Durant l’enfance comme à l’âge adulte, nos amis partagent nos moments les
plus intimes de joie comme de peine. Des liens uniques à cultiver pour
l’apaisement, le bonheur qu’ils nous procurent. Mais comme l’amour, l’amitié
peut nous faire souffrir, nous décevoir, et même se briser.
Les amitiés, saveurs de la vie
“Un
ami, c’est quelqu’un à qui l’on peut se confier, parler sans tabous,
rigoler, se changer les idées, partager des activités, des passions, des
valeurs”. “C’est une personne sur laquelle on peut compter en toutes
circonstances, même dans les coups durs”. “Mon amie, c’est la seule personne
avec laquelle je peux vraiment être moi, qui m’accepte comme je suis”.
“Entre amis, les échanges sont riches, intenses, vrais”.
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Philippe Turpin
-BELPRESS |
Ces quelques
paroles mettent en relief des dimensions importantes de l’amitié :
l’entraide, la confiance réciproque, la complicité, le partage, la
présence, la constance, la sincérité… D’une manière plus formelle,
Jean Maisonneuve, auteur de “Psychologie de l’amitié”(1),
décrit l’amitié comme “un lien de bienveillance et d’intimité
entre deux (ou plusieurs) personnes, ne se fondant ni sur la parenté
ni sur l’attrait sexuel, ni sur l’intérêt ou les convenances
sociales”.
Une
valeur en hausse
L’amitié est
certainement l’un des domaines auxquels nous attachons le plus d’importance,
à côté de l’amour, de la famille et du travail. Sa valeur serait même en
hausse dans notre société, une sorte de refuge lorsque se déchaînent les
tempêtes de l’amour, que s’effilochent les liens familiaux ou que
disparaissent les repères professionnels. Un front contre la solitude aussi.
L’amitié ne se vit
apparemment pas de la même manière quand on est homme ou femme. “L’amitié
des femmes repose surtout sur l’échange de confidences et le soutien
émotionnel. C’est en quelque sorte une amitié face à face”, avance
Jacques Lecomte, auteur de l’ouvrage “Donner un sens à sa vie”(2).
En revanche, l’amitié des hommes est surtout basée sur des activités en
commun. Beaucoup d’hommes n’ont pas de véritables amis intimes, mais de
nombreuses “connaissances” liées au travail et des copains dans leurs
activités de loisirs. C’est ce que Jacques Lecomte appelle une amitié
côte à côte. D’ailleurs, dit-il, lorsqu’un homme se révèle
émotionnellement, c’est généralement avec une femme, y compris dans
l’amitié.
Il y a des avantages et
des inconvénients dans chacune de ces attitudes. L’orientation des femmes
vers l’intimité émotionnelle leur permet de bénéficier d’un meilleur soutien
social que les hommes. Ainsi, en cas de rupture sentimentale ou de divorce,
elles peuvent généralement davantage compter sur l’aide et l’oreille
attentive de leurs amies que les hommes sur leurs amis. Mais inversement,
cet engagement intime peut générer plus de souffrance chez elles en raison
d’une plus grande sensibilité aux difficultés d’autrui. Sans parler des
blessures engendrées par les ruptures et trahisons dont ne sont pas exempts,
loin s’en faut, les liens d’amitié, même profonds. Dans “Nos chères amies”
(3), Denise Bombardier passe au peigne fin l’amitié au
féminin qu’elle estime bien plus complexe que celle vécue au masculin.
“Les amitiés féminines se vivent dans l’intensité, le plaisir,
l’attachement, l’intimité, mais aussi dans la jalousie, la compétition, la
méchanceté, voire la trahison. On éprouve un malaise à admettre les
blessures que nous causent les amies”, observe la journaliste canadienne
qui invite les femmes à réfléchir et à ne pas tomber dans cette tendance à
utiliser ses amis comme des kleenex.
