“Ce qui est génial,
c’est qu’on n’a pas peur de demander un service à une personne car on ne se
sent pas d’office redevable envers elle, lance avec enthousiasme
Jean-Christophe. On sait juste qu’un jour, à notre tour, on pourra aider
quelqu’un d’autre grâce à notre savoir, notre savoir-faire ou nos biens”.
D’ailleurs, Jean-Christophe n’a pas encore rendu de service à Thomas, mais
la semaine passée il est allé chaque jour chez Marianne et Philippe, partis
en vacances, pour arroser les plantes et nourrir le chat. Et le week-end
prochain, il recevra l’aide de Christophe pour installer les clôtures de son
jardin. “Pourquoi acheter un nettoyeur vapeur à 150 euros si on peut
l’emprunter pour une journée?”, lance à son tour Annick.
Pour elle, le SEL
replace l’argent à sa juste place. “Dans notre société, l'argent est
devenu une fin en soi. C'est celui que l'on accumule et autour duquel on
spécule. Le SEL offre une alternative concrète pour réapprendre le don, le
contre-don, la solidarité, et redonner à la monnaie d'échange son sens
premier: un moyen d'obtenir des biens et services qui répondent à de réels
besoins”. Nathalie renchérit: “Le SEL favorise la rencontre de
personnes venant d'horizons variés et de tous âges. Il contribue à un monde
moins individualiste, plus convivial”.
Une “banque” d'offres
et de demandes
“Chacun exprime ses
offres et demandes, explique Jean-Christophe. Par exemple, j’ai
besoin d’un coup de main pour préparer une fête, peindre les châssis de ma
maison, faire le repassage. Ou, à l'inverse, je propose des remédiations en
math, des petits travaux d'électricité, des massages relaxants… Je peux
aussi prêter ma remorque, livrer les croissants le dimanche matin, lire des
contes aux enfants…”
Le comité de
coordination du SEL (que Bouts de fiSEL a baptisé COCO) centralise toutes
les offres et demandes, coordonne les activités, comptabilise les échanges
de chaque membre et veille au respect de la charte du SEL (voir plus loin).
Comme la plupart des
SEL, Bouts de fiSEL a créé un site internet sur lequel sont répertoriées les
offres et demandes(1). Les coordonnées des membres y
sont accessibles dans une zone qui leur est réservée. “Si je trouve
l’offre (la demande) qui me convient, je prends directement contact avec la
personne concernée, précise Jean-Christophe. Dans le cas inverse, je
peux introduire ma demande ou mon offre. Je peux aussi contacter les membres
du comité car ils connaissent bien toutes les ressources du SEL. Il est
important de ne pas se décourager devant le refus de l’un ou l’autre membre.
Chacun reste libre de refuser de rendre un service, sans avoir à se
justifier. Bien sûr, tout se passe beaucoup mieux si chacun reste courtois
et attentionné”.
Bouts de FiSEL organise
régulièrement des activités et animations pour permettre aux membres de
faire connaissance et renforcer la dynamique des échanges. Jean-Christophe
explique: “Lors de nos ‘auberges espagnoles’, nous partageons tous
ensemble les plats apportés par chacun. Notre prochaine rencontre festive
aura lieu le 20 juin prochain. L'invitation est lancée à tous!”
Des nœuds
Dans les SEL, l'argent
est remplacé par une unité d'échange non monétaire, sorte de monnaie locale,
basée sur le temps passé à rendre service. Au SEL d'Ath, cette unité a été
baptisée “nœud”. Ainsi, une heure prestée donne droit à un nœud. Le prêt et
le don de biens sont également évalués en nœuds. Lors de la transaction, des
bons d’échanges sont complétés et remis au COCO pour comptabilisation. Les
totaux sont mis à jour régulièrement et communiqués à chacun.
“Globalement, on est attentif à ce qu'un membre n’offre pas plus de biens
que de services. Et chacun ne peut être débiteur ou créditeur de plus de 40
nœuds. Si tel est le cas, le COCO demandera de faire en sorte de revenir à
une situation d’équilibre”, explique Jean-Christophe qui précise
qu'aucun intérêt n’est perçu sur les comptes négatifs, ni offert sur les
comptes positifs.
Des conditions, une charte
Chez Bouts de FiSEL, un
“membre” est une personne, une famille, voire un groupe ou une association
qui se choisit un surnom. L'adhérent signe la charte du SEL, paie une
modique cotisation annuelle et s'engage à réaliser au moins un échange dans
les trois mois qui suivent son inscription.
Le respect de la charte
du SEL est fondamental. Celle-ci précise les valeurs qui guident les
échanges, les conditions et limites dans lesquelles ils doivent s'opérer: la
confiance, le respect de la liberté de chacun, l'égalité... Un principe de
base à respecter est de ne pas échanger des services exercés dans le cadre
de sa profession. Par contre, tous les conseils sont bienvenus et l'on peut
échanger des savoirs et des savoir-faire. On peut aussi donner ou prêter des
biens.
