pourtant essentiel à leurs yeux. Et pas nécessairement pour le salaire. Quand elle analyse leurs témoignages, la sociologue Isabelle Ferreras (5) évoque le sentiment d'utilité à la société et la recherche d'intégration sociale qui mobilisent les caissières. Exister aux yeux des autres, avoir un statut social, être autonome, donner un sens à sa vie sont autant de raisons de bosser dans le secteur.

 

Question de sens

Ce constat vaut pour beaucoup d'entre nous. Avoir un travail rémunéré reste essentiel pour la vie personnelle et sociale(6). Pourtant l'emploi semble se raréfier, se fragiliser, devenir incertain et fluctuant même pour ceux qui en bénéficient. “Le sentiment d'insécurité des travailleurs est immense, indique l'économiste Philippe Defeyt, et devient une vraie forme de violence”.

 

Alors que l'emploi est devenu une obsession majeure dans notre société, le travail se présente comme un “marché”. Philippe Defeyt distingue – “grossièrement” précise-t-il - trois catégories de travailleurs qui s'y côtoient. “La première division, c'est le top. Ce sont des gens pour qui, à la limite, le travail est précaire parce qu'ils changent tout le temps d'emploi, volontairement!” Et de citer l'exemple du spécialiste européen des marchés à terme sur les métaux rares. La division deux: ce sont les travailleurs “qui font valoir leurs compétences mais il y en a des centaines de millions d'autres ailleurs (dans le monde) qui peuvent l'être ou le devenir autant qu'eux”, comme les monteurs automobiles par exemple. “La troisième division est constituée des travailleurs à qui on ne demande pas beaucoup, sinon d'être disponibles et corvéables à merci”. Ils souffriront moins de la mondialisation – comment délocaliser des techniciennes de surface? – que de la surabondance de leur profil sur le marché. La concurrence apparaît rude.

 

Les valeurs entrent en conflit, analyse le Cefoc (Centre de formation Cardijn), entre “sens de ma vie” et “contraintes collectives” (6). “Le vivre-ensemble solidaire que nos sociétés ont construit autour du système de l'emploi est mis en question”. Pas étonnant, dans ce contexte, de voir surgir cette question provocatrice qu'empoigne le Centre de formation pour adultes: “Pourquoi travailler encore?”. Sans véritable réponse, l'interrogation se précise: “quelle forme de travail pour aujourd'hui et quelle place lui donner?”.

 

De telles réflexions sont sans aucun doute à poursuivre; elles exigent des expérimentations. En attendant, pour les travailleurs de Carrefour, il s'agit de faire front.

 

// Catherine Daloze

 

(1) Anna Sam, “Les tribulations d’une caissière”, éd. Stock, 2008.

(2) Annie Thébaud-Mony, “Travailler peut nuire gravement à votre santé”, éd. La découverte, 2007.

(3) A titre indicatif une caissière chez Carrefour, avec une carrière de 11 années, touche un salaire net de 1.233 euros/mois (primes comprises, pécule de vacances, etc.) pour un temps plein. Voir Le Soir du 25 février 2010.

(4) Dans la grande distribution, on recourt par exemple 4 à 5 fois plus souvent au travail à temps partiel que dans les autres secteurs.

(5) Isabelle Ferreras, “Critique politique du travail. Travailler à l'heure de la société des services”, éd. Presses de Sciences po, 2007.

(6) “Pourquoi travailler encore ? Sens, non-sens, décence du travail et du non-travail aujourd'hui”, recherche coordonnée par Thierry Tilquin, éd. Cefoc, déc. 2009. Infos: 081/23.15.22 ou www.cefoc.be

 

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