A suivre...
(17 septembre 2009)
Peurs de fou
Loin des grains de folie, des petits foufous ou des fous d’amour, la folie
et ses troubles drainent leur lot d’inquiétudes, d’effrois.
Le fou? On le fuit en se détournant de sa route, en s’éloignant autant que
possible, en n’osant pas le regarder. Car derrière la folie, on entend aussi
“fous à lier”, “fous dangereux”.
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@ Stiki |
L’homme
est d’un âge indéfinissable. Il a l’allure d’un vieillard dans sa
démarche lente, les mains derrière le dos, un rien courbé. Mais il a
aussi le look d’un gamin, une casquette vissée sur la tête, qu’il
pleuve, neige ou vente. La même casquette. Chaque jour, plusieurs fois
sur la journée même, il sort de chez lui pour faire un tour dans le
village. Toujours le même tour. Suivant le même parcours. Avec les mêmes
arrêts. Les mêmes interpellations quand il vous croise: un «Eh là,
toi ça va» lancé sur un ton qui n’appartient qu’à lui. Toujours le
même ton. Mais attention, cette entrée en matière est uniquement
réservée aux personnes qu’il connaît. Sinon, il marmonnera des choses
incompréhensibles, mangeant la plupart de ses mots; il vous regardera à
demi hagard, bouche ouverte, à distance… Vous l’aurez vite compris, il
n’a plus toute sa tête. C’est le fou du village, en somme.
Un fou qui fait
partie de la vie du bled. Un fou sans lequel le quotidien du coin ne serait
plus le même. Il vit seul dans sa maison depuis le décès de ses parents, il
y a longtemps déjà. Il n’a pas été placé en institution. Il reçoit de l’aide
pour ses repas, pour son jardin… La plupart des habitants du coin, il les a
connus tout petits. Et il raconte toujours les mêmes histoires sur
lesquelles vous vous concentrez vaille que vaille pour les comprendre à
moitié. Tout cela, on vous l’expliquera lors de votre emménagement; cela
fait partie de l’ “initiation” à ce nouvel environnement que ne manqueront
pas de vous apporter les voisins. Vous l’aurez compris, lui aussi est un
repère. Pas de panique donc. Après deux ou trois rencontres avec ce proche
habitant au comportement bizarre, vous n’aurez plus peur de lui.
De l’inquiétude, voire du rejet
Car de peurs, il
est bien souvent question quand on parle de folie; qu’elle relève du
handicap mental(1) plus visible, comme dans le récit
ci-dessus, ou de souffrances psychiques qui se voient moins comme la
névrose, la paranoïa, la schizophrénie, les troubles anxieux, alimentaires
ou dépressifs.... Les individus dont la santé mentale apparaît mise à mal
suscitent l’inquiétude voire le rejet. «Il n’existe dans le public aucune
conception de ce qu’est la maladie mentale, et l’idée de perdre la maîtrise
de son cerveau, de sa pensée, crée une angoisse terrible, explique Paul
Arteel, directeur de l’Association flamande pour la santé mentale. Les
gens ont peur de tout qui se comporte étrangement, différemment. C’est une
peur qui existait au Moyen âge, quand on mettait les fous dans des bateaux
qu’on envoyait en mer, ou dans des asiles pour ne plus jamais les voir.
Cette peur est encore là, sous-jacente. Elle entraîne le déni»
(2).
Attention danger
“L’idée de perdre la maîtrise de son cerveau, de sa pensée, crée une
angoisse terrible. Les gens ont peur de tout qui se comporte
étrangement, différemment.”
Paul Arteel. |
Une campagne
organisée actuellement par l’Autre Lieu (3), sous le
slogan “Peur(s) de fou(s)”, met un coup de projecteur sur nos réactions face
à ce que nous désignons comme folie, face aux troubles psychiatriques de
tout ordre. L’asbl, qui s’intéresse aux liens entre santé mentale et
société, interroge ces peurs. Ce sont les stéréotypes collés aux termes de
folie ou de maladie mentale qui sont à l’origine de sa campagne de
sensibilisation. Trop souvent, folie ou maladie mentale sont associés à
danger, violence ou agressivité. La monstruosité et la terreur qu’elle
engendre ne sont pas loin dans nos imaginaires.
Ainsi, le
voisinage d’un hôpital psychiatrique ou d’un centre de jour craindra pour sa
tranquillité, pour ses enfants…. Un passé psychiatrique devra rester tabou
sous peine d’exclusion. Les proches le cacheront comme une honte. Les
amalgames seront trop rapides entre criminels et malades mentaux, alimentés
par des raccourcis médiatiques trop fréquents autour du “fou dangereux”.
D’après une étude
sur la santé mentale réalisée en France, commettre un meurtre est associé,
pour 45% de personnes interrogées sur un échantillon de quelque 40.000, au
fait d’être fou. Pourtant d’autres chiffres montrent qu’il n’y a pas plus de
personnes criminelles ou qui commettent des délits parmi les malades mentaux
que parmi la population. Par contre, les crimes violents contre les patients
malades mentaux sont, quant à eux, plus fréquents que dans la population en
générale.
Cette part d’inconnu
Les soignants ne
sont pas épargnés par la peur, explique ce professionnel évoluant dans le
milieu de la psychiatrie depuis de nombreuses années. Surtout vis-à-vis de
patients qu’ils ne connaissent pas. Face à leurs patients, certains seront
taraudés par l’énigme de savoir “sommes-nous ensemble dans le même endroit,
au même moment?”. L’imprévisible inquiète.
D’aucuns, acteurs
de la santé, du monde politique ou d’autres secteurs seront tentés de
classer à l’excès, de cadrer dans un diagnostic fermé, souhaitant prévoir au
maximum, éviter tout risque. Mais ce serait oublier la part d’opacité qui
caractérise la maladie mentale, comme un jardin secret aux tréfonds parfois
bien mystérieux.
«La maladie
mentale, même si les progrès de la science en éclaircissent une part de
mystère, restera toujours une part d’inconnu et d’incompréhensible en nous,
explique Christiane Bontemps, directrice de l’Institut wallon pour la
santé mentale. Et donc, il y aura toujours cette cassure avec la société,
qui a de plus en plus besoin de certitudes».
Reste à s’approcher, à s’apprivoiser.
Catherine Daloze
(1) On parle de handicap mental lorsque les capacités
intellectuelles d’un individu sont déficientes. Paul Arteel, «Découvrir la
santé mentale, pour apprendre à accepter l’autre», éd. Cera Foundation,
2003.
(2) Dans «Au plus près des gens. Une mosaïque d’idées et
d’expériences autour de la santé mentale», 2005. Publication du Fonds Reine
Fabiola - www.kbs-frb.be – 02/549.61.86.
(3) L’Autre Lieu, rue Marie-Thérèse, 61 à 1210 Bruxelles
– 02/230.62.60 – www.autrelieu.be
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