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A suivre... (1er novembre 2007)

 

Repenser le deuil

pour mieux le panser

 

A l’heure où les rites autour du deuil s’étiolent, où le sujet relève du tabou, où nos sociétés modernes évitent de nous confronter à la mort hormis au travers d’un écran qui la rend lointaine, d’aucuns s’en soucient. Ils invitent à penser cette “traversée obligatoire et incontournable”.

Chantal Myttenaere est auteure, réalisatrice et enseignante dans une école de promotion sociale qui forme des éducateurs à Roux. “L’école dans laquelle j’enseigne est en état de choc, écrit-elle lors du décès d’un membre de sa communauté scolaire en 2006. Les étudiants auxquels je donne cours sont hébétés. Ils viennent d’apprendre la mort de Robert, notre homme à tout faire. Véritable pilier de l’école, Robert était connu de tous et connaissait chacun des étudiants avec lesquels il s’entretenait longuement lors des pauses. Démarrer mon cours comme si rien ne s’était passé m’est impossible”. Elle construit alors en direct pour la classe un atelier d’écriture. Pour “tracer un chemin dans le fossé creusé entre l’absence de rituels et le vécu solitaire”, pour “faire passage entre douleur et apaisement”, pour “panser le deuil”. Cette forme inédite de travail sur le deuil, elle la relate aujourd’hui dans un livre (1) qui invite à se saisir de l’outil individuellement ou collectivement, à l’adapter, à agir à l’annonce de la mort d’un proche.

“Les rites autour de la mort sont mis à mal. Et pourtant ne demeurent-ils pas nécessaires pour apaiser la détresse de ceux qui vivent le deuil?”

Si autrefois, le deuil s’affichait, de nos jours “l’expression des émotions est considérée comme inconvenante”, résume la psychothérapeute Nadine Beauthéac, dans un article qu’elle intitule “le chemin du passage perdu” (2). “On n’a plus le droit de s’émouvoir en public. Les larmes, la peur sont du domaine du privé. Nous nous sentons le devoir d’être discrets de nos malheurs, sous peine d’être considérés comme une personne anormale, en proie à quelque pathologie”. Finis les vêtements noirs portés pour signifier le deuil, finies les heures passées à veiller le mort, les cortèges funèbres; les “endeuillés sont en errance”. Ils maquillent leur accablement, font mine de sourire, et c’est ce qu’on leur demande, si démunis que nous sommes face à la perte; tant la douleur nous fait peur. Elle est tue.

La mort est pourtant “surmédiatisée”, constate Michel Guissard, chargé de cours de philosophie auprès de futurs intervenants sociaux. On peut observer avec lui, qu’elle envahit les écrans: catastrophes naturelles, attentats, guerres, meurtres… Ces morts figurés à l’écran n’auraient-ils pas tendance à banaliser le regard que nous leur portons, tandis que nous ne voyons plus guère nos proches, nos voisins à l’heure de la mort? “Face aux logiques d’individualisation actuelles, face à l’étiolement des appartenances ou à leur multiplicité, les rites autour de la mort sont mis à mal, remarque encore le philosophe. Et pourtant ne demeurent-ils pas nécessaires pour apaiser la détresse de ceux qui vivent le deuil? Sans doute, à conditions de les réformer, de leur donner un sens qui tienne compte des logiques nouvelles dans lesquelles ils s’inscrivent”.

Au travers d’un atelier d’écriture, Chantal Myttenaere propose de “briser le silence, d’oser les mots de la souffrance” et comme le note en préface Noëlle Châtelet, “d’œuvrer ensemble afin que le chagrin se répartisse entre tous et s’allège pour chacun”. Des allers-retours entre travail individuel et travail collectif mènent à la production d’un texte souvenir que les étudiants concevront en lettre cadeau envoyée à la famille de Robert. Des portraits crayonnés à la description d’une série d’objets qui représentent la personne et une liste de qualités, de défauts qui le caractérisent, en passant par le partage d’anecdotes, d’histoires vécues, des textes se construisent, nourris de tous ces éléments. Ils sont photocopiés, amendés, découpés, discutés pour aboutir à la lettre cadeau signée par tous. “Panser le deuil” compte parmi les perches tendues aux naufragés que nous sommes dans un monde qui laisse seul, isolé dans la perte, dans un monde où l’on apprend à gagner plus qu’à perdre.

De deuils, il en est aussi bien question à la mort d’un être cher que lors d’une rupture amoureuse, de la perte d’un ami, de son pays, de sa maison, de son emploi, d’une partie de son corps à la suite d’un accident, d’une maladie…, estiment Anne Ancelin Schützenberger et Evelyne Bissone Jeufroy, auteures de “Sortir du deuil” (3), Parmi les recommandations qu’elles distillent, notons celle-ci: “Pour surmonter la fatigue, le stress, le découragement, l’angoisse, le sentiment d’insécurité qui suivent toute perte, et lutter contre la déprime, il est indispensable de s’offrir un minimum de quatre plaisirs par jour. Il ne s’agit pas d’un conseil, mais d’une ordonnance médicale, étant entendu qu’il est recommandé de s’offrir beaucoup plus de plaisirs que cela et de le faire au moins pendant trois ou quatre ans, au mieux: toute sa vie.”  “Faire quelque chose d’agréable plusieurs fois par jour, c’est jalonner le quotidien de moments indispensables de pause et de ressourcement”, poursuivent-elles, sans penser à de l’extraordinaire, mais à des plaisirs simples. Prendre une tasse de thé au soleil, téléphoner à un ami, caresser un chat, manger du chocolat…

 

Il est rare que l’on puisse faire son deuil tout seul, diront aussi les auteures de “Sortir du deuil”. Si nous n’avons plus les mots, les gestes, les attitudes face aux personnes endeuillées, comme le perçoit le philosophe Damien Le Guay, parlant d’un silence alourdissant (4), sans doute y-a-t-il lieu de laisser advenir des expressions nouvelles pour panser le deuil.

 

Catherine Daloze

 

(1) Chantal Myttenaere, Panser le deuil, Les Editions de l’Hèbe, sept. 2007.

(2) Dans “Le grand livre de la mort à l’usage des vivants”, Albin Michel, 2007.

(3) Anne Ancelin Schützenberger et Evelyne Bissone Jeufroy, “Sortir du deuil. Surmonter son chagrin et réapprendre à vivre”, éd. Payot, 2007.

(4) Dans “Le grand livre de la mort à l’usage des vivants”, Albin Michel, 2007.

 


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