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Vie Quotidienne (21 novembre 2013)


Les Repair cafés

© Matthieu Cornélis

Apparue au Pays-Bas en 2009, l'initiative prend son envol en Belgique. Son leitmotiv: réparer, ensemble, tout ce qui est réparable plutôt que jeter à tout va. Le Repair café est un lieu d'apprentissage et de résistance à la consommation de masse. Reportage au “Café des réparations” d'Ixelles.

Difficile, ce dimanche, de se frayer un chemin jusqu'à la table qui rassemble réparateurs bénévoles et visiteurs. Dans l'espace-bar, beaucoup patientent, un ampli de radio sur les genoux, un grille-pain ou encore un aspirateur. Dès l'entrée, il est nécessaire de prendre un ticket et de préciser les raisons de sa visite : électro, informatique, couture, vélo-mécanique, bois… Vu le monde, force est de constater que le succès du Repair café n'est pas surévalué.

“On va essayer!”

La réponse de l'électronicien, adressée à celui qui espère réparer sa console de jeux, sonne comme une invitation à prendre place pour participer au diagnostic. Devant eux sont étalés tournevis, pinces, fers à souder, lampes de chevet. Le strict minimum pour travailler correctement. Une fois quelques explications échangées sur l'origine présumée de la panne, les tournevis entrent en action et déconstruisent minutieusement, pièce par pièce, l'appareil. La console de jeux est éventrée au même titre que les aspirateurs, radios ou sèche-cheveux disposés sur la table.

Assise plus loin, une dame sourit. “Qu'est-ce qui me rend heureuse? Eh bien regardez: mes baffles sont réparés! J'ai acheté ce système d'amplification il y a bien dix ans. On n’en fait plus des comme ça. Aujourd'hui, il n'y a plus que des systèmes adaptés à l'IPod.” Deux dysfonctionnements ont été identifiés avec l'aide d'un spécialiste: le circuit imprimé et un câble à remplacer. “Les câbles comme celui-ci ne se trouvent plus alors ce monsieur m'a proposé de recycler celui de mes vieux écouteurs. Moralité: il faut toujours garder ses vieux écouteurs!

Dans la pièce voisine, Laurent, 37 ans, raccommode son jean sous le regard bienveillant d'une couturière. “À force de circuler à vélo, j'en ai râpé mon pantalon. Ça faisait un moment que je voulais apprendre à me servir d'une machine à coudre. Pour moi, réparer mon jean, c'est militer contre le ‘tout à jeter’ en étant créatif.” Et la couturière d'ajouter: “C'est lui qui fait tout: il a apporté une pièce de tissu, placé les épingles puis je lui apprends à coudre en zigzag.” Un rien provocatrice, elle ajoute : “Il n'y a que des radins friqués qui viennent au Repair café. Ils savent qu'il y a de gentils pigeons qui donnent des cours gratis”. Sa phrase est ponctuée d'un clin d'œil pour en souligner l'ironie. Laurent n'est pas d'accord: “Ça n'a rien à voir avec la classe sociale! Il y a des gens qui sont créatifs et d'autres qui ne le sont pas. C'est le ‘plus’ du Repair Café : essayer en mettant la main à la pâte.

Quel public?

Le Repair café, un projet de bobos (bourgeois-bohême)? “La moitié du public est clairement conscientisée sur les enjeux du développement durable, précise Jean-Bernard Rauzer. L'autre moitié, ce sont des gens qui viennent pour des raisons économiques. S'ils n'ont pas – encore de conscience écologique, ils en adoptent les gestes. Ce sont des personnes qui ne sont pas habituées à jeter.

Le co-fondateur du Repair café Bruxelles précise également les raisons de la satisfaction des visiteurs: “Ils sortent contents parce que leur objet est remis en état mais aussi parce qu'ils sont impliqués dans l'intervention, ils regardent, ils essayent. Ça permet de démythifier la réparation et de rendre cette personne plus autonome”. Une autre bénévole, qui s'intéresse à la conversation, rebondit sur cette idée : “La société fait tout pour que nous soyons dépendants et incompétents, pour que nous achetions plus. On fait de la résistance en permettant à des personnes d'acquérir de nouvelles compétences.

Un projet très jeune

Le premier “Café des réparations” était initié par une ancienne journaliste, Martine Postma, à Amsterdam en 2009. Selon elle, les gens avaient perdu la culture de la réparation. Dès lors, son objectif était de mettre en contact deux groupes de personnes : les réparateurs bénévoles et ceux qui voudraient réparer mais ne savent pas comment. Trois ans après, une cinquantaine d'initiatives labélisées “Repair café” ont vu le jour aux Pays-Bas.

Le succès est tel qu'il chemine jusqu'aux oreilles du bruxellois Jean- Bernard Rauzer. Pour lui, c'est évident, il faut initier ça à Bruxelles. C'est ainsi qu'est né, en 2012, le premier Repair café belge. Depuis, sept espaces ont ouvert leurs portes dans la capitale et plus de 40 en Belgique. “Ce dimanche, nous avons effectué une soixantaine d'interventions, affirme Jean-Bernard Rauzer. Certains appareils sont de bonne manufacture et méritent une seconde jeunesse tandis que d'autres, d'une qualité pitoyable, n'en valent pas la peine.

