Vie Quotidienne (2 novembre 2006)
Des femmes dans
l'histoire
Le très bel ouvrage “Des Femmes dans l'Histoire en Belgique, depuis 1830”
nous raconte une autre histoire de notre pays, sans doute moins connue,
celle des femmes. Une histoire largement illustrée qui a pris le parti de se
raconter au travers de récits de vie de femmes, peu ou pas connues, mais
tellement extraordinaires !
Le 14
octobre 2000,
quelque 30.000 femmes venues de tous les continents
sont dans les rues de Bruxelles pour dire
"Stop à la violence et à la pauvreté".
Elles
sont nombreuses à avoir, souvent discrètement, apporté leur pierre à
l'édifice de l'histoire de la Belgique, mais surtout à avoir fait avancer la
“cause” des femmes vers plus d'égalité. La première de ces femmes hors du
commun: Zoé de Gamond. En 1830, la situation des femmes n'est pas très
glorieuse. C'est simple, à l'époque, les femmes "n'existent pas". “Elles
n'ont pas plus de droits que les enfants. Elles ne votent pas, ne sont pas
éligibles, ne peuvent pas occuper de fonctions publiques. Elles payent
pourtant des impôts”, écrivent Suzanne Van Rokeghem, Jeanne
Vercheval-Vervoort et Jacqueline Aubenas dans “Des Femmes dans l'Histoire en
Belgique, depuis 1830”.
Zoé de Gamond ne
conçoit l’émancipation des femmes que par l’éducation et l’association. Elle
préconise la scolarité obligatoire pour les filles comme pour les garçons
jusqu’à 15 ans. Elle crée en 1835 une école pour ouvrières adultes qui
connaîtra un grand succès.
L’indispensable
éducation
L’instruction est et
reste un élément clé pour l’émancipation de la femme tout au long de
l’histoire. 1864 est une date décisive pour les femmes belges car, enfin,
les portes de l’enseignement secondaire s’ouvrent à elles, leur permettant
d’accéder à de nombreux métiers, mais aussi à l’université. Cette année-là,
Isabelle Gatti de Gamond (la fille de Zoé) ouvre la première école moyenne
pour filles alors qu’elle n’a que 25 ans! Mais tout n’est cependant pas
gagné. Les femmes peuvent se former mais… pas trop. Le ministre François
Schollaert considère que “la femme ne doit pas entrer trop en avant dans
le domaine des sciences. Il s’agit avant tout de former des femmes
chrétiennes”.
Isala Van Diest est
la première femme belge à posséder un diplôme universitaire. Mais ce n’est
pas en Belgique qu’elle reçoit son diplôme de docteur en médecine car
l’entrée à l’Université de Louvain lui a été tout simplement refusée. Les
femmes se forment donc, accèdent peu à peu aux métiers jadis réservés aux
hommes, mais les mentalités ont du mal à évoluer. Pour preuve, près de 100
ans plus tard, en 1961, lorsqu’une journaliste nommée Janine Lambotte
devient la première femme à présenter un journal télévisé en Europe, le
journal Le Peuple ose écrire: “Comment une femme peut-elle savoir où se
trouve le Vietnam?”. Instruites peut-être mais toujours considérées
comme des idiotes par certains…
Femmes
soignantes,
femme résistantes
Depuis toujours les
femmes ont pris une place importante dans le domaine des soins. Constance
Teichmann défend l’idée, avant-gardiste pour l’époque, de donner aux enfants
des soins médicaux particuliers. Elle crée en 1846 un hôpital pour enfants
pauvres et y consacrera toute sa vie. Elle y travaille comme infirmière et
rejoindra en 1870 Ida de Crombrugghe sur le front de la guerre
franco-prussienne où de nombreuses infirmières soignent les soldats. Dans
son journal, Ida dénonce cette guerre atroce, la sophistication des armes,
l’engrenage de la vengeance... En 1915, sur le front de l’Yser, elles sont
des milliers à s’engager comme infirmières ou aides-soignantes. Les soldats
les appellent les “anges blancs”. “Nous le disions dans Le Petit Livre
rouge (1): nous sommes les infirmières d’un monde malade et
nous continuons à être les infirmières d’un monde malade!”, confie
Jeanne Vercheval.
