Vie Quotidienne
(2 avril 2009)
L’espace
public,
lieu de rencontre
entre les
générations?
Parcs,
artères commerçantes, jardins, places, gares, rues, transports en commun…
l’espace public devrait être accessible à tous et lieu de véritables
rencontres entre toutes les générations. Trop souvent encore, il manque
singulièrement de convivialité. Réflexions et pistes d’action.
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Michel Houet/Belpress.com |
Zones
de commerces et d’habitat, zonings d’activités économiques, infrastructures
d’équipements collectifs ont fleuri ça et là aux abords des villes et
villages, ces cinquante dernières années. Bien séparés géographiquement, ils
sont néanmoins reliés par un réseau routier dense, destiné à fluidifier et
accélérer le trafic. Les villes aux contours alors bien définis se sont
transformées en agglomérations plus ou moins tentaculaires et les villages
se sont éclatés en étoile le long des voiries périphériques. L’espace, ainsi
structuré, a donné la suprématie à l’automobile et aux camions, négligeant
tous les autres usagers et modes de déplacement. Les aménagements
nécessaires aux piétons, cyclistes et transports collectifs ont été négligés
et sous-estimés. Le maillage territorial a donc oublié de penser la juste
place des mobilités douces, reléguées en seconde zone et régulièrement mises
en difficulté dans des espaces non adaptés et insuffisamment sécurisés. La
galère!
Parallèlement, à même
époque, de nombreuses familles ont quitté la ville pour accéder à la
propriété en périphérie. Ces ménages, âgés aujourd’hui, n’imaginaient pas un
jour se retrouver prisonniers de leur lieu de vie, loin des commerces et
équipements collectifs. De telles situations risquent de se multiplier dans
les lotissements mais aussi dans les villages où disparaissent magasins de
première nécessité, bureau de poste ou encore agence bancaire.
Une mobilité pour tous
Des aménagements sont
pourtant pratiqués tous les jours, parfois à grands frais pour rendre
l’espace public plus accueillant. Cependant, trop de projets aboutissent
sans tenir compte suffisamment de la réalité des habitants, en négligeant
leurs conseils avisés même lorsqu’ils sont consultés. Un comble!
Dans des villes comme
Charleroi, Liège ou Namur, des piétonniers existent mais ils sillonnent
essentiellement des rues commerçantes parfois éloignées géographiquement des
arrêts de transports en commun. Véritables respirations qui fractionnent un
parcours long et fatiguant, les bancs publics y sont trop peu nombreux,
voire absents. Les toilettes publiques subissent le même sort alors qu’elles
apportent un confort de première nécessité.
Désengorger les
centres-villes à l’aide de parkings de dissuasion est une solution, oui,
mais partielle. Pourquoi des navettes itinérantes n’iraient-elles pas
chercher les passants les moins enclins à se déplacer, a fortiori chaque
fois qu’un marché, une foire ou quelque événement festif a lieu? Les
populations environnantes de tous âges participeraient de la sorte, elles
aussi, plus volontiers aux rassemblements collectifs.
Bien entendu, la mise en
œuvre de ces aménagements et services a un coût. Et leur entretien et leur
maintenance occasionnent, on s’en doute, des frais, en particulier en
personnel. Sommes-nous prêts à consentir davantage de dépenses publiques
pour ces types de tâches et travaux?
Mixité des fonctions…
Réhabiliter collectivement
une fontaine, une source ou encore la placette locale désertée ravive la
cohésion de tout un quartier et ressuscite des évènements tombés dans
l’oubli. La mise en valeur du patrimoine des hameaux et villages donne de
formidables occasions pour stimuler mémoire et fierté collectives, parfois
ancestrales.
Aménager des chemins
agréables et aisés vers les parcs, espaces collectifs divers et lieux de
rassemblement reste un moyen efficace d’augmenter les chances de rencontres
intergénérationnelles.
Dans la même logique,
associer un terrain de jeux de boules à une terrasse de café brassera plus
de monde que si chaque activité s’organise de manière distincte.
Il en va de même dans les
espaces collectifs des lotissements qui animent les quartiers. Parfois, des
espaces de jeux sont délaissés, les enfants de résidents ayant grandi.
Pourquoi ne pas leur associer de nouvelles fonctions en installant par
exemple dès le départ un parcours santé, quelques bancs, de jolies
plantations entretenues; en jumelant de la sorte d’autres activités à l’aire
de jeux, des publics plus âgés garderont un intérêt à profiter régulièrement
de l’espace.
… rencontres
entre les générations
La démarche collective et
citoyenne visant à reprendre en main l’espace public pour le partager risque
bien de changer petit à petit la donne générale. Cette action de proximité a
cependant besoin d’être suffisamment accompagnée de professionnels et
soutenue financièrement, en particulier par les pouvoirs locaux. Dans ces
conditions, l’action aura toutes les chances d’être pérennisée. C’est un des
principes défendus par Mohammed Malki (1), pro-acteur
d’initiatives intergénérationnelles “durables” en France. «Qu’ils soient
financés par les pouvoirs publics ou soutenus par le milieu associatif, de
tels projets, dit-il, doivent se structurer sur base de collaborations non
limitées dans le temps». Centré sur l’espace public et les lieux de vie
en général, l’objectif principal reste, en premier lieu, de viser le mieux
vivre ensemble à l’échelle d’une rue, d’une ville, d’un quartier (lire
l’encadré à propos de la Fondation Roi Baudouin).
