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Vie Quotidienne (6 janvier 2011)


 

Le souci des autres, une idée dépassée?

Notre monde est marqué par l’argent facile, l’égoïsme arrogant, la consommation sans limites(1)… Dans un tel contexte, prendre soin des autres désigne une attitude qui va bien au-delà de la compassion personnelle ou de la sensiblerie. Voilà ce qui se cache derrière le mot de plus en plus usité de “care”.

© Mendil/BSIP-Reporters

L’an dernier, en avril 2010, la patronne des socialistes français, Martine Aubry déclarait: “Il faut passer d’une société individualiste à une société du ‘care’, selon le mot anglais que l’on pourrait traduire par le ‘soin mutuel’”(2). Implicitement opposé à la célébration du mérite individuel et de la réussite financière, ce courant social, lancé dans les années 80-90 dans le monde anglo-saxon, représente un vrai “défi de culture”(3). Défendre aujourd’hui sereinement que la vie en société est faite d’échanges qui  ne sont pas toujours commandés par les règles du marché va à contre-courant d’une conception autosuffisante et dominante de l’autonomie individuelle. L’individu, d’une manière ou d’une autre, est toujours et nécessairement relié aux autres.

Prendre soin : une éthique de la solitude

To care, "prendre soin", c'est ainsi que l'on traduit le terme anglais care qui veut dire "soin", surtout dans l'expression "prendre soin de" (take care of). To care s'oppose, pour le monde médical, à to cure, qui signifie "guérir".

Le soin désigne donc un type de geste médical qui n'implique pas directement un geste curatif mais participe d'une dimension humaine de la relation médicale, qui risque toujours de se perdre lors de l'intervention technique. Le care est présenté tantôt comme une disposition (une aptitude), tantôt - ou simultanément - comme une activité (une pratique concrète, socialement reconnue).

Ce choix de faire “l’éloge de la sollicitude”(4) au beau milieu d’un univers dominé par la compétence professionnelle et la réussite a été moqué à droite comme à gauche. Il est vu comme une tentative de remettre en évidence une philosophie, généreuse certes, mais régressive, encourageant les bonnes volontés plutôt que la règle de droit, l’assistanat plutôt que la solidarité institutionnelle: “Pour l’essentiel, il s’agirait, constate Luc Bonet dans le quotidien Le Monde(5), d’une vision moralisante de la société sans pertinence dans des temps si durs(…) qui se doublerait d’une perspective d’assistanat comme modèle social, nouvelle horreur économique en des temps si légers…” Et pourtant, l’espace de l’aide aux personnes – qui ne cesse de s’élargir – n’est pas un monde de “nunucheries” et de “bisounours”! Ces critiques ne font que confirmer le mépris dans lequel certains tiennent les travailleurs des métiers du care que sont, entre autres, l’accueil de la petite enfance, le métier d’infirmier, les métiers de l’aide et des soins à domicile… généralement mal rémunérés bien qu’ils exigent un grand professionnalisme, le plus souvent exercés par des femmes. Il n’est dès lors pas étonnant que ce courant du care se soit développé en milieu féministe.

 

Une nouvelle éthique du soin

Les philosophies du care trouvent en effet leur origine dans une étude publiée en 1982 par une féministe américaine, Carol Gilligan. Celle-ci mit évidence le fait que les critères de décision morale ne sont pas les mêmes chez les hommes et chez les femmes: du côté masculin le calcul et les droits, du côté féminin les relations et le social(6). On pouvait craindre que cette manière de voir ne renforce les stéréotypes dits “naturels” qui conduiraient les femmes à n’occuper, pour la plupart, que des métiers exigeant souvent beaucoup de “don de soi”,  indispensables à la société et demandant des capacités considérées comme innées. Loin de se limiter à cet aspect réducteur, la conception féministe de la notion de care a contribué à mettre en évidence les discriminations dont les femmes sont victimes dans leur travail (rémunérations, temps de travail, peu de postes à responsabilité…). Elle a aussi éclairé d’une lumière neuve l’éthique contemporaine du soin, loin des idéologies, mais au plus proche des situations. Comment prenons-nous soin de la société dans laquelle nous vivons et des gens avec lesquels nous vivons?