La porte est ouverte à tous. Mais pour se prémunir de s'y rendre trop souvent, mieux vaut garder cette phrase en tête lors de l'achat d'un appareil neuf : “Je ne suis pas assez riche pour acheter bon marché”.

// MATTHIEU CORNÉLIS

>> Infos : www.repaircafe.be/fr/ • contact@repaircafe.be

 Un modèle économique basé sur le gaspillage 

Qui n'a pas été surpris de voir son frigo, son téléviseur ou son four à micro-ondes tomber en panne quelques années à peine après l’achat, voire juste après la période de garantie? Les appareils conçus pour durer se font rares, tout comme les réparateurs, au profit des vendeurs. Acheter, consommer, jeter: une politique calculée pour vendre à tout prix.

La société de consommation semble avoir tenu sa promesse: rendre les biens accessibles au plus grand nombre pour améliorer confort de vie et bienêtre. Résultat : les foyers occidentaux sont suréquipés d'appareils, le marché est saturé. Comment, dès lors, créer de la demande? En programmant l'obsolescence des produits ou, dit plus simplement, en réduisant délibérément leur durée de vie.

Une fiabilité décroissante

Les appareils électroménagers courants profiteraient aujourd'hui d’une durée de vie de 6 à 8 ans alors qu'auparavant elle était de 10 à 12 ans en moyenne. “La fiabilité des produits n'est plus une priorité pour les constructeurs”, estime un rapport édité en 2010 par Les Amis de la Terre et le Centre national d'information indépendante sur les déchets (Cniid - France)(1). Les fabricants n'hésiteraient pas à raccourcir délibérément la durée de vie de leurs produits.

Comment ? En déterminant, par exemple, le nombre de cycles maximal qu'un appareil pourrait assurer avant de présenter des signes d'usure. C'est le cas des lave-linge soumis à une utilisation intensive avant commercialisation. Aussi, celui des cartouches d'encre pour imprimante domestique. Sur certaines d'entre elles, un capteur prétend alerter l'usager une fois la cartouche vide. En réalité, il s'agit d'une puce bloquant l’imprimante lorsque le nombre déterminé d'impressions est atteint. Bien souvent, une quantité significative d'encre est encore présente dans la cartouche.

La rareté des pièces de rechange et leur coût, parfois exubérant, poussent aussi le consommateur à considérer l'achat d'un nouvel appareil comme plus avantageux, et à jeter l'ancien. Tandis que certains produits sont rendus indémontables, en moulant la batterie d'un smartphone ou d'une tablette dans le plastique par exemple, la réparation s’avère impossible. Il n'y a plus qu'à jeter.

Rendre “ringard” son propre produit

La durée de vie d'un appareil serait déterminée par la qualité de ses composants. Pourtant, de nombreux biens sont jetés au rebut avant leur mort clinique. Les responsables de ce fléau? La mode et une certaine vision du bonheur qu'avancent les publicitaires et les marketeurs pour “vendre plus”.

De plus en plus d'électro-ménagers sont “customisés” pour intégrer au mieux le design intérieur : un frigo vert-pomme, une bouilloire électrique à la silhouette épurée, un micro- ondes en aluminium… On en fait des objets renouvelés au gré de la mode. Une fois vieux et démodé, le consommateur est encouragé à s'en séparer pour laisser place à la nouveauté, à l'original, à la dernière avancée technologique. Ainsi, l'obsolescence esthétique (ou psychologique), jusque là en vigueur essentiellement dans le secteur de l'habillement, permet aux fabricants de vendre davantage de produits en s'appuyant sur la frustration des consommateurs.

Impacts

Toujours selon le rapport “L'obsolescence programmée, symbole de la société du gaspillage” (1), en Europe, une tonne de déchets équivaut à la consommation en amont de 100 tonnes de ressources (minérales et fossiles). La production croissante d'appareils électriques et électroniques fait exploser la demande en métaux si bien qu'une pénurie de zinc, de cuivre, de plomb, de nickel… pourrait advenir d'ici une trentaine d'années. Qui dit excavation de grandes quantités de terres dit défrichage des sols, exploitation des terres fertiles, destruction de la biodiversité… rappellent les Amis de la Terre. “La course aux matières premières a des conséquences environnementales, humaines et sanitaires désastreuses”.

“Acheter, consommer, jeter” est une philosophie que des associations environnementalistes ont l'ambition de contrer. Les pistes: imposer aux fabricants d'afficher la durée de vie des produits, fixer la durée de la garantie à dix ans ou encore soutenir le secteur de la réparation. Toutefois, le consommateur ne devra pas attendre les effets de ces actions pour résister à la culture de l’ “être par l'avoir” et poser des choix responsables.

// MaC

(1) “L'obsolescence programmée, symbole de la société du gaspillage. Le cas des produits électriques et électroniques” •Martine Fabre et Wiebke Winkler, Les Amis de la Terre et le Cniid• septembre 2010

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