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A suivre... (5 novembre 2009)

 

Devancer les adieux

Ces jours derniers, nos cimetières se colorent de petites touches; les défunts qui nous sont proches animent quelques-unes de nos pensées; la mort entre un peu dans la vie, alors que nous avons souvent l’habitude de la tenir à l’écart, de ne la considérer que lorsqu’elle frappe, inopinément…

C’est pourtant de moins en moins souvent de manière réellement inopinée que la mort survient. Elle fait davantage suite à une maladie, et se présente de façon relativement prévisible et attendue, pour près de deux tiers des personnes. Il n’empêche qu’elle reste un choc, et qu’envisager sa venue n’est pas chemin aisé. Et si les traditions autour de la Toussaint sont toujours bien présentes, si trois personnes sur cinq se rendent au cimetière à cette époque, comme le remarque le Crioc, par contre, peu de gens ont déjà pris des mesures pour leur décès.

 

“Non, je ne partirais pas”

Nombreux sont ceux qui avancent «Non, je n’irai pas à l’hôpital, quoi qu’il arrive, je veux rester chez moi». Est-ce cette force magique de la maison telle que la définit Gabriel Ringlet(1), qui est ici à l’œuvre et nous amène à nous trouver mieux chez nous, alors que l’hôpital signifie le lointain, se vit comme un exil, comme une perte d’identité? Dans les faits, cependant, une personne sur deux pratiquement terminera ses jours à l’hôpital; sans nécessairement y avoir séjourné longtemps.

«Dans notre société, la mort est un événement fortement médicalisé, constatent les chercheurs de la Mutualité chrétienne qui se sont penchés sur l’accompagnement en fin de vie. Et cela va à l’encontre de l’humanisation souhaitée par beaucoup». A contrario d’une médicalisation à l’excès, le suivi en fin de vie par un médecin généraliste ou en unité de soins palliatifs serait, quant à lui, gage d’un moindre recours aux services d’urgence, à des traitements dits agressifs, et permettrait plus souvent de finir ses jours dans un environnement familier. Ainsi, aux yeux des chercheurs, le rôle du médecin généraliste apparaît comme prépondérant, de même que celui des autres soignants, et de l’entourage à soutenir pour privilégier la fin de vie à la maison. Une voie souvent mal connue car l’information sur les services existants n’est pas optimale. Une voie qui ne va pas sans accepter une part de risque, car la présence de soignants 24 heures sur 24 au chevet du patient dans son habitation n’est pas réaliste.

Entre l’espoir de poursuivre la vie et la conscience d’un proche au revoir, nous oscillons.

Entre l’espoir de poursuivre la vie et la conscience d’un proche au revoir, nous oscillons. N’avons-nous pas du mal à donner la liberté de s’en aller à un proche en fin de vie, du mal à «rester sur le seuil», dirait l’écrivain Christian Bobin? N’avons-nous pas tendance à reporter les soins dits de conforts, à les voir arriver avec angoisse? Les soins palliatifs à domicile ou au sein d’une unité spécialisée pâtissent de cette réticence à intégrer notre condition de mortel. Trop souvent, on y recourt fort tardivement, en les assimilant aux soins terminaux. Trop souvent, on les oppose au curatif alors que le rayonnement de l’un vers l’autre serait tellement avantageux.

Malgré tout, la prise en compte de la souffrance et de la douleur gagne du terrain; même si l’évaluation de la douleur doit encore être affinée, comme l’explique Yannick Courtin, responsable d’une unité palliative.

A entendre les journées d’études et autres colloques organisés sur le sujet, la fin de vie se réfléchit; l’accompagnement se pense… Et le corps n’est pas seul concerné, le spirituel n’est pas laissé hors des débats. Ainsi lorsqu’il évoque la souffrance en fin de vie, Yannick Courtin, la décrit comme multiforme, sans faire l’impasse sur la souffrance dans la prise de conscience de sa finitude, dans l’interrogation sur le sens de sa vie, sur le sens des épreuves…

 

“Je n’aurai pas vaincu”

«Vaincre la mort, vaincre la maladie: grotesque et arrogant!», écrit Christiane Singer dans un livre où elle témoigne des six derniers mois de sa vie (2). «Dira-t-on de quelqu’un qui a repoussé son déjeuner de deux heures qu’il a vaincu la faim ou de quelqu’un qui prolonge sa soirée de deux heures qu’il a vaincu le sommeil? Si je dois survivre de quelques mois ou de quelques années… et même de quelques décennies, sait-on jamais, je n’aurai pas vaincu la mort, je l’aurai totalement, amoureusement intégrée.»

Davantage que de résister, nous voilà enjoins à «cultiver notre humilité», selon l’expression de la philosophe Catherine Bert, à ne pas posséder la vie comme un bien; à accepter de lâcher prise malgré nos peurs face à cette incertitude ultime que nomme l’ethnopsychiatre Daniel Schurmans; à laisser l’autre partir malgré nos révoltes. «Je te déteste d’être mort», dit la jeune Sylvia à son père mort brutalement dans le dernier roman de Eva Kavian (3). «La tombe de mon père. Est-ce possible? Je n’ai jamais imaginé, moi, que tu étais mortel. Ca ne meurt pas les pères. C’est là, ça dure, ça reste. C’est du béton.»

Devancer la mort, «devancer tout adieu»: Gabriel Ringlet s’inspirant de Jean Sulivan nous pousse à l’envisager, et plus encore à le traduire en actes. Nous ordonnent-ils une programmation de notre décès? Assurément non.  Nous emmènent-ils sur des chemins morbides? Assurément non. Ils nous invitent plutôt à vivre plus intensément l’aujourd’hui; à oser par exemple, alors qu’un proche nous quitte, rompre avec les usages en vigueur qui amènent à poursuivre la vie professionnelle comme si de rien n’était, parce que la vie continue; à oser un retour sur nous-mêmes et nos fragilités, à ne plus vivre à la surface de nous-mêmes, dit le philosophe Guy Haarscher.

Tous et toutes nous sommes “gros” de la mort – nous la portons en nous – et nous avons à la mettre au monde, dira Gabriel Ringlet. Etrange retournement que de placer la mort au cœur de la vie, comme le morceau d’une route, où nous tenterons de finir notre vie en pleine conscience de la beauté du monde, sans vouloir l’emporter avec nous.

Catherine Daloze

 

(1) Lorsqu’il décrit l’accompagnement d’une femme très proche traversée par un cancer qui se généralise et les allers retours entre l’hôpital et la maison. Gabriel Ringlet, “Ceci est ton corps. Journal d’un dénuement”, éd. Albin Michel, 2008.

(2) Christiane Singer, “Derniers fragments d’un long voyage”, éd. Albin Michel, 2007.

(3) Eva Kavian, “Ne plus vivre avec lui”, éd. Mijade, 2009.

 


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