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A suivre... (3 septembre 2009)

 

A ceux qui déchiffreront
avec peine ce qui suit…

A l’heure de la rentrée des classes, alors que des bambins vont noircir leurs premiers cahiers, resurgissent de mauvais souvenirs pour certains sortis de l’école sans être à l’aise avec la lecture ou l’écriture.

En Belgique francophone, les adultes en grande difficulté par rapport à l’écrit représenteraient 10% de la population. Ce sont les estimations de Lire et écrire, coordination francophone d’initiatives d’alphabétisation. Elles surprennent par leur ampleur. Elles sont pourtant relativement minimalistes, d’après Lire et écrire, qui dit se garder de la dérive tendant à élever sans cesse le seuil à partir duquel une personne est considérée comme analphabète.

Les histoires d’apprenants donnent à entendre un tout autre point de vue que la fainéantise ou la bêtise.

La base de ses chiffres, l’association la trouve dans des études voisines en Flandre et en France. Sans données spécifiques pour la partie francophone du pays, Lire et écrire établit des déductions qui mènent à ce pourcentage. Mais quand peut-on dire qu’une personne est analphabète ou illettrée? La notion comporte une dimension subjective. Etre analphabète ou illettré, est-ce n’avoir jamais touché à l’écrit ou ne pas en avoir un usage fluide…?  En d’autres époques, savoir signer sous une autre forme que d’une croix suffisait pour indiquer son alphabétisation. Aux yeux de Lire et écrire, les savoirs de base acquis à la fin de l’enseignement primaire constituent le seuil de compétences pour qu’une personne ne soit plus considérée comme analphabète ou illettrée.

 

Le “dard du mépris”

L’étiquette fait honte, beaucoup cherchent à cacher leurs difficultés. “Le dard du mépris perce la carapace de la tortue” écrivait Julos Beaucarne en préface d’un livre où des apprenants écrivent, se décrivent, s’écrient “Enfin des mots pour prendre sa vie en main!” (1). C’est que les adultes illettrés ne proviennent pas tous de pays éloignés où les écoles n’existent pas, où l’enseignement est réduit à portion congrue. Certains ont pris place plusieurs années sur les bancs des écoles belges; ils y ont suivi l’enseignement. Mais ils en sont sortis sans que soient ancrées pour eux les compétences de base en lecture et écriture. Ils n’ont pas pratiqué, ils ont oublié… Adultes, ils sont honteux de ne pas savoir, d’autant plus s’ils ont suivi un parcours scolaire en Belgique. N’apparaît-il pas inconcevable de sortir de l’école sans savoir ni lire, ni écrire, alors que l’enseignement est obligatoire? Comme l’explique ce quadragénaire qui, fort de son expérience, a été à l’origine de l’association “Osons en parler” (2), “on trouve peu d’excuses quand on a été à l’école et qu’on n’a pas appris. On se voit vite coller une étiquette de bon à rien ou de débile” (3). Une idée préconçue à combattre.

 

Derrière l’étiquette

Les histoires d’apprenants donnent à entendre un tout autre point de vue que la fainéantise ou la bêtise (4). Elles évoquent des parcours scolaires écourtés. Comme pour cette dame de 70 ans, qui avait 5 ans quand la guerre s’est déclarée en 1940. “A Comines, les fermiers nous prenaient dès 8/9 ans pour faire divers travaux. A 12 ans, j’ai dû travailler chez des nobles comme servante, jusqu’à mon mariage à 17 ans.”  Elles évoquent aussi des parcours empreints de difficultés. Comme pour ce peintre en bâtiments de 38 ans dont la langue maternelle est le français: “J’ai été mis à l’école flamande, mais mes parents ne savaient pas lire ni écrire et ne pouvaient me soutenir. Comme ça, je n’arrivais pas à suivre en primaires. Puis, pendant 5 ans, j’ai suivi l’enseignement spécial professionnel, en français. C’est là que j’ai appris un métier, à peindre...”. Devenu père d’une petite fille de presque 6 ans, il la voit grandir; il est tenaillé par la crainte que sa fille apprenne qu’il ne sait ni lire ni écrire. C’est le cas, aussi, de cet homme dont les parents ont ouvert un restaurant fin des années soixante. Son oncle et sa tante se sont alors occupés de lui. A l’école, on le mettait à l’arrière de la classe et il se mettait à l’écart des autres. L’instituteur lui disait: “Je te fais passer ‘de vieillesse’ dans la classe au-dessus”. A 14 ans, toujours en primaires, il quitte l’école pour commencer à travailler.

Les histoires d’apprenants évoquent souvent des parcours empreints de ruptures. Comme pour cette jeune femme de ménage de 35 ans abandonnée toute petite. Elle vit en pensionnat toute sa jeunesse et suit l’enseignement spécial jusqu’à ses 19 ans. Elle a acquis une base en lecture et écriture, mais “elle a beaucoup à rattraper”.

Les récits de vie de ces apprenants qui ont dépassé leur honte pour réapprendre à lire et à écrire mieux, démentent les stéréotypes. Ils amènent à considérer les causes de l’illettrisme dans leur multiplicité. Surtout, ils enjoignent à changer de regard. Pour ne plus avoir à rougir de son histoire, pour trouver du sens à celle-ci et sortir de l’“ici et maintenant”, pour enclencher “une dynamique de reconquête”, pour faire sienne la notion d’un “tous capables”.

Les patrons, l’entourage ou la famille ignorent souvent la situation des personnes illettrées. Celles-ci vivent de subterfuges et sont sur leurs gardes, évitant de se retrouver confrontées à la lecture ou à l’écriture, par peur de l’humiliation, des quolibets… C’est tout un travail de restauration de l’estime de soi qu’elles doivent entamer, en reprenant l’apprentissage. Toute une démarche pour passer d’un “je suis bête”, ancré à tort dans leur esprit, à un “je ne sais pas” qui ouvre les portes d’un possible apprentissage.

Le premier pas franchi, leurs trajets ne pourront se suffire de temps de formation courts et linéaires; ils ne prendront pas place dans un programme défini strictement et cloisonné. L’expérience l’atteste: ces trajets d’apprentissage seront marqués par les tâtonnements, par les chemins de traverse, par la multiplicité des accompagnements. Ils auront comme jalons un panaché de méthodes – loin du strict abécédaire. Avec – surtout – le soutien utile d’un groupe de pairs face au fantôme “échec”.

Catherine Daloze

(1) “L’illettrisme, il faut le vivre…”, éd. Noir foncé et Lire et écrire Verviers, 2005.

(2) L’Illettrisme Osons en Parler, 4, Bd de Gérarchamps à 4800 Verviers – 087/35.05.85.

(3) “Lire et écrire à Verviers. Des apprenants veulent changer les regards…”, cahier Labiso n°61-62, mai 2006. Voir www.labiso.be

(4) Lire notamment les parcours d’apprenants - recherche –action menée par Charles Duchene, sur http://publications.alphabetisation.be

 


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