A suivre...
(19 avril 2007)
L'accès aux soins de santé,
un test pour nos démocraties
sociales
Quand on
parle de bioéthique, on évoque avant tout les questions liées au
développement et à l'usage des nouvelles techniques biologiques et médicales
ainsi que de leur impact dans la relation de soins ou dans les relations
sociales. Etrangement, les questions socio-économiques n’entrent que
timidement dans le champ bioéthique.
Depuis
deux ou trois décennies, confrontés à la hausse constante des dépenses en
soins de santé, les pays industrialisés ont été tenus de prendre des mesures
visant à une meilleure maîtrise des coûts, notamment en recourant à des
hausses de tickets modérateurs, ce qui pose bien évidemment la question de
l’égalité d’accès à des soins de qualité.
"En soins de santé, la
question de l'accès prend une acuité particulière" écrivent Pierre Botte
et Jean-Philippe Cobbaut dans un numéro récent de la revue d’éthique et de
théologie morale (1). Par “accès aux soins”, on entend bien
sûr de pouvoir bénéficier des soins dont on a besoin. Le plus souvent on
pense spontanément à la capacité de payer le médecin, l’hôpital ou les
médicaments. Mais l’accès aux soins, c’est encore bien d’autres
déterminants. On ne peut se soigner ou se préoccuper de sa santé avec la
même attention si on est chômeur ou travailleur actif, si on habite
Bruxelles ou Bastogne. Selon le milieu social on se rendra plus ou moins
vite chez son médecin ou… aux urgences. Nous avons une "représentation
idéale" de notre système de soins dans lequel les personnes circuleraient de
façon tout à fait fluide: "Cette ouverture de la notion d'accès aux
déterminants économiques, sociaux et culturels qui la traversent lui donne
un pouvoir d'interpellation important à l'égard des développements de nos
systèmes de soins" constatent Pierre Botte et Jean-Philippe Cobbaut.
Une exigence indiscutable
"L'assurance sociale obligatoire
contribue à augmenter le
bien-être global
de la société" |
L'exigence de l'accès aux soins
de santé pour tous participe d'une volonté égalitaire qui ne saurait se
discuter, parce que les soins de santé ne sont pas des biens matériels.
"La pratique médicale se conçoit comme une relation avec une personne et non
pas comme production d'un bien…Il semble fort difficile de concevoir les
soins comme des biens rares à partager…" Voilà pourquoi, la plupart des
mesures prises afin de limiter les dépenses de santé (hausse des tickets
modérateurs, numerus clausus, rationalisation, standardisation des bonnes
pratiques…) passent mal dans des sociétés où "l'idéologie de la santé
parfaite" est une tendance de fond. Elles passent mal également auprès du
corps médical qui craint de voir remis en cause des principes de base comme
la liberté thérapeutique et le droit de soigner chaque individu-patient
comme il le mérite.
Dans ce contexte, il est
difficile de défendre une éthique du point de vue de la collectivité, la
santé étant "une aspiration profonde des individus". Mais l'éthique
se doit de tenter de formuler des pratiques et des projets concrets pour nos
institutions de soins où se croisent précisément des enjeux collectifs et
individuels.
La question de l'accès aux soins
est donc "un levier particulièrement intéressant pour interroger la
dynamique de développement de nos systèmes…” écrivent Pierre Botte et
Jean-Philippe Cobbaut. “Tout l'enjeu de nos sociétés contemporaines est
de pouvoir articuler cette volonté égalitaire dans un projet d'autonomie
pour les individus et la société." C'est précisément cette visée qui
légitime l’action de l'Etat social dans le système de soins (mais aussi dans
l'enseignement, dans la culture, dans la circulation des personnes et des
biens) qui est de garantir aux individus les conditions de leur existence et
de participation à la vie collective.
Dans notre société qui cherche à
toujours mieux prémunir les individus contre les risques, "il est
largement admis que les individus doivent pouvoir accéder, en dehors des
conditions classiques d'un marché, aux soins de santé." Le manque
d'informations des individus sur leur état de santé et sur l’offre de soins
rend difficile le choix d’une assurance adéquate. Dès lors, “la mise en
place d’une assurance sociale obligatoire contribue à augmenter le bien-être
global de la société” au contraire de l’assurance facultative qui
engendre un phénomène de sélection des risques, donc des inégalités.
Plus qu’égalitaire cependant,
notre système de soins doit être équitable, ce qui signifie que "la
solidarité va au-delà de la solidarité faible de l'assurance; cette
solidarité doit comprendre ceux dont on sait par avance que leur besoin en
matière de soins sera important (comme les handicapés de naissance et les
personnes dont on connaîtra par avance de plus en plus de choses
anticipativement par le biais du diagnostic génétique), mais également ne
pas permettre une dualisation de la couverture (notamment par le biais
d'assurances privées) qui rongerait le sentiment de partager, face à la vie
et à la mort le même destin…"
Cette solidarité forte
connaît-elle des limites? La redistribution doit se partager avec d'autres
besoins (assurance chômage, éducation, logement…). Mais surtout, depuis la
fin des années 80, se succèdent des déclarations dénonçant le caractère
insoutenable de la progression des dépenses de santé. Constatons toutefois
que l'accès universel aux soins l’a emporté chez nous ainsi que dans les
pays voisins… malgré la hargne de ceux qui défendent l’idée que l’assurance
obligatoire devrait se limiter à offrir un socle de soins de base, le solde
étant couvert par des assurances commerciales privées. En fait, il s’est
toujours trouvé jusqu’ici un consensus pour assumer collectivement les
dépenses de santé et même pour renforcer la protection sociale.
Cela ne signifie pas qu’on ne
tienne pas compte de la contrainte économique mais que sa gestion ne peut
être purement assurantielle. Ce qui est en question, c’est bien une
construction collective d’un système de soins qui cherche à prendre en
compte tant les besoins des individus que ceux de la société dans son
ensemble.
Christian
van Rompaey
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(1) La question
du Bien commun a été mise au programme de l'ATEM (Association de théologiens
pour l'étude de la morale) lors d'un colloque tenu à Québec en 2005. Les
actes de ce colloque ont été publiés dans la revue d'éthique et de théologie
morale sous le titre : "Bien commun et système de santé" aux Editions du
Cerf (septembre 2006 – 20 euros).
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