Vie quotidienne
(3 janvier 2008)
Quand profit rime avec
éthique et solidarité
A côté des secteurs privé et public traditionnels, un troisième secteur a
émergé au cours des trente dernières années et occupe aujourd’hui une place
de plus en plus importante sur la scène économique : celui de l’économie
sociale. Mais qu’est-ce qui se cache derrière cette dénomination? Quels en
sont les spécificités et les enjeux ? Levons le voile sur un secteur en
pleine expansion.
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Encore
marginale dans les années quatre-vingts, l’économie sociale est devenue un
sujet à la mode. Mais quand il s’agit d’en donner une définition précise, on
cafouille un peu. C’est que les organisations qui la constituent recouvrent
des branches d’activité et des formes juridiques très diverses. Leur
dénominateur commun : un ensemble de principes et de pratiques qui replacent
l’humain au centre du processus économique. Le tout premier critère a trait
à la finalité même de l’entreprise : «Un des fondements de l’économie
sociale, c’est de dire qu’on n’est pas là pour faire du profit pour des
actionnaires qui ont investi du capital, mais pour répondre à un besoin de
la société», explique Véronique Huens, coordinatrice éducation
permanente chez Solidarité des alternatives wallonnes et bruxelloises (SAW-B).
L’objectif d’une organisation d’économie sociale est donc d’offrir un
produit ou un service qui va améliorer la qualité de vie de la collectivité.
Les bénéfices qui en découlent représentent un moyen de mieux réaliser cet
objectif, mais ils ne doivent en aucun cas devenir le mobile principal de
l’activité.
De
l’argent, donc, il en circule. Une entreprise d’économie sociale reste une
entreprise, confrontée comme toute autre aux impératifs de rentabilité et de
performance dictés par les lois du marché : «Il y a de la gestion du
personnel – des employés qui partent, d’autres qu’on engage –, ainsi qu’une
gestion financière. On a une clientèle à satisfaire, le produit fourni doit
être de même qualité que celui d’une entreprise classique. On doit aussi
faire de la pub, du marketing», poursuit Véronique Huens. La différence
fondamentale réside dans la priorité donnée, en économie sociale, aux
valeurs humaines plutôt que matérielles.
Un homme – une voix
Chaque
employé(e), chaque travailleur/se, chaque stagiaire, doit pouvoir participer
aux décisions qui concernent la vie de l’entreprise, de l’organisation
pratique du travail aux grandes orientations commerciales. Cette vision
démocratique du travail est
héritée des
coopératives, où prévaut le principe «un homme – une voix», en opposition à
«une action – une voix». Cela se traduit de manières très différentes en
fonction des réalités du terrain : consultation du personnel, transparence
au niveau des chiffres,
dialogue
informel qui s’installe dans les ateliers, etc. Un principe qui est facilité
par la taille petite ou moyenne des entreprises d'économie sociale :
«Rassembler 2000 personnes tous les vendredis et imaginer qu’elles puissent
toutes prendre la parole, c’est un peu difficile. De plus, il ne suffit pas
de donner les chiffres, il faut aussi les expliquer, car tous les employés
n’ont pas forcément une connaissance exhaustive de ce qu’est un budget ou un
bilan financier», observe Véronique Huens. Au final, c’est à chacun de
trouver son astuce pour amener plus de démocratie : «Je crois que tout
est possible, poursuit-elle, mais il faut qu’il y ait une volonté d’y
consacrer une partie du budget et du temps de travail. Et ça, c’est
justement une des caractéristiques de notre secteur».
Une
organisation d’économie sociale doit également être particulièrement
attentive à ce que ses activités soient génératrices d’emploi, notamment
pour des personnes peu qualifiées, et à ce qu’elles s’inscrivent dans une
dynamique de développement durable. Ainsi, les surplus seront réinvestis
dans l’entreprise pour améliorer les conditions de travail, consolider les
emplois ou encore former le personnel.
Les
entreprises de formation par le travail représentent d’ailleurs une part
importante du secteur. L’apprentissage du métier nécessite un accompagnement
personnalisé et des heures de formation. «On est dans la démarche d’une
entreprise marchande, on est soumis à la même concurrence mais avec un
personnel qui n’a pas la rentabilité traditionnelle. Les subsides publics et
le mécénat viennent combler ce déficit», témoigne Christian Jénicot,
directeur de l’asbl Monceau-Fontaines.
Un secteur complexe
Si les
toutes premières formes d’économie sociale trouvent leur origine dans les
grands mouvements sociaux de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème,
avec la création des syndicats, des mutuelles et des coopératives
d’acheteurs, c’est de la crise de l’emploi des années quatre-vingts qu’est
née l’économie sociale telle qu’on la connaît aujourd’hui. Devant le nombre
croissant de personnes exclues du monde du travail, des entreprises à
finalité sociale se sont créées pour réinsérer socialement et
professionnellement cette frange de la population précarisée. L’insertion
socioprofessionnelle reste encore aujourd’hui un des piliers de cette
«nouvelle économie sociale».
Parmi les
autres domaines d’activité, on retrouve l’horeca, le bâtiment,
l’horticulture, le multimédia, le logement, l’aide à l’autocréation
d’emploi, la finance, l’agro-alimentaire, le commerce, le développement
durable, le recyclage, les énergies renouvelables, les services de
proximité, et bien d’autres encore. Ces organisations sont tantôt des asbl,
des mutuelles, des sociétés coopératives, des sprl à finalité sociale, etc.