Au fil du
temps
L’amitié ne se vit pas
non plus de la même manière à tous les âges. “Les jeunes voient
assidûment leurs amis et font plein d’activités ensemble”, observe la
psychologue Isabelle Saillot(4). Le nombre de relations
amicales est alors à son apogée (nous ne parlons pas ici des centaines de
soi-disant amis connectés sur les réseaux sociaux). Les déménagements,
l’installation en couple et l’entrée dans le monde du travail changent déjà
la donne. Mais c’est surtout durant la période de concentration sur la
famille et l’éducation des enfants (entre 30 et 50 ans) que les relations
d’amitié semblent le plus souffrir, retrouvant une nouvelle vivacité à
partir de la cinquantaine. Ce serait davantage vrai chez les femmes, les
hommes paraissant vivre l’amitié d’une manière plus linéaire, comme le fait
remarquer la sociologue Claire Bidart, auteure de “L’amitié, un lien
social”(5).
Cela signifierait-il que
l’amitié pâtirait d’une vie familiale et professionnelle intense,
accaparante? Beaucoup s’en défendent, évoquant notamment les rendez-vous
réguliers avec leurs groupes d’amis. Il n’empêche, le manque de temps, les
jours qui filent à toute allure sont souvent invoqués par celles et ceux qui
regrettent de ne plus voir souvent leurs amis ou se sentent coupables de ne
pas suffisamment nourrir l’amitié. Isabelle Saillot propose, quant à elle,
une vision plus optimiste en reprenant cette distinction importante entre
‘actions d’amitié’ et ‘sentiment d’amitié’, introduite par son confrère
Pierre Janet. Tous deux rompent avec cette vision réductrice de l’amitié
comme ‘union des âmes’. “A partir d’un certain âge, le cercle des
fréquentations s’élargit et l’on voit bien plus souvent des collègues,
voisins, autres parents, clients ou commerçants que des amis”, constate
la psychologue. C’est ainsi que l’on peut être amené à effectuer envers ou
avec eux beaucoup d’ ‘actions d’amitié’ sans les considérer pour autant
comme des amis. Par contre, on peut éprouver un sentiment profond d’amitié à
l’égard de personnes que l’on ne voit pas très souvent, ou avec lesquelles
on partage peu d’ ‘actions d’amitié’, notamment en raison d’un éloignement
géographique. Voilà qui nuance les choses.
Quand
l’amitié devient toxique
“Nous avons tendance
à concevoir nos relations d’amitié comme éternelles, à l’abri du temps qui
passe, à l’inverse des relations amoureuses que nous savons fragiles et
redoutons de perdre”, assure Denise Bombardier. “Le mythe de l’amitié
éternelle est accompagné d’un autre, celui de l’amitié totale, avance de son
côté Mireille Bourret, auteure de “Les Amitiés toxiques -Comment garder des
liens d’amitié sains et authentiques”(6). C’est
croire qu’un ami peut combler tous nos besoins relationnels. Deux croyances
qui conduisent au manque d’analyse critique de nos relations amicales,
jusqu’à conduire, parfois, au point de non-retour quand la tension, la
frustration auront été trop grands”.
Conseils à l’appui,
Mireille Bourret nous invite à déceler les ‘amitiés toxiques’. Quand on a
l’impression d’être utilisé, pris en défaut, infériorisé, qu’on se rend
compte que c’est toujours soi qui appelle, que l’autre vous inonde de ses
bavardages et ne vous écoute pas, quand on est irrité par certains mots ou
certaines attitudes…, on peut être en présence d’une amitié souffrante,
commente-t-elle. Et de faire remarquer que les amitiés toxiques ont souvent
un lien avec des relations antérieures, ancrées dans un passé lointain, qui
resurgissent douloureusement. Que faire? “Il ne s’agit surtout pas,
répond Mireille Bourret, de signaler à quelqu’un qu’il est toxique pour
nous. Mais bien de cesser de rester dans le non-dit, de signifier un malaise
et d’aborder la qualité de la relation avec l’ami ou l’amie”.
