Vie Quotidienne
(18 octobre 2012)
Paranormal : êtes-vous
sûrs d’y croire ?
Paroles de spirite repenti |
Le spiritisme, Jean
Champenois connaît bien. Il l’a pratiqué pendant dix années. Il fut
intercesseur entre les vivants et les morts. Il a fait tourner les tables,
renverser les tabourets, voler les rideaux ou parler les morts. Il le fait
encore, pour démystifier les phénomènes. Il a appris l’imposture. Il est
allé à bonne école. Un jour, il a claqué la porte. Ecœuré de profiter du
malheur des autres. “La crédulité
est à la hauteur de la souffrance, confie-t-il. Un jour, l’abus de
pouvoir auquel je m’exerçais m’est devenu insupportable. Certaines personnes
m’étaient si reconnaissantes ! Je ne me suis plus donné le droit d’agir
ainsi, même si je contribuais à donner un certain espoir”. Alors qu’il
a arrêté depuis des années, des personnes rencontrées dans “son autre vie”
lui demandent encore de parler aux morts. “C’est comme si elles
n’avaient pas entendu ni intégré que tout ça était de la mise en scène, du
chiqué, clame-t-il. Elles éprouvent un besoin très fort de croire
qu’un lien est encore possible. Des personnes s’étonnent, après une séance
de spiritisme, d’avoir vu un verre évoluer seul sur une table. Elles sont
persuadées que mon doigt était dix centimètres au-dessus du verre. Eh non,
je peux vous jurer que je le touchais sinon comment aurais-je pu le
manipuler?”
S’il a renoncé au
spiritisme, Jean Champenois n’en est pas moins resté curieux de ses
ex-confrères en la matière. Il connaît bien “le secteur”. “On m’a invité
à des séances soi-disant extraordinaires, explique-t-il, mais il y
a toujours une explication, un tour de magie, de la ventriloquie, un acolyte
caché pour donner des coups de pieds ou des coups de bâtons quand on demande
à l’esprit de se manifester.” Aujourd’hui, Jean Champenois le spirite
est reconverti en magicien. Sous le pseudo de Tony Delbel, il amuse petits
et grands. Il a remisé son attirail de médium, sauf lors de séances
d’informations du Comité Para. Mais c’est pour la bonne cause. |
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© Reporters/BSIP |
Voyance,
astrologie, télépathie, spiritisme, extraterrestres... ces phénomènes
intriguent pour le moins. Certaines personnes y croient dur comme fer et
sont prêtes à dépenser beaucoup d’argent pour connaître leur avenir, faire
revenir leur amour perdu, entrer en communication avec un défunt... Depuis
soixante ans, le Comité Para œuvre à éveiller l’esprit critique face à des
phénomènes réputés paranormaux. Un travail salutaire.
“La fragilité, le
chagrin, la maladie
sont certes des situations propices à une défaillance de
la capacité de discernement. Mais hors ces moments de crise, il reste fort à
faire pour armer les Belges contre la crédulité”, explique d’emblée Olivier
Mandler, membre du Comité belge pour l’investigation scientifique des
phénomènes réputés paranormaux (Comité Para). D’après une étude(1)
du Centre de recherche et d’Information des organisations de consommateurs
(Crioc), 20% des Belges disent croire aux pratiques de guérisseurs, 15% aux
prédictions des astrologues, 12% à celles de voyants et 10 % admettent
l’inscription de la destinée dans les lignes de la main (chiromancie). Des
chiffres en augmentation par rapport à ceux d’une enquête antérieure.
“Le
paranormal, c’est le petit bout de la lorgnette pour aborder l’importance de
l’esprit critique”, avance Olivier Mandler, fervent défenseur de la devise
de “son” Comité : “Ne rien nier a priori, ne rien affirmer sans preuve”. Un
Comité né après la Deuxième Guerre mondiale face au désarroi de familles de
soldats disparus au combat. Des familles prêtes à faire confiance à des
radiesthésistes prétendant détecter des objets ou des personnes grâce à un
pendule ou une baguette. Quelques scientifiques se sont émus des faux
espoirs engendrés par l’intervention de charlatans. Né de cette indignation,
le Comité s’est rapidement composé de médecins, d’astronomes, de
statisticiens, de psychologues et d’illusionnistes. Plus de quarante-cinq
ans plus tard, ce combat est revenu sur le devant de la scène, lorsque des
radiesthésistes ont proposé leurs services lors de la recherche des petites
Julie et Mélissa. A l’époque, l’état-major de la gendarmerie avait engagé le
dialogue avec le Comité Para qui l’avait assuré que les expériences
scientifiques menées avec des radiesthésistes ne s’étaient jamais révélées
concluantes. Une directive ministérielle avait, dans la foulée, précisé que
la piste des voyants est sans issue et que les pseudo-scientifiques sont à
l’origine d’une surcharge de travail pour les services de police.
Horoscope
et voyance
C’est sous l’influence du Comité Para qu’un journal comme Le Soir
accompagne l’horoscope de la mention “pour ceux qui y croient”, histoire de
relativiser. “Le ciel auquel se réfèrent la majorité des astrologues date de
2000 ans, explique Roger Gonze, astronome et Président du Comité.
L’astrologie ne tient pas compte du fait que le ciel connu aujourd’hui ne
ressemble en rien à celui des anciens. Il n’existe pas douze mais treize
constellations… En outre comment comprendre que des morceaux de cailloux
dans le ciel ou des amas de gaz auraient une influence sur le caractère des
gens. Il existe des influences, par exemple la lune sur les marées mais ce
sont des influences physiques que l’on peut parfaitement calculer. Imaginez
une personne anxieuse qui lit dans son horoscope qu’elle doit être prudente
sur la route. Voilà qui peut accroître le risque d’accident!”