Mais il serait
réducteur de limiter le rôle des femmes à la fonction de soignante. Durant
la seconde guerre mondiale, elles s’engagent dans la résistance. Parmi ces
femmes d’exception: Andrée De Jongh. Elle s’engage comme volontaire pour
l’aide aux blessés et “subtilise” des soldats britanniques blessés. Alors
qu’elle n’a que 24 ans, cette femme déterminée crée le réseau Comète pour
organiser leur évasion. Les femmes de ce réseau parviendront à faire passer
800 aviateurs en Grande-Bretagne. Autre exemple: Louise de Landsheere qui
fait partie du Service de renseignement et d’action. Elle participe à
l’édition et à la diffusion de La Libre Belgique clandestine. Arrêtée
par la Gestapo, elle mangera les messages en clair qu’elle transportait!
Les femmes
s’engagent en politique
La guerre terminée,
on renvoie les femmes dans leur foyer. Isabelle Blum constate en 1946 que
“Celle qui ne s’est pas donné la peine d’acquérir une qualification manuelle
ou intellectuelle, quittant le travail, libérera le marché du travail des
entraves du salaire à rabais...”. “On se croirait revenues en 1919! Les
féministes ont du pain sur la planche!”, écrivent les auteures. Une
exclusion fondamentale est levée cependant en 1948: les femmes peuvent enfin
voter aux élections législatives et provinciales. Curieusement, être déchues
de leur droit de voter ne les a cependant pas empêchées d’accéder au
Parlement, telles Lucie Dejardin en 1929 ou encore Isabelle Blum et Alice
Deggeer-Adère en 1936. Il faudra attendre 1965 pour qu’une femme accède au
poste de ministre. Le portefeuille de Margueritte De Riemaecker est taillé
sur mesure: la famille et le logement! Aujourd’hui, les ministres,
parlementaires et bourgmestres femmes sont heureusement plus nombreuses.
Cependant, malgré la parité des listes électorales, l’égalité dans les
postes de pouvoir n’existe pas encore. La récente présentation du futur
collège échevinal à Charleroi composé à 90% d’hommes est la preuve vivante
que les hommes ne sont pas encore prêts à partager le pouvoir.
L’ouvrage “Des
Femmes dans l’Histoire” qui se veut optimiste nous présente des femmes qui
ont accédé au pouvoir comme Joëlle Milquet, Laurette Onkelinx, Isabelle
Durant ou Freya Van den Bossche… “On a choisi de les présenter un petit
peu pour leur rappeler qu’elles sont là grâce à tout ce qui précède et
qu’elles ne doivent pas l’oublier”, souligne Jeanne Vercheval.
11 novembre,
Journée nationale
des femmes
Mai 1968 marque un
profond changement de société. “En Belgique, le mouvement des femmes
connaît une ampleur et une force exceptionnelles”, peut-on lire dans
“Des Femmes dans l’Histoire”. Au Nord se crée le mouvement féministe Dolle
Mina. Au Sud, sous l’impulsion de Jeanne Vercheval, des femmes se
rassemblent et prennent pour nom les “Marie Mineur”. À Bruxelles, Marie
Denis ouvre une maison des femmes, rue du Méridien. “Les comités se
multiplient autour des idées forces “A travail égal, salaire égal” et “Dans
mon ventre, c’est chez moi”. La loi du silence est rompue autour du viol et
des femmes battues.” Une poignée de militantes belges partent à Paris
pour rencontrer Simone de Beauvoir et l’invitent à venir participer à une
journée dédiée aux femmes. Celle qui a écrit “Le Deuxième sexe” répondra
présente et le 11 novembre 1972, près de 8.000 femmes se rassembleront à
Bruxelles pour la première journée nationale des femmes...