Si Mireille Bourret
invite à questionner nos amitiés, c’est moins pour y mettre un terme, ce qui
peut être parfois une option salvatrice, que pour les vivre de manière saine
et authentique. “Peu d’amitiés sont permanentes et à temps plein. Le
besoin de les faire durer ne doit pas être une obsession. Dès qu’il y a
obsession, quelque chose de malsain et de faux s’insère dans le lien. Ne pas
se mettre la pression pour réussir ses histoires d’amitié serait une sage
décision, tout comme celle de ne pas les vivre en roue libre, mais de
prendre régulièrement le temps de les considérer avec une distance critique.
Nos amitiés sont suffisamment précieuses pour que cet investissement soit
consenti”, conclut-elle.
//Joëlle Delvaux
avec Véronique Janzyk
(1) Ed. PUF – collection “Que sais-je?” – 2004.
(2) Ed. Odile Jacob – 2007. Voir aussi
www.psychologie-positive.net
(3) Ed. Albin Michel – 2008.
(4) Sur www.pasbanal.com
(5) Ed. La Découverte – 1997.
(6) Ixelles Editions – 2011.
L’amitié homme/femme est-elle possible?
Cette question soulève
encore et toujours les passions. Certains, comme Denise Bombardier, auteure
de “Nos chères amies”, croient très peu aux relations strictement amicales
entre une femme et un homme, à moins que l’un des deux ne soit homosexuel.
“Entre amis, on se fait des confidences et la confidence est le premier pas
vers la séduction. Et l’attirance sexuelle ne peut jamais être totalement
évacuée”, dit-elle. D’autres soutiennent le contraire, pour vivre
eux-mêmes de telles relations sans ambigüité aucune. Mais ils regrettent que
le regard d’autrui posé sur eux reste incrédule, voire désobligeant ou
suspicieux.
Comme le fait remarquer
Bernadette Costa-Prades dans un article paru dans la revue Psychologies
(janvier 2011), l’amitié mixte fut longtemps inconcevable, les deux sexes
vivant dans des univers séparés, sans vraiment se connaître hors des liens
du couple. La généralisation du travail des femmes puis la mixité à l’école
ont bousculé ces rapports distants. Par ailleurs, les périodes de célibat,
bien plus nombreuses au cours de la vie qu’autrefois, laissent le champ
libre à la naissance d’amitiés solides entre hommes et femmes.
Pour Sophie Cadalen,
psychanalyste(1), la génération qui a vécu la mixité comme
une évidence ne se pose pas la question du désir sexuel dans l’amitié entre
homme et femme. “Car le désir sexuel naît de la différence tandis que
l’amitié se nourrit de similitudes, souligne-t-elle. Du reste, de nombreux
amis ne soulignent-ils pas le lien fraternel, quasi familial, qui les unit,
érigeant entre eux cette barrière d’un inceste symbolique?”
Le désir est-il absent
pour autant? “Un jeu de séduction peut s’installer entre un homme et une
femme amis, sans que cela ait pour autant des conséquences sur leur
relation”, constate Sophie Cadalen. Il n’empêche. L’amitié mixte ne
comporte pas les mêmes enjeux entre deux célibataires qui peuvent jouer des
charmes de la séduction, qu’entre deux personnes dont une des deux au moins
est en couple de son côté. Comme l’écrit Bernadette Costa-Prades, citant le
psychiatre et psychanalyste Serge Hefez, “ce n’est pas la tromperie qui
est la plus redoutée dans ces amitiés, mais le danger d’une trop grande
intimité. On sait combien il est compliqué au quotidien de maintenir un fort
degré de complicité dans le couple. C’est un peu comme si l’ami profitait de
nos meilleurs côtés: l’humour, la légèreté, sans souffrir des désagréments”.
En définitive, il
appartient à chacun de faire son chemin. D’aucuns ne veulent pas prendre le
risque d’une intimité trop grande dans l’amitié mixte. D’autres au contraire
s’y sentent bien voire mieux que dans toute autre relation. Parfois l’amitié
se transforme en amour. Parfois c’est l’inverse. A chacun de vivre son
aventure humaine en accord avec soi et dans le respect de l’autre…
// JD
(1)
Auteure avec Sophie Guillou de “Tout pour plaire… et toujours célibataire” -
Ed. Albin Michel - 2009.