Malgré les
critères établis par la Région wallonne pour délimiter le secteur, la
frontière entre l’économie sociale et l’économie «classique» reste floue :
«Il existe des entreprises d’économie sociale, reconnues comme telles,
qui ne respectent pas toujours les principes de base, tandis que d’autres
qui n’entrent pas dans le cadre légal en sont pourtant très proches,
explique Véronique Huens. Cela tient au fait qu’il n’y a pas aujourd’hui
d’indicateurs précis pour mesurer son appartenance au secteur – à quelle
fréquence consulte-t-on les travailleurs ? Sur quels sujets ? etc. Il s’agit
plutôt de critères vers lesquels tendre. Mais tendre un petit peu, est-ce
que c’est faire partie du secteur, ou pas ?». Conséquence : difficile
d’obtenir des statistiques fiables, car les avis divergent quant aux
chiffres à prendre en compte. En terme d’emploi, le Centre d’économie
sociale de l’Université de Liège comptait pour la Belgique, en 2007, entre
272.000 et 352.000 emplois salariés, mais en incluant le personnel des
syndicats, des partis politiques et des hôpitaux, que certains considèrent
comme extérieurs au secteur au sens strict. Le seul secteur de l’insertion
emploie quant à lui 50.000 salariés.
L’économie
sociale est aujourd’hui largement reconnue par les pouvoirs publics, et de
plus en plus évoquée comme alternative possible pour répondre à certains
problèmes soulevés par la mondialisation de l’économie. A présent, l’enjeu
est de se faire connaître du grand public.
Emilie Jacquy
Liens utiles :
www.econosoc.be : site carrefour
de l'économie sociale
www.ces-ulg.be : centre d’économie
sociale de l’ULG
Monceau-Fontaines,
l’économie sociale au pluriel
Il y a sept ans, à Monceau-sur-Sambre, un charbonnage désaffecté
devenait un site pionnier d’économie sociale. Aujourd’hui, le site
associatif de Monceau-Fontaines est un acteur incontournable du
“troisième secteur”.
En
1993, Le Germoir et Quelque Chose A Faire, deux entreprises de
formation par le travail en quête de locaux plus spacieux, se
tournent vers l’ancien charbonnage de Monceau-sur-Sambre, dans la
région de Charleroi. Persuadées de l’extraordinaire potentiel de
cette friche industrielle, elles décident de lui redonner vie :
«Le site était à l’abandon depuis les années quatre-vingts. Elles
ont eu le courage d’acheter le terrain. Au départ, elles ne
pensaient rénover qu’une partie des bâtiments. Mais très vite, la
SAW-B et R-Net, deux autres entreprises d’économie sociale, se sont
associées au projet. Une idée novatrice a alors vu le jour :
accueillir en un même lieu une série d’associations et d’entreprises
à finalité sociale. C’était une première en Belgique», raconte
Christian Jénicot, directeur de l’asbl Monceau-Fontaines.
Les
travaux ont commencé en 1997 avec l’aide de fonds européens, de la
Région wallonne et d’Igretec, (Intercommunale de développement
économique de la région de Charleroi). Trois ans et quatre millions
d’euros plus tard, Monceau-Fontaines naissait.
Aujourd’hui, quinze partenaires se partagent 5.600 mètres carrés de
bâtiments rénovés. Au total, ils proposent plus de 44 biens et
services dans des domaines aussi variés que le micro crédit (Crédal
MC2), l’informatique (A.C.E.S.), l’horticulture (AID Soleilmont),
l’insertion socioprofessionnelle (Avanti), l’auto-création d’emploi
(Azimut), le repassage (Carolomannes), l’horeca, la couture et le
nettoyage (Le Germoir, R-Net, G’estime), le travail forestier (Cent
Arbres Sans Toit), le bâtiment (QCAF), le logement (Relogeas),
l’environnement (Kreativa), ainsi qu’un service de jeunesse
spécialisé pour les personnes sourdes et malentendantes (Collectif
recherche et expression).Chaque jour, cent vingt personnes
travaillent sur le site, et une centaine de stagiaires s’y forment.
Pour gérer tout ce petit monde, promouvoir les synergies internes et
mieux faire connaître le secteur, les «entreprises locataires» ont
créé l’asbl Monceau-Fontaines : «Ensemble, nous avons établi une
charte éthique, à laquelle chaque nouvelle association qui souhaite
nous rejoindre doit adhérer, explique Christian Jénicot. Tous
les partenaires siègent au conseil d’administration et participent
démocratiquement aux décisions communes». Les associations
partenaires mettent également leurs ressources en commun afin de
pouvoir bénéficier de services qu’individuellement elles ne
pourraient pas se payer. Par exemple, un ‘jobcoacher’ a été engagé
pour accompagner tous les stagiaires du site dans leurs démarches
professionnelles. Les partenaires se partagent également un
véhicule.
E.M.
Infos :
asbl Monceau-Fontaines, rue de Monceau-Fontaine, 42/1 à 6031
Monceau-sur-Sambre - 071/33.46. 01-
www.monceau-FONTAINES.be
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