A suivre...
(4 juin 2009)
Ecran noir
sur leurs nuits blanches
Juin,
les étudiants bloquent. La période est intense et catalyse les tensions,
voire les souffrances de certains d’entre eux. Qu’en est-il de leur santé et
plus particulièrement du rapport qu’ils entretiennent avec les écrans? Un
coup d’œil sur leurs pratiques ne manque pas de nous interpeller. Dans nos
modes de vie, de consommation, dans nos gestions du temps, dans nos modes de
communication en devenir.
Les
étudiants, on a tendance à les considérer en bonne forme, pleins de santé,
vigoureux… Hormis peut-être en cette période d’examens, où l’on conçoit le
stress qu’ils ressentent. Quoique, diront certains d’entre nous, s’ils ont
bien étudié durant l’année… Ne sont-ils pas dans la force de l’âge? Ne
sont-ils pas plus résistants que leurs aînés? Et pourtant… Le Service d’aide
aux étudiants de l’UCL (1), en observateur de
proximité, perçoit à y regarder de plus près que la santé, le bien-être
n’est pas toujours au rendez-vous. L’université – et l’on pourrait sans trop
de distorsions élargir le propos à l’école – peut être pathogène voire
morbide. Elle peut rendre malade, remarque Xavier Renders, vice- recteur aux
Affaires étudiantes de l’UCL. Et d’évoquer les pathologies de la brillance,
de la réussite incontournable, de la soumission au regard jugeant, au savoir
dominant qui peut entraîner de grandes souffrances.
Pour faire le point et
élaborer des pistes de travail, le Service d’aide a dégagé une série de
thématiques. On y retrouve comme de bien entendu, l’alimentation, les
activités physiques, la vie affective et sexuelle, le vivre ensemble… Puis
aussi des sujets que l’on pourrait, de prime abord, envisager comme
particuliers au monde étudiant: l’alcool et la guindaille, les échéances
académiques, les nouveaux medias. Sans nier la spécificité de cette période
de l’existence, du statut d’élève ou d’étudiant, les réflexions sur ces
sujets ne sont pas sans intérêt pour tout un chacun.
Des écrans à foison
Penchons-nous un instant
sur la place des écrans dans la vie des étudiants. Bien entendu, il y a
l’écran de télévision. Mais aujourd’hui celui-là partage notre espace de vie
avec d’autres écrans. Avec le mini écran du gsm branché en permanence, à
portée de main pour être saisi dès qu’il vibrera ou émettra le moindre son.
L’écran de l’ordinateur – portable de plus en plus souvent – qui du salon,
voire même du lit, donnera accès au réseau Facebook et aux petites nouvelles
quotidiennes, parfois même horaires, des amis plus ou moins proches, qui
donnera accès à You Tube et ses vidéos en tout genre, accès à MSN et ses
dialogues furtifs… L’écran portable emmené jusque dans l’auditoire, qui
remplace le bloc-notes pour garder traces des propos du prof et qui, à
l’image d’un cockpit, est ouvert sur plusieurs fenêtres en même temps.
Ces vingt dernières
années ont vu fleurir petits et grands écrans. Il n’est plus concevable pour
un étudiant, comme pour bon nombre d’autres personnes d’ailleurs, de ne pas
disposer d’un ordinateur et de la connexion sœur. Tant d’informations
transitent par ces voies. Et elles concernent aussi les études. Mise en
ligne de syllabi – pirates ou non -, réactualisation des horaires de cours,
partage de notes et constitution de réseaux d’étudiants… sont autant de
nouveaux comportements en lien avec l’écran. Les professeurs ne sont pas en
reste avec ces présentations power-point au rythme hypnotique qui
accompagnent leurs propos, avec le recours aux systèmes électroniques de
détection des plagiats… Les équipes éducatives sont amenées à réfléchir, à
prendre en compte ces nouveaux outils et leurs modes d’appropriation par les
étudiants. Face aux amoncellements de gigas de notes, face à la montagne de
textes à imprimer, face à l’électronisation des valves… quel
débroussaillage, quelle méthode de travail, quel coût, quel contact en chair
et en os, quelle maîtrise de sa disponibilité?
«Que
l’écran d’internet ait récupéré à son profit du temps passé précédemment
devant la télévision n’est en soi pas dramatique, estiment Média-animation
(2). C’est même assez compréhensible du fait de la
participation active qu’il réclame du spectateur. Ce qui serait plus
dommageable, c’est que les écrans, tous les écrans cumulés, (...) entrent en
concurrence déloyale avec le temps bien nécessaire à passer physiquement
avec ses proches et avec les activités corporelles et sportives, que réclame
un corps sain au service d’un esprit sain.»
Un art à cultiver
Le temps passé avec
l’écran, les étudiants disent “ne pas le compter”. Et c’est souvent la
surprise quand, à notre demande, ils en font le calcul, explique Françoise
Voglaire psychologue au Service d’aide. S’il existe quelques réfractaires
aux écrans, a contrario une autre minorité est complètement accro, embarquée
sur des sites chronophages.
Chaque usage est marqué
de l’empreinte d’une personne et de ce qu’elle transporte avec elle,
remarque Thierry De Smedt, professeur à l’UCL. Pour lui, on a tendance à
reprocher à l’écran ce qu’il révèle, alors qu’il serait comme le crochet
d’une souffrance. Supprimer l’écran, c’est supprimer le terrain d’accrochage
mais pas le problème. C’est plutôt l’art de la consommation qu’il y a lieu
de développer. Ainsi se questionner – qu’est ce que j’y trouve? Qu’est ce
que j’y fais? A quelle heure suis-je disponible? Quand est-ce que j’allume
l’écran, quand est-ce que je l’éteints? – amorce le dépassement. Et de
plaider pour apprendre à domestiquer l’usage de l’écran, à lui donner une
place réfléchie, à en faire une technologie consciente, à le cultiver.
Du point de vue de
Thierry De Smedt, ce nouveau mode de rapport au monde, au savoir, aux gens…
nous devons en mesurer l’ampleur sans pour autant estimer que “avant c’était
mieux”. Mais comment contrer le manque de respect de cet élève qui a filmé
un prof en mauvaise posture, de celui qui a déversé sur le Net des propos
malveillants à l’encontre d’un congénère? Le spécialiste des médias nous
engage à surtout réfléchir à l’éthique qui nous guide, plutôt qu’à édicter
des règlements comme les écoles se sentent contraintes de le faire parfois.
Une éthique qui touche tant le contenu de ce que nous véhiculons sur ces
petites machines, que la manière dont nous nous en servons.
A nos usages réfléchis,
à nos temps hors connexion.
Catherine Daloze
(1) ‑Le service organisait ce 26 mai, une matinée
d’études, dont les actes seront publiés en septembre.
Infos: www.uclouvain.be/aide -
010/47.20.02.
(2)
www.media-animation.be/Faut-il-craindre-une.html
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