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Vie Quotidienne (15 novembre 2007)


 

Bonheur et souffrance au travail

Une enquête française, menée auprès de 6.000 personnes, place le travail en deuxième position comme condition du bonheur, juste après la santé mais avant la famille, l'argent et l'amour (1). Et pourtant, jour après jour, l'actualité nous parle de licenciements massifs, de stress et de harcèlement, de délocalisations, de suicides… Alors, que représente le travail aujourd'hui? Bonheur ou servitude?

 

 

 

La réflexion sur l’épanouissement de l’être humain

recherche les conditions d’un équilibre
entre vie professionnelle et vie privée,
respectueux de tous les temps de la vie.

 

Paradoxalement, constate André Nayer, juriste, directeur du Centre de recherche et Prospective en droit social (ULB), dans un ouvrage particulièrement fouillé qui vient de paraître (voir encadré ci-dessous), si le “droit à l'épanouissement de l'être humain au travail” s'inscrit ces dernières années de plus en plus fort dans le droit social, dans les faits, on doit constater qu'il “existe une conjonction de facteurs qui tendent à évacuer du système social une préoccupation pour l'être humain.”

Les licenciements chez Renault à Vilvorde ou chez VW à Forest, la décision unilatérale de supprimer plusieurs milliers d'emplois chez Michelin, alors que la direction annonçait d'importants bénéfices, ont plongé la population et les milieux politiques dans la stupeur et l'incompréhension. Comment croire que ces licenciements seraient seulement justifiés parce qu'“En Europe, nous sommes trop chers?”

Dans son ouvrage “La dictature du profit”, Viviane Forrester (2) énumère nombre de licenciements collectifs d'entreprises qui affichent toutes d'importants bénéfices. Si le marché réagit positivement à ces annonces de licenciements, c'est qu'il attend (cyniquement) de cette décision “une meilleure productivité et des bénéfices plus élevés” explique Roger Blanpain (3). De même, les délocalisation ne sont souvent qu'une “aliénation des entreprises aux spéculations boursières”. En France ne parle-t-on pas de “licenciements boursiers” chez Danone, Marks et Spencer, Philips, Moulinex, Alcatel…Et chez nous, la Fondation Roi Baudouin observe, elle aussi, que “malgré des bénéfices records, beaucoup d’entreprises licencient à tour de bras, approuvées en cela par un marché boursier qui applaudit à ces restructurations.”(4)

“Certes, écrit André Nayer, il faut produire de la richesse, sinon nos sociétés n'auront rien à redistribuer à leurs membres…Mais celle-ci est indissociable d'une réflexion préalable sur la richesse elle-même et sur les moyens de la produire et de la faire croître… La richesse ne doit-elle pas avant tout être considérée comme le résultat de l'échange, plutôt que comme le simple produit d'activités visant explicitement la fourniture de biens? A la limite, la surproduction de biens, au-delà de ce qui peut être échangé, n'est-elle pas destructrice de richesses?”

Avec Michel Beaud (5), il faut bien constater que le capitalisme s'est imposé comme la “machinerie sociale la plus efficace pour créer les richesses”, mais la logique de rentabilité économique qui le domine ignore tout des besoins non solvables, engendre chômage et pauvreté tout en étant présenté comme le seul moyen pour les résorber. Par ailleurs, à force de susciter les désirs des consommateurs, de créer des besoins secondaires pour faire tourner la machine du profit, les dépenses publiques nécessaires à la couverture des besoins fondamentaux des êtres humains dans le domaine de la santé ou de l'éducation, par exemple, sont toujours considérées comme excessives!

“Si nous n'y prenons garde de nombreuses implosions nous guettent, écrit André Nayer. L'Homme, à force de le consommer, de le “prendre” uniquement pour l'acheter, de ne l'utiliser que pour mieux l'user, de le rejeter totalement pour seulement l'éloigner, ne finirions-nous pas par en faire un simple composé d'éléments dont l'enveloppe n'a pas plus de valeur que celle de n'importe quel autre ensemble de composants matériels?…” Pourquoi, par ailleurs, laisser tant de travailleurs “se consumer dans l'attente d'un emploi, d'un travail dont la valeur est toujours proclamée centrale, mais dont l'accès semble de plus en plus réservé à ceux qui ont l'aptitude au mât de cocagne ? Et lorsque la timbale est décrochée, comment expliquer qu'il faille souvent, trop souvent, subir plus que s'épanouir?”

 

Le droit à l'épanouissement

Le besoin d'épanouissement des personnes est une valeur montante. Dans l'entreprise, il se revendique autour d'une meilleure qualité de la production et des relations dans le travail. Mais il devrait également profiter à la qualité de vie hors travail. Car le travail, ce n'est pas seulement gagner de l'argent. Chacun espère recevoir en retour de son engagement dans l'entreprise une reconnaissance de son rôle social, des moments de satisfaction et d'épanouissement personnel. Mais qu'est-ce que s'épanouir dans un monde en pleine accélération? Les offres d’emploi font miroiter “un cadre de travail agréable, une équipe dynamique, un esprit d’équipe, le souci de la qualité, une formation à la hauteur, un salaire attrayant…” mais exigent en contrepartie une grande flexibilité, jusqu'à "marcher sur les mains" si le service à la clientèle l'exige, comme le suggérait (symboliquement) une publicité.

Pour la génération la plus récente des travailleurs, le travail ne serait plus considéré comme une fin en soi, mais un moyen parmi d’autres de se réaliser.

