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Vie Quotidienne (7 août 2003)


Temps sociaux

 

Harmoniser les temps de la ville

 

En Italie, en France, en Allemagne… le monde politique s’est emparé de la problématique de la gestion du temps principalement dans les villes. Parce que concilier le temps consacré au travail, à la famille et pour soi-même n’est pas qu’une affaire privée. La gestion des temps sociaux est aussi un enjeu collectif qui touche la sphère publique.

 

 

La question de la gestion du temps à court, moyen et long terme est un des enjeux primordiaux de ce XXIe siècle. Parce que le temps dans notre société est vécu comme une denrée rare. Alors que la tendance actuelle va vers une réduction du temps de travail et une augmentation du temps libre pour chacun, les femmes et les hommes ont de plus en plus le sentiment de manquer de temps, d’en perdre, d’être stressé en permanence… C’est que le temps est vécu différemment aujourd’hui. Autrefois, il était régulier. Jusque dans les années ‘60 environ, tout le monde travaillait 5 jours semaines de 8h30 à 16h30… Le temps était le même pour tous. Le fameux métro-boulot-dodo avait l’avantage d’organiser la société et de rassurer les citoyens. Aujourd’hui, on travaille à temps partiel, à horaires variables, à la tâche. Avec la réduction du temps de travail, la flexibilité dans le travail s’est accrue. Le temps est désormais vécu comme un flux. Il change d’une personne à l’autre, d’un jour à l’autre, d’une semaine à l’autre… et engendre une instabilité que chacun doit gérer de manière de plus en plus individuelle.

Les personnes qui ont le plus de mal à gérer ces temps fluctuants, car elles tentent à la fois de rester disponibles et flexibles sur le marché de l’emploi tout en continuant à assumer la gestion quotidienne de la maison, l’éducation des enfants, ce sont les femmes (1).

 

L’Italie, un pays précurseur

En Italie, dans les années ‘80, elles ont été les premières à réclamer des mesures politiques pour réaménager les temps sociaux dans la ville (vie professionnelle, vie familiale, loisirs et vie associative) afin d’harmoniser les horaires des services avec la vie des citoyens. Arrivées massivement sur le marché du travail au milieu des années ‘80, les Italiennes constatent qu’il est “mathématiquement” impossible de gérer leurs nouvelles activités professionnelles avec leur vie de famille, leur vie privée, leurs loisirs, étant donné les horaires kafkaïens de la plupart des administrations qui riment à l’époque avec service minimum. Les féministes montent alors au créneau et apparaît en 1986 une initiative de loi populaire appelée “les femmes changent le temps”. Celle-ci instaure l’idée que la conciliation entre le temps consacré à la famille, à une activité professionnelle, à des loisirs ou à un engagement social ne relève pas uniquement de la sphère privée, n’est pas non plus qu’une affaire de femmes, mais est aussi un problème collectif qui relève donc du politique.

 

Bureaux du temps

En 1990, les premiers “Bureaux permanents des temps de la ville” voient alors le jour dans les communes de Milan, Gênes, Rome, Catane, Bolzano et Venise. Ces “Bureaux du temps” sont avant tout des lieux de négociation pour rendre plus compatibles les temps individuels et collectifs. L’équipe du bureau du temps est chargée de réunir autour d’une même table ceux qui dictent les horaires (transports, services publics, chambres de commerce, entreprises, crèches, écoles…) et ceux qui les subissent (associations d’usagers ou de consommateurs, associations de parents…) mais aussi les syndicats afin de trouver des solutions qui arrangent le plus grand nombre. Il n’est pas question ici de créer une ville où commerces et services seraient ouverts 7 jours sur 7 et 24 h sur 24. Si on modifie des plages horaires, cela doit se faire avec l’accord des travailleurs des secteurs concernés qui doivent, eux aussi, concilier travail et vie privée.

 

Un processus lent

Ainsi, il a fallu près d’un an à la ville de Milan pour modifier l’horaire du bureau municipal chargé de délivrer les certificats de naissance, mariage et décès. Auparavant fermé dès 15h les jours de semaine, il est désormais ouvert le samedi matin.

A Bolzano, Florence ou Rome, chaque école peut décider de fixer le début des cours entre 8 et 9h du matin selon la facilité d’accès de l’établissement et après débat avec les parents et les sociétés de transports locaux. A Crémone, tous les services administratifs sont maintenant ouverts en continu une journée par semaine.

Les expériences d’aménagement du temps dans les villes ne concernent bien sûr pas que les administrations. Les commerces font aussi l’objet de changements. A Rome, par exemple, le maire a institué l’ouverture de certains commerces le dimanche, par roulement de quartier en quartier, non sans quelques grincements de dents du côté des commerçants.

Mais, l’Italie la pionnière est désormais bien lancée dans ses projets de planification du temps. Les projets ont dépassé de loin le stade de l’étude et du tâtonnement et les réalisations concrètes se font de plus en plus nombreuses. En mars 2000, le Parlement italien a d’ailleurs adopté la loi Turco qui oblige toutes les villes de plus de 30.000 habitants à mettre en place un “Bureau du temps”.

