péritif,
cocktail dinatoire, raclette, buffet froid, diner gastronomique, goûter
crêpes… toutes les invitations ne se ressemblent pas. Elles en disent long
en tout cas sur notre personnalité, l’image aussi que nous nous faisons de
nos invités et sur nos intentions à leur égard. “Nos invitations sont le
reflet de ce que nous sommes, de ce que nous désirons montrer à l’autre car
à chaque fois, nous nous exposons”, expliquent Jean-Pierre Corbeau et
Jean-Pierre Poulain, sociologues de l’alimentation et auteurs de “Penser
l’alimentation” (1). “Partager un repas, inviter
quelqu’un chez soi, c’est lui donner à voir une part de son intimité”.
La personne invitée risque, quant à elle, de se trouver engagée à l’égard de
son hôte car il est d’usage, dans notre culture, de rendre l’invitation.
Déclinaison d’invitations
Les deux sociologues ont
décrypté cinq catégories d’invitation (2). L’apéritif
tout d’abord. De tout temps, partager un verre a constitué les prémices
d’une dynamique d’échange, le moyen d’observer l’autre, de s’en approcher.
Inviter à un apéritif ou un “cocktail dinatoire” (très à la mode) est idéal
pour une première rencontre ou un événement auquel on convie des personnes
que l’on connaît peu. Le rituel d’invitation à l’apéritif raccourcit le
temps et répond au goût pour la rapidité. A l’inverse, le temps de l’apéro
peut se déployer entre amis rencontrés à l’improviste ou pendant les
vacances par exemple. A la différence du thé ou du café, l’apéritif ouvre
une possible continuation. Si la qualité des échanges autour d’un verre et
de douceurs salées et sucrées est jugée suffisante, on acceptera ensuite
l’intimité d’un repas complet...
Les barbecues en été,
les raclettes, pierrades et fondues en hiver ont un peu la même
signification que les apéros improvisés entre amis. Ce n’est pas le plaisir
de manger que l’on recherche avant tout, mais celui d’être ensemble. En
proposant un repas conçu autour d’un mode de cuisson invitant chacun à
mettre la main à la pâte, on s’assure des moments de détente et de
convivialité. Ce repas, qui peut être préparé rapidement à l’avance, offre
l’occasion de faire la fête “à la bonne franquette”.
Les repas du terroir,
quant à eux, jouent un rôle identitaire. En dégustant les plats
traditionnels, on perpétue la mémoire et les habitudes familiales. Dans
toutes les cultures, les plats mijotés ou uniques (types carbonnades
flamandes, salade liégeoise ou potées chez nous) sont réservés à la famille
car leur cuisson privilégie l’homogénéité des goûts, l’osmose, tandis que le
traditionnel trio “viandes-féculents-légumes” est davantage préparé pour
ceux qui n’appartiennent pas à la “tribu”. Les repas régionaux sont aussi
l’occasion de parler de sa culture à ses amis et de mieux se faire
connaître. Ils peuvent représenter une épreuve initiatique: l’acceptation
dans le clan passe par l’adhésion à la cuisine…
Toute autre sera la
symbolique des menus raffinés et dîners gastronomiques. L’enjeu est
de mettre en avant son bon goût et son savoir-faire. La qualité des mets et
des boissons devient le support de conversation et joue le rôle de créateur
de lien. Afin d’affirmer leur statut, les classes sociales aisées pratiquent
souvent une cuisine gastronomique ou à la mode comme la cuisine exotique ou
la fusion food qui mêle des cuisines venues d’ailleurs. On veut ainsi
signifier son ouverture au monde et montrer qu’on est “tendance”.
Enfin, il y a ceux qui
invitent au restaurant ou reçoivent chez eux avec les services d’un
traiteur ou d’un chef à la maison. Ces hôtes vous diront qu’ainsi ils ne
doivent donc pas se soucier de la cuisine et restent pleinement disponibles
pour la conversation. Bien entendu, on ne pourra pas apprécier leur cuisine
mais plutôt le choix de l’endroit où ils nous emmènent ou le
professionnalisme du traiteur. Quant à l’intimité, elle est nettement
moindre à la maison qu’au restaurant qui ne se prête qu’aux comportements
convenus…
Recevoir, c’est donner
Comme le fait remarquer
très justement Alain Etchegoyen, philosophe, dans “Nourrir”, le mot recevoir
est d’une ambigüité étonnante (3). Il signifie à la fois
que l’on reçoit quelqu’un et que l’on reçoit de quelqu’un. Chacun prend et
donne en même temps. Recevoir, c’est être attentif à l’autre, et son plaisir
nous fait plaisir. Nourrir, c’est donner de l’amour, prendre du temps pour
l’autre, imprimer la mémoire de ceux qu’on nourrit de souvenirs et de
saveurs…
D’aucuns estiment
qu’aujourd’hui pourtant, recevoir est davantage source de stress que de
plaisir, en particulier lorsqu’il s’agit de repas de fête. “Avant, il y
avait des traditions, des coutumes coulées dans le ciment”, avance la
sociologue Diane Pacom, de l’Université d’Ottawa (4).
“Maintenant, le monde est sans référence réelle, si ce n’est l’obsession de
la santé, et l’on doit désormais plaire à tout le monde, ce qui est loin
d’être évident”.
Par ailleurs, recevoir
est devenu une science, un étalage de prouesses et de connaissances qui
tétanisent plus d’une cuisinière. Sans parler du temps passé aux préparatifs
de la table et de la maison qui trouvent de plus en plus difficilement place
dans nos vies trépidantes.
Pourquoi invite-t-on, en
définitive? Pour en mettre plein la vue aux gens ou pour passer un bon
moment ensemble? Quelle que soit la formule choisie, ne passons pas à côté
de l’essentiel: être bien avec ceux qu’on invite et leur offrir le meilleur
de soi.
Joëlle
Delvaux
(1) “Penser l’alimentation” - JP Poulain et JP Corbeau –
Privat – 2002.
(2) “Dis-moi comment tu invites” - Christine Delmar-Honen –
Psychologies – sept . 2002 -
www.psychologies.com
(3) “Nourrir” - Alain Etchegoyen - Anne Carrière - 2002
(4) Citée par Silvia Galipeau dans “Recevoir, quel
cauchemar” paru dans “La Presse” du 3 novembre 2008 -
www.cyberpresse.ca