Un documentaire français, passé récemment à la RTBF, “J'ai (très) mal au travail”, montre tout le contraire de l’épanouissement. Le milieu de travail, c'est trop souvent des atteintes à la santé, à la dignité, à la sécurité. C'est la laisse électronique, le tatouage du logo sur le pied ou l’organisation de loisirs contraints pour former à l'esprit de groupe… C’est l’engagement total commente le politologue Pierre Ariès: “L’épanouissement constitue un slogan de l’entreprise, destiné à obtenir de la part des travailleurs la renonciation, souvent inconsciente et, en tout cas implicite, de leurs droits fondamentaux d’être humain ressortissant principalement de leur vie privée, en échange de biens consommables, donc non durables, dont elle les gave. Il est intégré dans une stratégie de manipulation visant à endoctriner les travailleurs.”

Quand ils parlent d'épanouissement, travailleurs et dirigeants d’entreprise ne sont généralement pas sur la même longueur d'onde ! Ainsi, du point de vue de l’entreprise, la “démarche de qualité” tant vantée aujourd'hui veut favoriser la qualité du produit ou du service à la clientèle afin d’arriver à une meilleure productivité. Mais, du point de vue du travailleur, il s’agit de rechercher tout ce qui peut améliorer la qualité des relations humaines dans l’entreprise, non seulement des clients et des utilisateurs mais aussi “les besoins des membres de cette entreprise sur le plan matériel et même celui de l’accomplissement personnel”, observe André Nayer qui précise ainsi l'objet de sa recherche: “La réflexion sur l’épanouissement de l’être humain souhaite mettre en place des relations, respectant le projet professionnel de chaque travailleur, pouvant s’inscrire dans l’objectif général de l’entreprise. Elle recherche les conditions d’un équilibre entre vie professionnelle et vie privée, respectueux de tous les temps de la vie.”

Et là, il faut reconnaître que l’on se trouve devant des exigences contradictoires. Pour la génération la plus récente des travailleurs, confrontée aux difficultés économiques des années 90, le travail ne serait plus considéré comme une fin en soi, mais un moyen parmi d’autres de se réaliser. L’épanouissement - “être vraiment soi-même”, “développer sa personnalité” - serait la voie royale vers le bonheur…

C'est ainsi que les tensions entre le travail et la famille sont de plus en plus vives, constate Bernard Fusilier, responsable de l'Unité d'anthropologie et de sociologie (UCL) (6). La demande est forte dans nos pays pour défendre “un modèle cumulatif…où l'investissement professionnel et l'investissement familial ne seraient pas incompatibles.” Mais cette demande, aujourd'hui largement partagée, se heurte aux logiques du marché du travail qui exige que la mobilité et la disponibilité prennent le pas sur les situations personnelles. “Le sujet du marché, (dans sa conception pure et dure) écrit le sociologue allemand Ulrich Beck, est l'individu seul, débarrassé de tout 'handicap' relationnel, familial et conjugal.” (6) Malgré un contexte culturel et juridique plus favorable à la famille, grâce aux soutiens à la parentalité, inscrits dans la législation sociale (congés de maternité, de paternité, parentaux, crèches publiques…), l'affaire n'est pas gagnée car elle est mise en concurrence avec une culture d'entreprise qui invite sans cesse les travailleurs à s'investir pleinement: “Ainsi, ils s'engagent émotionnellement dans leur entreprise. Celle-ci est perçue comme le lieu de l'autonomie et de l'épanouissement alors que la famille devient un lieu de contraintes” écrit Bernard Fusilier.

Christian Van Rompaey

 

(1) “J'ai (très) mal au travail”. Documentaire de Jean-Michel Carré – octobre 2006

(2) “La dictature du profit” - Poche.

(3) “Dialogue social. Interdépendance économique et droit du travail” (cité par André Nayer),

(4) “Travail et non-travail” - De Boeck - 2000.

(5) “Le basculement du monde”. La découverte - 1997.

(6) “Le travail, plus épanouissant que la famille?” Dans la revue LOUVAIN, bimestriel de l'UCL -n° 170 - 2007.

 

 

Le droit à l'épanouissement

de l'être humain au travail

"Les mutations sociales actuelles provoquées par les bouleversements économiques, financiers et technologiques évacuent progressivement l'être humain du centre des préoccupations." Anne Cieslar, juriste, docteur en droit de l'Université de Paris X, André Nayer, juriste et directeur du Centre de Recherche et de Prospective en droit social (CeRP/ULB) et Bernadette Smeesters, juriste, chercheur au CeRP/ULB, ont placé cette hypothèse au centre d'une recherche fouillée sur les métamorphoses du droit social contemporain. Pour ces auteurs, le travail s'affirme aujourd'hui davantage comme une rencontre entre le projet de l'entreprise et celui du travailleur. L'émergence de la liberté et du droit à l'épanouissement exprime la revendication de tout être humain à ne pas être considéré seulement comme une force de travail mise à disposition de l'entreprise: "En droit social, il importe de garantir au travailleur le droit à être reconnu, non pas seulement en fonction de ce qu'il rapporte, mais de ce qu'il est, à savoir, non seulement un sujet de droit, mais aussi un être unique, doué de sensibilité, d'intelligence et de parole, aspirant au développement harmonieux de sa personnalité et de ses aptitudes au travail."

 

“Le droit à l'épanouissement de l'être humain au travail: métamorphoses du droit social” Anne Cieslar, André Nayer, Berndette Smeesters Editions Bruylant 2007 120 EUR www.bruylant.be 

 


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