La qualité de l’espace
public pourrait donc être améliorée si de nombreux acteurs (architectes,
urbanistes, décideurs, comités de quartier, secteur associatif, citoyens …)
le repensaient ensemble comme un véritable système répondant aux besoins
d’usagers cohabitant dans le plus grand respect et souci des uns et des
autres.
En créant des opportunités
entre les âges, des habitudes de rencontres sont ainsi proposées aux
différents publics qui déjà se côtoient, bien sûr, mais trop souvent encore
sans véritablement se rencontrer.
Anne
Jaumotte,
chargée de projets à l’UCP, mouvement social des aînés
(1) Mohammed Malki est directeur de l’association
Accordages et auteur de “L’intergération : une démarche de proximité”. Site
web: www.accordages.com. M. Malki
est intervenu comme conférencier au colloque organisé par la Fondation Roi
Baudouin le 19 novembre 2008 sur “Le défi des relations
intergénérationnelles”.
Impressions contrastées d’habitants |
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«J’habite à proximité de la place Flagey à Bruxelles, raconte
Joséphine. Nous avons subi des travaux conséquents durant de
longues années et voyez le résultat! Une place immense, sans
caractère qui ne suscite qu’indifférence et déception de la plupart
des habitants du quartier. Des années de lutte pour ça!».
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Quelques parents
papotent dans un parc public. A y regarder de plus près ça discute
ferme. Une partie du coin vert, dit l’un d’entre eux, est squattée
par une bande d’ados agressifs qui font pétarader leurs motos.
«On se sent de trop, s’insurge Samira qui regrette ici comme
ailleurs les aires de jeux désertées par les familles, faute
d’entretien, et le manque de sécurisation à la fois des lieux et des
jeux. «Tout est détruit, les gens ne respectent plus rien».
«Les bacs à sable sont infestés de crottes de chiens, râle
une jeune femme outrée. Une vraie infection pour les enfants!
Sans compter tous ces chiens en liberté, accompagnés de maîtres peu
regardants. Voyez aussi là-bas sous les arbres, des poubelles
éventrées… Impossible dans ces conditions de trouver le plaisir de
se croiser, de se saluer, de vivre l’instant présent … tout
simplement».
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«150 personnes vivent ici côte à côte dans ce quartier récent, sur
un peu plus d’un hectare et demi. Une fois par an, nous organisons
un grand barbecue, juste pour le plaisir. Et lors de la fête des
voisins, la moitié des résidents devient hôtes et accueille les
autres familles. L’année suivante, les rôles sont inversés. C’est
fou les liens et affinités qui se révèlent et l’entraide qui en
découle rien que par ces deux moments récréatifs appréciés autant
par les petits que par les grands! On ne se connaissait pas au
départ, c’est notre proximité “naturelle” qui a tout déclenché». |
Quelques initiatives intergénérationnelles |
Entre 2006 et 2008, trois appels à projets de la Fondation Roi
Baudouin ont primé des réalisations visant à renforcer les relations
intergénérationnelles. Parmi elles, épinglons quelques initiatives
valorisantes pour les usagers et l’espace public
(1).
“Balade des passeurs de mémoire”
ou comment un groupe d’aînés et une classe de primaire ont collaboré
à la réalisation d’un carnet de route regorgeant de balades à vélo
truffées d’histoire! Ensemble, ils ont désigné les sites à mettre en
valeur, réalisé des illustrations pour révéler au mieux les trésors
cachés de leur région. Au terme de cette expérience, les enfants
deviennent à leur tour passeurs de mémoire. (UCP Tournai:
069/25.62.62.)
“Signes des temps... Projet d’art urbain
intergénérationnel”
Adultes, enfants et
seniors ont créé ensemble une cartographie artistique géante sur la
place du village ainsi que des œuvres d’art durables après avoir
échangé et travaillé leurs perceptions de l’espace public. Photos
géantes sur toile, sculptures végétales trônent dans l’espace public
seneffois que ce groupe s’est (ré)approprié collégialement au sens
propre comme figuré.(Action sociale seneffoise: 067/87.90.34)
“Quartiers d’histoires”
Le projet fait se
rencontrer les habitants d’un quartier pour se transmettre
l’histoire de leur lieu de vie à travers des photos, récits,
objets…. Ces productions rassemblées et décryptées sont présentées à
un public large. Atoutage
asbl (010/45.20.61) accompagne cette démarche et a réalisé un kit
utile “Pour que votre quartier devienne un lieu de rencontre des
générations…”.
“Habitat et Participation”,
asbl, oeuvre au quotidien plus particulièrement dans les domaines de
l'habitat, de la gestion des territoires et du développement urbain
et rural. (010/45.06.04. pour une info, un conseil, l’accompagnement
d’un projet, …)
(1) Davantage d’informations sur
www.kbs-frb.be |
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