Vie Quotidienne
(16 avril 2009)
Création ou évolution?
Les clés du débat
Cette
année, on commémore la naissance de Darwin (1809) et la publication de son
livre L’Origine des espèces (1859). Sa théorie de l’évolution est cependant
mise à mal par les défenseurs des thèses créationnistes. Ces dernières ne
datent pas d’hier. Mais, aujourd’hui, le débat percole jusque dans les
classes de sciences, où les enseignants peinent à présenter cette matière.
Tiré
de la pièce Darwin, de Thierry Debroux, un petit extrait résume à merveille
les tenants et aboutissants du débat sur le créationnisme. Il nous plonge
dans le monde de Sally, professeur de biologie dans une petite ville
tranquille des Etats-Unis. Elle se retrouve dans l’embarras lorsqu’elle
colle un zéro à l’un de ses étudiants qui refuse de réaliser un travail sur
Charles Darwin.
- Anton: «Cette histoire
de Darwin me tracasse. Je ne parviens pas à comprendre pourquoi sa théorie
de l’évolution continue de déranger autant. Même le pape a renoncé à l’idée
que Dieu avait créé le monde en six jours».
- Sally: «Six jours,
quatorze ou quinze milliards d’année, la question n’est pas là. Ce qui
dérange vraiment c’est de penser que personne ne s’intéresse à nous, que
nous n’avons été ni désirés ni prévus, que nous sommes une sorte d’accident.
Le Vide n’est pas l’image d’un père acceptable. Nous avons mis des siècles à
admettre que la terre n’était pas le centre de l’univers. La théorie de
Darwin n’a que 150 ans. Un peu de patience. L’homme finira par accepter
l’idée de sa solitude.»
Pure fiction, direz-vous...
Que du contraire! Depuis quelques années, les cas de remise en cause de la
théorie de l’évolution dans le cadre du cours de biologie sont courants des
deux côtés de l’Atlantique. Cette remise en question intervient tant au
niveau de certaines instances religieuses ou politiques qu’au niveau des
élèves et étudiants eux-mêmes. Selon une étude de l’ULB auprès d’étudiants
du secondaire et du supérieur (universitaire ou non), menée en 2005, près
d’un étudiant bruxellois sur quatre se sent proche des théories
créationnistes.
Un mouvement
fondamentaliste
La question de l’évolution
est au programme des cours de biologie dans l’enseignement général ou des
cours de science et de technologie dans l’enseignement technique et
professionnel. Pour l’enseignant, c’est l’occasion de sensibiliser les
élèves aux différentes théories de l’évolution, à commencer par celle de
Charles Darwin. Dans son célèbre ouvrage “L’origine des espèces”, le
scientifique explique que les espèces n’ont pas été établies une fois pour
toutes. Or, qui dit évolution de celles-ci dit remise en cause de l’idée
selon laquelle Dieu a fixé les êtres vivants lors de la Création.
Le créationnisme est né en
réaction au darwinisme et à d’autres interprétations moins littérales de la
Bible. Il a vu le jour au 19ème siècle dans les milieux
fondamentalistes protestants américains. Selon ses partisans, le monde a été
créé par Dieu en six jours. Ils soutiennent également que les théories du
type Darwin s’opposent à la Bible, selon laquelle Dieu aurait créé chaque
espèce végétale ou animale d’une façon individuelle. Le créationnisme s’est
ensuite diffusé aux Etats-Unis tout au long du 20ème siècle.
Certains Etats sont allés jusqu’à voter des lois interdisant l’enseignement
de la théorie de l’évolution dans les écoles. Mais, comme l’explique le
jésuite Jean-Marc Balhan, qui réalise un doctorat sur la perception du
créationnisme en Turquie, «la Cour suprême des Etats-Unis, en 1968, a
déclaré ces lois anticonstitutionnelles, du fait qu’elles servaient à
établir une religion supportée par l’Etat»: une entorse au premier
amendement de la Constitution américaine sur la séparation du pouvoir entre
l’Eglise et l’Etat.
De là est né le
créationnisme dit “scientifique”. «N’ayant plus la possibilité de
recourir à des arguments religieux devant les tribunaux, les créationnistes
ont commencé à défendre la position suivante: le créationnisme, c’est de la
science, pas de la religion. Et l’évolution est une religion, pas de la
science». L’échec de cette manière de voir fut pourtant réel lorsque la
même Cour suprême déclara, en 1987, que le créationnisme scientifique avait
pour but de défendre une religion particulière. On le voit: le créationnisme
n’est autre qu’un concept politique développé au départ d’une position
théologique.
Le créationnisme,
version musulmane
L’Islam n’est pas épargné
par ces tensions. Dans les années 1980, le gouvernement turc décide
d’inclure des thèses créationnistes dans les manuels de biologie.
«Celles-ci ont été expulsées des manuels scolaires en 1997, explique
Jean-Marc Balhan, ce qui a entraîné diverses réactions critiques. Parmi
elles, celle de la “Fondation pour la science et la recherche”, présidée par
Harun Yahya - pseudonyme d’Adnan Oktar- à la tête d’un petit mouvement
sectaire. Selon lui, les musulmans sont victimes d’un complot
judéo-franc-maçon-communiste qui répand un matérialisme scientifique fondé
sur le darwinisme». Disposant de moyens financiers importants, Yahya
distribuera dans plusieurs milliers d’écoles (belges notamment) un “Atlas de
la création” (2) selon lequel les espèces n’auraient jamais
évolué. Ces ouvrages sont facilement disponibles et en vente libre notamment
dans les librairies bruxelloises.