De multiples motivations
On peut adhérer à un SEL
pour de multiples raisons. Certains y verront une alternative à la société
marchande, un acte de militantisme contre la mondialisation, d’autres un
véritable réseau d'entraide où l’aspect relationnel et la rencontre priment,
d’autres encore un moyen de s'épanouir, de se sentir utile et de valoriser
ses compétences, d'autres enfin, une manière de recevoir facilement un “coup
d'pouce” et d'avoir accès à une multitude de talents sans débourser
d'argent. Le SEL, en vérité, c’est tout cela à la fois. Et bien plus
encore !
// Cristelle Dupont
et Joëlle Delvaux
>>
Pour en savoir plus sur le SEL d'Ath:
http://boutsdefisel.jimdo.com
(1) La liste est aussi envoyée par courrier à ceux qui
le désirent.
De la monnaie locale aux réseaux sociaux
Michael Linton,
Ecossais, voulait tirer parti des nombreux savoir-faire sous-employés dans
une région qu'avaient désertée les principales entreprises productrices
d'emploi. La population manquait d'argent et l'idée fut de créer un système
basé sur le troc multilatéral.
Inscrite dans la
filiation des économies alternatives, cette expérience (qui s'éteignit
quelques années après, faute de régulation des échanges), s'est propagée dès
la fin des années 80 en Angleterre dans des zones où le chômage atteignait
des taux records. Grâce à la monnaie locale, les LETS permettaient en effet
de redynamiser l'économie locale et d'y redéployer l'emploi.
Quelques années après,
rebaptisés SEL (systèmes d'échanges locaux), les LETS ont traversé la Manche
pour séduire la France (l'Ariège d'abord) puis la Belgique, la Suisse, etc.
Dans les années 90, les
LETS et SEL se sont multipliés à côté des réseaux d'échanges de savoirs et
des systèmes de troc bilatéral (comme l'échange de maisons, le troc de
biens…), donnant soudainement une ampleur mondiale aux échanges non
monétaires et ouvrant largement le débat à leur propos. En Belgique,
celui-ci a été porté, notamment, par les clubs de réflexion “Démocratie et
Créativité” impulsés par le ministre des Finances de l'époque, Philippe
Maystadt. “Dans les milieux politiques et économiques, d'aucuns se
demandaient si toute une série d'activités potentiellement rentables
réalisées via les SEL n'allaient pas échapper au circuit économique et donc
au fisc et aux cotisations sociales, se souvient un des membres actifs
du groupe de réflexion. Certains parlaient aussi de concurrence déloyale
par rapport aux PME. Pourtant, les échanges professionnels sont exclus. Et
la plupart des adhérents n'auraient de toute façon pas fait appel au circuit
économique traditionnel”, poursuit-il, estimant que les risques de
fraude fiscale via les SEL ne sont en rien comparables à la fraude fiscale
qui prospère à grande échelle dans notre pays.
Par ailleurs, s'est
posée très clairement la question de savoir si les allocataires sociaux (les
chômeurs en particulier) peuvent participer à un SEL et réaliser des
échanges de services sans risquer de perdre leurs allocations sociales.
“A l'instar de l'Australie, des Pays-Bas et de l'Irlande qui avaient
clairement autorisé les chômeurs à participer aux SEL dans des limites
précises, nous demandions qu'une réglementation similaire soit prise en
Belgique, indique notre interlocuteur qui constate que le flou reste bel
et bien de mise à l'heure actuelle. Pourtant, les SEL offrent aux
victimes de la crise la possibilité de retrouver leur dignité, de mettre en
valeur leurs compétences et de maintenir les liens sociaux”.
Aujourd'hui, il existe
des SEL/LETS un peu partout dans le monde. Initiatives locales portées par
leurs membres ou émanations d'associations diverses, certains disparaissent
très vite, d'autres au contraire s'étendent et essaiment.
“En Belgique, la
plupart des nouveaux SEL se proclament d'abord et avant tout comme des
réseaux sociaux”, explique Joaquim de Susa sur le forum Intersel. Il
ajoute: “Beaucoup tentent de voir dans les SEL un système économique
alternatif et veulent nous convaincre que le développement de monnaies
locales serait la solution à la crise économique mondiale. Mais cela
créerait un désordre total au niveau macro-économique et ne réglerait en
aucun cas la corruption financière”. Laissons donc aux SEL leur
véritable place: celle d'initiatives citoyennes solidaires et locales basant
les échanges sur la coopération plutôt que la compétition, le lien
relationnel plutôt que le bien matériel, l'être plutôt que l'avoir…