L’art de la
voyance est au moins autant sujet à caution, au regard du Comité Para.
Aucune des expériences menées par ce dernier ne s’est révélée concluante.
Les spécialistes qui se sont penchés sur le sujet ont plutôt mis en évidence
les dons des voyants et médiums en matière d’observations, une perspicacité
sur laquelle repose la “lecture à froid” ou “cold reading”. “Dès l’arrivée
du consultant, le voyant va se faire une idée de sa personnalité, explique
Olivier Mandler. Sans poser de question, il va se lancer dans quelques
affirmations sans grande précision. Selon les réactions, l’approbation
verbale mais aussi des gestes ou des mimiques, il va continuer sur sa lancée
ou tester un autre terrain. C’est ainsi qu’il affine son diagnostic. Les
personnes en proie au doute vont retenir ce qui leur importe.” “J’ai
rencontré quantité de voyants, poursuit Jean Champenois, spirite repenti
(lire son témoignage ci-contre). Aucun n’a jamais pu répondre à la question
que je lui posais. Tous me demandaient de leur fournir des éléments
d’information. Où est la voyance là-dedans?”
Les dérives de l’irrationnel
Tout ce qui relève de l’occultisme est ainsi étudié par le Comité Para. Mais
sa mission est plus large : dénoncer toute affirmation non prouvée contraire
aux connaissances acquises et reconnues par l'ensemble de la communauté
scientifique, quelle que soit la nature de cette affirmation: paranormale,
religieuse - comme dans le cas du Créationnisme. Par ailleurs, le comité
exerce également son devoir de vigilance envers les pratiques médicales non
conventionnelles qui, estime-t-il, n’apportent pas de preuve scientifique de
leur efficacité.
Globalement, le comité dénonce les exploitations
mercantiles, les abus de confiance et autres, tels l'utilisation de la
graphologie et de l'astrologie comme moyens de sélection lors d'un
recrutement. De tous les combats, le Comité Para. “Ne rien affirmer sans
preuve”, on vous disait…
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VÉRONIQUE JANZYK
(1) “Voyances, guérisseurs et para-sciences” – Crioc –
octobre 2010. Voir www.crioc.be
>> Pour en savoir plus :
“Le
paranormal à l’épreuve de la science” le mardi 23 octobre de
12h à 14h à La Louvière. Rens. : 065/87.96.25 ou
0496/18.56.43.
A lire :
“La
Science face au défi du paranormal” – Comité Para – Ed.
Relie-Art, 2005.
Plus d’infos :
www.comitepara.be
Une éducation à l’esprit
critique
“Il existe une
éducation aux médias. Pourquoi pas une éducation à exercer un esprit
critique, à la rationalité?”, s’interroge Michel Soupart, pédagogue. C’est
ce à quoi s’attelle le Comité Para qui intervient en milieu scolaire, année
après année.
“Le sang peut couler des murs, je l’ai vu à la télé!”, “Je
connais une voyante qui prédit l’avenir”, “Mon horoscope dans le journal est
souvent juste”, “Ma grand-mère a rêvé que mon grand-père allait tomber
malade, et c’est arrivé”… Autant de témoignages d’enfants ou d’ados entendus
lors des animations du Comité Para dans les écoles. Lequel tente de remettre
les pendules à l’heure.
Tout ce qu’on voit à la télé n’est pas vrai. Des
faits divers comme celui de la maison hantée d’Amityville ont été élucidés,
ce qu’on ne sait pas toujours. En l’occurrence, des enquêtes menées par des
journalistes indépendants ont montré qu’il s’agissait d’une histoire
inventée par les locataires incapables de continuer à financer l’achat de
leur maison.
“C’est aux plus jeunes qu’il faut essayer d’inculquer
l’importance de la réflexion face aux évènements de toutes natures, pas
uniquement face au paranormal d’ailleurs, explique Michel Soupart, pédagogue
au Comité para. On sent chez les enfants et les adolescents le désir d’en
savoir plus. On est témoin de l’éveil du doute lorsqu’on leur fait toucher
du doigt, par des exemples concrets, les failles de notre perception, de
notre jugement, les tromperies de nos sens et de notre mémoire. Ils se
rendent compte que les choses ne sont pas simples, qu’elles ne sont pas
toujours ce que l’on croit et que la méfiance s’impose à l’égard
d’affirmations extraordinaires contraires aux lois physiques.”
Intervenir
tôt dans le cursus est important. Les croyances s’installent tôt et elles
ont la dent dure. Une étude menée auprès des étudiants universitaires
francophones montre que près d’un sur dix croit à l’astrologie, autant aux
envoûtements et à la voyance. Un tiers sont convaincus de l’existence des
extraterrestres et trois sur quatre sont prêts à s’en remettre aux médecines
parallèles de toutes sortes.
“Il s’agit, à travers les rencontres que nous
proposons, d’offrir aux jeunes la possibilité d’un autre regard sur le
monde, plus rationnel. Il s’agit de les outiller contre la crédulité pour
que, plus tard, ils ne soient pas victimes de charlatans, argumente Michel Soupart.
Qui met en garde: Nous ne sommes pas des empêcheurs d’imaginer ou
de rêver dans le sens noble du terme. L’un des commandements des sceptiques
n’est-il pas de conserver à jamais un certain goût de l’émerveillement, de
l’étonnement et du rêve, si précieux pour vivre harmonieusement.”
//VJ
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