 

Expérimentations allemandes

En Allemagne, les villes de Brême, Hambourg, Hanovre, Hanau et Wolfsburg ont été les premières à expérimenter une approche du “temps de la ville”. Brême a enclenché la réflexion dès le début des années nonante et a inauguré son “Zeitbüro” (Bureau du temps) en 1997 à Vegesack, quartier nord de la ville de Brême. La réalisation la plus concrète fut la création de la “journée du citoyen”. Tous les jeudis, de 8h à 18h, les bureaux de six administrations sont ouverts en continu. A Hambourg, les premiers résultats ont été obtenus dès juillet ‘97 avec l’ouverture de dix cabinets médicaux jusque 19h, un accès électronique de certains services publics, des banques ouvertes du lundi au vendredi jusque 18h et des progrès accomplis tout comme à Brême en matière d’accueil des enfants en lien ou non avec les écoles.

 

Des idées en France

En France des bureaux du temps voient le jour également depuis 2000 à Paris, Lille, Rennes ou Poitiers. Les projets en sont généralement au stade de l’étude et les initiatives concrètes sont ponctuelles. Dans la municipalité de Rennes, l’accueil scolaire s’étend 7h30 à 18h45. A Paris, la crèche Caramel garde les enfants de 7h30 à 21h alors que les autres crèches ferment habituellement leurs portes à 18h30. Mais, pas question de laisser son enfant tout ce temps. Les parents ont un “quota” de 50 heures par semaine et les puéricultrices tolèrent quelques journées à 12h par jour. Les responsables ont par ailleurs observé que la majorité des enfants partaient entre 18h30 et 19h30. Suffirait-il de fermer une heure plus tard les crèches pour résoudre la majorité de la demande de garde des tout-petits ?

Poitiers a mené toute une réflexion autour de son centre-ville. Les habitants ont l’habitude de faire une majeure partie de leurs courses et démarches dans le centre, mais personne n’avait les mêmes horaires. La première préoccupation de la municipalité fut donc d’harmoniser les horaires dans le centre-ville.

 

Mille et une petites améliorations possibles

Un bus qui ne roule pas le dimanche alors que l’entreprise qu’il dessert fonctionne le week-end, des administrations ouvertes uniquement de 8h45 à 11h45 dans les petites villes (et tant pis pour ceux qui travaillent, ils n’ont qu’à prendre congé), des bibliothèques qui n’ouvrent pas le week-end ni le soir, un accueil extrascolaire désorganisé lorsqu’il n’est pas absent, des banques qui n’ouvrent jamais le samedi et ferment pendant l’heure du midi, des files interminables à la Poste parce que les services bancaires ne sont pas séparés des services postaux, des bouchons dans certaines petites rues parce que deux écoles voisines commencent les cours exactement à la même heure… Il y aurait encore mille et une petites choses à faire pour améliorer le quotidien de chacun.

Le tout doit se faire dans la négociation, principalement au niveau local et en tenant compte des différentes demandes temporelles. Les demandes des cadres ne sont pas celles des ouvriers, celles des actifs diffèrent de celles des non actifs, les hommes et les femmes ont des exigences variées, les jeunes et les personnes âgées ont également une conception différente du temps.

Les expériences étrangères de “Bureaux du temps” ont toutefois démontré que cette réflexion autour des questions temporelles permet de renouer le dialogue entre les élus et les citoyens et d’expérimenter de nouvelles formes de négociation entre les acteurs locaux.

 

Françoise Robert

 

(1) Introduction réalisée à partir des présentations de Bertrand Montulet, docteur en sociologie aux Facultés Saint-Louis, données lors de la Semaine d’étude de Vie Féminine 2001 et la Semaine sociale du MOC 2002 autour du rapport entre l’espace et le temps, le temps et la mobilité.

 

 

Et en Belgique

 

Pas encore de bureaux du temps à l’ordre du jour dans les villes belges, ni même de politique globale de gestion des temps sociaux. Il est vrai que les domaines couverts pas les politiques du temps sont dans notre plat pays joliment réparties au sein des compétences fédérales, régionales, communautaires et communales… ce qui risque de ne pas faciliter la tâche !

 

Apprivoiser le temps

 

Des réflexions plus globales ont notamment été menées par La Fondation pour les générations futures. Durant trois ans, sociologues, scientifiques, politologues, philosophes ont côtoyé des infirmières, des cadres d’entreprises, des responsables sociaux, des chômeurs, des militants associatifs pour débattre autour de la question du temps en lien avec le développement durable. Il en résulte un ouvrage (1) très intéressant qui reprend les réflexions des uns et des autres, mais aussi les témoignages, les humeurs et les débats qui ont eu lieu lors de ce vaste processus de réflexion. Ce livre s’accompagne d’un petit cahier de propositions sur le temps et ses usages (2). Une manière d’attirer l’attention sur la manière dont on “utilise” le temps dans des domaines tout à fait concrets comme l’aide à domicile ou l’insertion professionnelle. Suivent bien sûr une série de propositions pour humaniser notre rapport au temps.

(1) Apprivoiser le temps, approche plurielle sur le temps et le développement durable – Joël Van Cauter et Nicolas de Rauglaudre – Editions Charles Léopold Mayer et Fondation pour les générations futures (FGF).

(2) Le temps et ses usages, propositions concrètes pour un développement soutenable – Editions Charles Léopold Mayer avec le soutien de la FGF.

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