 

© Astier/BSIP-Reporters

La dimension affective

Les liens familiaux se distendent, le travail est morcelé, la population vieillit, les solitudes augmentent. Dans les prisons, sur les trottoirs de nos villes, dans les centres fermés, dans les restos du cœur, dans les lieux de soins… là où s’exprime la sollicitude des autres, il ne s’agit pas seulement de compassion, encore moins de sensiblerie. Il s’agit surtout de porter secours professionnellement, mais aussi avec sensibilité. Ce que nous rappelle le care, c’est qu’une “dimension affective particulière est nécessaire à la pleine réalisation du soin”. Un soin ne peut être donné n’importe comment. Il mobilise autant les compétences du travail que les ressources affectives(7): “Apporter une réponse concrète aux besoins des autres, telle est, aujourd’hui, la définition du care, ce concept qui ne relève pas, comme on l’a longtemps cru, du seul souci des autres ni d’une préoccupation spécifiquement féminine, mais d’une question politique cruciale recoupant l’expérience quotidienne de la plupart d’entre nous.”(8)

 

Une vieille idée toujours neuve

On parle d’une “nouvelle” manière de soigner qui prend autant en compte la qualification professionnelle que la rencontre avec la personne aidée. S’il est vrai que la notion de care a fait l’objet de nombreuses réflexions depuis plus d’une vingtaine d’années dans le monde anglo-saxon, et plus récemment en France, il n’est pas interdit de constater qu’il s’agit aussi en quelque sorte d’un retour aux fondamentaux de l’esprit des pionniers des mutualités: prendre soin, accorder de l’attention aux individus, répondre à des situations concrètes, prendre sur soi… cela a toujours été une préoccupation des mutualités, en tous les cas de celles qui ont développé au fil des ans de nombreuses associations d’entraide.

 

Créer du lien

Voilà pourquoi on parle de “société du soin mutuel”: l’action de “prendre soin” passe en particulier par l’action du monde associatif, qui aide les individus à s’organiser, à faire des choix, à bénéficier de leurs droits. Il ne s’agit donc pas d’opposer les solidarités proches (la famille, le voisinage, les aidants… ) contre les dispositifs publics, mais de construire leur complémentarité. Il ne s’agit pas simplement que chacun prenne soin des autres sans se soucier d’une politique sociale qui nous concerne tous. Il ne doit pas y avoir  d’opposition entre aide publique et maintien des solidarités privées: “Au contraire, les deux se renforcent: les pays où l’aide publique est la plus importante envers les familles sont aussi ceux où l’on observe une plus grande implication des proches avec les personnes âgées dépendantes. Et une amélioration de l’aide publique favorise le développement de l’aide familiale. En revanche, un retrait de l’aide publique n’incite aucunement une plus grande implication familiale: bref, les grandes tirades sur l’égoïsme contemporain n’ont pas grand sens.”(9) L’esprit de l’action publique doit viser à favoriser les relations entre générations, le soutien familial, les solidarités de voisinage, car “Créer du lien, cela s’organise.”

 

Nouvelles solidarités

Mais, ces dernières années, de nouvelles prises en charge sont apparues, que n’avaient pas prévues les “assurances sociales” adaptées à l’économie industrielle d’après-guerre et conçues pour des travailleurs à revenus réguliers. De nouvelles formes de solidarités et de nouveaux financements sont nécessaires pour rencontrer les besoins de citoyens en difficulté vivant dans la précarité, et qui ne dépendent pas d’une cotisation préalable et de droits acquis en tant que salariés. Peut-on laisser les gens à l’abandon, dans la débrouille individuelle, à trouver solution à des situations quotidiennes difficiles: chômage de longue durée, conséquences d’évènements subis dans la petite enfance, manque d’autonomie à la suite d'un handicap, maladies chroniques, dépendance du grand âge, violences conjugales...?

Les réflexions sur le care peuvent offrir de nouveaux points de repères pour des prises en charge qui renvoient surtout à “un modèle d’accompagnement qui met en avant des relations et non (seulement) des prestations”(9).

// Christian Van Rompaey

 

(1) “Isolés, tout à leur distraction, concentrés sur leurs intérêts immédiats, incapables de s'associer pour résister, ces hommes remettent alors leur destinée à un pouvoir immense et tutélaire qui se charge d'assurer leur jouissance(…) et ne cherche qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance. Ce pouvoir aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il pourvoit à leur sécurité(…) facilite leurs plaisirs(…) Il ne brise pas les volontés mais il les amollit (…), il éteint, il hébète.”  Raffaele Simone, Le Monstre doux. L'Occident vire-t-il à droite? Traduit de l'italien par K. Bienvenu avec le concours de G. Larcher. Paris, Gallimard, “Le Débat”, 2010.

(2) Médiapart, 2 avril 2010.

(3) Robert William Higgins, Le soin, un défi de culture, revue Esprit, juillet 2010.

(4) Fabienne Faugère, L’éloge de la sollicitude, revue Esprit, janvier 2006.

(5) Le Monde 24 mai 2010.

(6) Agata Zielinski, L’éthique du care. Une nouvelle façon de prendre soin, Etudes, décembre 2010.

(7) Virginie Pirard, Qu’est-ce qu’un soin?, revue Esprit, janvier 2006.

(8) Pascale Molinier, Sandra Laugier et Patricia Paperman, Qu’est-ce que le care? Souci des autres, sensibilité, responsabilité, éd. Payot et Rivages, 2009.

(9) Marc-Olivier Padis, La polémique du care. Un débat qui mérite mieux que des caricatures, revue Esprit, juillet 2010.

 


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