Continuer à
avancer
Impossible de
refaire l’Histoire des Femmes en Belgique en une seule petite page. Elles
sont militantes, syndicalistes, juristes… Elles défendent leurs droits
sociaux, se battent pour leurs droits et devoirs de citoyennes… Elles
s’affirment dans les domaines des arts et de la littérature, mais aussi des
sciences et de la médecine… Les auteures ont, elles aussi, eu bien du mal à
limiter leur Histoire à 300 pages, 200 récits de vie et près de 800 femmes
citées. “Nous avons dû couper près de la moitié de ce que nous avons
fait, raconte Jeanne Vercheval. Il y a des domaines que nous n’avons pas pu
aborder. Je trouve que nous ne parlons pas assez des femmes dans
l’ex-colonie belge au Congo ou encore de tout ce que les femmes ont fait
dans la résistance. Notre objectif n’était bien sûr pas d’être exhaustives.
Nous voulions, par ce livre, montrer que les femmes ont fait des choses
extraordinaires, courageuses, insiste encore Jeanne Vercheval.
“Le
message que nous voulons faire passer dans cet ouvrage est que les femmes ne
doivent pas accepter de recul. Elles doivent continuer à avancer vers
toujours plus d’égalité.”
Toutes les femmes
ont leur place dans ce très bel ouvrage qui se parcourt et se lit avec
beaucoup de plaisir. Depuis les premières pionnières issues de la
bourgeoisie, en passant par de simples ouvrières au fond de la mine ou
travaillant à la chaîne et jusqu’aux ministres d’Etat, toutes ont leur place
et chacune a mis sa petite pierre à l’édifice d’une société plus égalitaire
entre les hommes et les femmes.
Françoise Robert
(1)
Le Petit Livre rouge des femmes est un ouvrage collectif, initié par Marie
Denis, qui paraît le 11 novembre 1972 à l’occasion de la première Journée
nationale des femmes. “Ecrit pour toutes les femmes”, il dit ce que les
femmes vivent, éprouvent, pensent et revendiquent à l’époque.
De Voyelles à
l'Histoire des femmes
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Suzanne Van
Rokeghem, Jeanne Vercheval-Vervoort, Jacqueline Aubenas sont les auteures du
livre “Des Femmes dans l'Histoire en Belgique depuis 1830”. Toutes les trois
ont participé à la fabuleuse aventure de “Voyelles”, un mensuel assez
révolutionnaire pour l'époque qui est paru de 1979 à 1982. Des portraits de
femmes d'aujourd'hui et d'hier côtoyaient des articles consacrés à la
politique et à l'économie. On y trouvait également de la culture, des infos
pratiques... C'était un mensuel qui parlait des femmes, de ce qu'elles
réussissaient, de manière simple et accessible. Un magazine qui parlait
autant d'histoire que de luttes sociales et qui ne manquait pas de mettre
une petite rubrique "recettes".
“Dans ce livre, nous
avons voulu reprendre la manière dont on parlait des femmes dans Voyelles,
explique Jeanne Vercheval. Nous sommes plutôt des journalistes que des
historiennes et notre objectif n’était pas de faire un travail scientifique
mais bien un ouvrage de vulgarisation. Nous reprenons pas mal de témoignages
de femmes que nous avions rencontrées à l’époque de Voyelles et qui sont
décédées maintenant…”
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À commander
|
Des Femmes dans l’Histoire
en Belgique, depuis 1830
■ Suzanne Van Rokeghem,
Jeanne Vercheval-Vervoort, Jacqueline Aubenas
■ éditions Luc Pire, Coll.
Voix de l’histoire
■ 50 EUR.
Cet ouvrage peut
être commandé par écrit auprès du Service Librairie d'en marche
avec une
réduction de 10%. Voir page 8.
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