Les Témoins de Jéhovah, mais
aussi certains pasteurs pentecôtistes ou évangélistes au succès croissant,
reprennent et diffusent les thèses créationnistes. Le monde politique n’est
pas épargné: certaines personnalités européennes et des ministres vont
jusqu’à proposer, par exemple, d’introduire les positions créationnistes
dans les programmes des cours de sciences. Ce fut le cas en Italie, en 2004,
et aux Pays-Bas, en 2005.
En réaction, en octobre
2007, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté une
résolution intitulée “Les dangers du créationnisme dans l’enseignement”.
Dans des termes très clairs, elle a rejeté tous les doutes répandus autour
de la théorie de l’évolution et invité la communauté éducative à s’opposer
fermement à toute présentation du créationnisme comme une discipline
scientifique.
La partie n’est pourtant pas
gagnée, car les idées simplistes d’Harun Yahya et de certaines églises font
leur chemin en Belgique comme ailleurs. Dans les écoles, des jeunes mettent
en cause le cours de biologie et font appel au cours de religion pour les
“défendre”. Il arrive que certains, quittant le cours de sciences, se ruent
dans la salle des professeurs afin d’interpeller leur enseignant de
religion. «M’sieur, vous devez nous aider! La prof de sciences a dit que
l’homme descend du singe, elle est dingue!»
La confusion entre la
science et la foi est totale. Cette difficulté s’ajoute au fait que le cours
de biologie n’aborde cette question qu’en 6ème secondaire, alors
que le professeur de religion peut-être amené à l’aborder bien plus tôt, à
la demandes d’élèves. Différents instances, confessionnelles ou non,
proposent ce thème lors de formations où sont présents des professeurs de
religion. Cela tend à montrer que le questionnement des jeunes est bien
présent dans les classes, mais aussi que les enseignants cherchent des
réponses adéquates.
Science et religion:
compatibles
Faut-il en conclure que tous
les croyants sont créationnistes? Non! La majorité des croyants croient à la
création de Dieu mais ils sont aussi évolutionnistes. «Le créationnisme
est sans objet, expliquait le théologien Benoît Bouguinne (UCL) lors
d’un débat organisé dans le cadre du Festival Scienceinfuse – Printemps des
sciences. Il faut respecter les distinctions: on peut croire à la
création sans que le niveau scientifique soit concerné. Croire “si Darwin a
raison, ma foi est impossible” est une pensée fondamentaliste, qu’elle soit
d’obédience chrétienne ou musulmane. L’autre danger est de voir Darwin
utilisé à des fins d’athéisme politique.»
L’homme doit-il pour autant
en venir, comme le dit Sally dans la pièce de Thierry Debroux, à “accepter
l’idée de sa solitude”? Au 16ème siècle déjà, César Baronius, un
célèbre cardinal italien disait que «Dieu n’a pas voulu nous enseigner
comment le ciel va, mais comment on va au ciel». Que la science nous
explique “comment va le ciel”, c’est une évidence. Mais la science ne peut
expliquer le sens de notre présence sur terre, qui reste de l’ordre du
mystère. Et c’est là que la Bible (par exemple), en expliquant “comment on
va au ciel”, tenterait de donner un sens et une orientation à notre
existence. Science et religion seraient alors complémentaires et, par
conséquent, compatibles.
David D’Hondt
(1) “Darwin” de Thierry Debroux , éd. Lansman, 2007.
(2) On peut consulter l’entièreté de l’“Atlas de la
création” sur:
www.harunyahya.fr/index.php . Pour le lire avec un esprit critique, il
est recommandé de s’intéresser au dossier complet sur Darwin et la
problématique du créationnisme de la revue “Louvain”, n° 177 (février et
mars 2009) -
http://www.uclouvain.be/revue-louvain . A noter, enfin, au titre
d’approfondissement religieux, la sortie prochaine du livre “Adam et
les théories de l’évolution : Islam et christianisme confrontés aux
sciences”, sous la direction de Brigitte Maréchal , éd. Académia-Bruylant,
Louvain-la-Neuve, 2009.
Des pistes pour enseigner l’évolution |
Pas toujours facile
d’enseigner l’évolution! D’où l’idée de l’Association des
professeurs de biologie (Probio) de réaliser un ouvrage afin
d’épauler les enseignants. Réunissant plus de vingt spécialistes
issus du monde universitaire belge et de l’Institut royal des
Sciences naturelles, ainsi qu’un professeur de biologie de
l’enseignement secondaire, le livre “Comprendre l’évolution 150 ans
après Darwin” commence par une mise au point sur Darwin et sur
l’histoire de la vie. Une deuxième partie, plus scientifique, aborde
les mécanismes en jeu dans les processus évolutifs. L’ouvrage ouvre
également le débat: science et non-science. On y lira aussi, parmi
d’autres, un article de Bernard Feltz (UCL) à propos des relations
entre science, philosophie et théologie. Il se termine par des
pistes à destination des professionnels de l’enseignement.
“Comprendre l’évolution 150 ans après Darwin”,
sous la direction de Gérard Cobut, éd. De Boeck, Bruxelles, 2009,
320 p., prix: 23,50
EUR. |
|