Tourisme
(6 juillet 2006)
Le rêve
de Saint-Petersbourg
Saint-Petersbourg, la ville rêvée par Pierre le Grand est aussi la ville
de Pouchkine et de Dostoievski. Visite guidée de cette splendide ville de
pierre et d’eau, de lumières et d’ombres profondes (1).
Sur
les quais de la Moïka, Saint-Petersbourg prend des airs d’Amsterdam. Au
numéro 12, la façade arrondie d’un élégant hôtel particulier suit les
courbes du canal. C’est là que la famille du poète Pouchkine s’installe en
1836. Au sous-sol, une solide matrone vous enjoint d’enfiler
d’encombrantes pantoufles de feutre pour ne pas abîmer les parquets ciré
de «l’appartement-musée» aux meubles précieux. Dans l’audioguide, une voix
aux accents tragiques conte les derniers jours du poète si cher aux
Russes...
Au 5 de la
Perspective Kouznetchny, face au marché couvert, un petit escalier de
pierre descend quelques marches; il faut sonner pour entrer dans la maison
de Dostoievski. Ici pas de patins, les sols sont de bois brut. De la pièce
d’angle où il écrivit les Frères Karamazof en 1879, on peut voir les dômes
de Notre-Dame-de-Vladimir. De Pouchkine à Dostoievski, du «Cavalier
d’Airain» (2) à Raskolnikov (3), des palais des bords de la Néva aux
sombres arrière-cours, apparaissent les lumières et les ombres de
Saint-Petersbourg.
Le rêve de Pierre
Fondée de rien en 1703, Saint-Petersbourg sera, selon les vœux même du
tsar Pierre le Grand, la matérialisation d’une Russie nouvelle. Au bord de
l’empire, résolument tournée vers l’Europe, elle devait rassembler le
meilleur de l’Occident. Ses architectes seront Français, Italiens,
Allemands ou Hollandais. C’est pourquoi elle a, tout à la fois, des airs
de Paris, Rome ou Amsterdam... Son histoire sera sanglante, elle changera
trois fois de nom, passant par Petrograd et Leningrad, au gré du vent
violent de l’Histoire. Devant la gare de Finlande, Lénine est toujours là,
bras levé et doigt tendu, indifférent au flot de Lada pourries et de 4X4
rutilants aux vitres fumées. «La classe moyenne n’existe pas en Russie,
explique notre guide Véra, dans un français précieux. Un médecin ou
un professeur gagne l’équivalent de 150 euros par mois.»
Une dame sans âge
enveloppée de châles colorés vend quatre têtes d’ail sur les bords du
trottoir, une autre, deux bottes de jeunes oignons. Plus loin, dans la
mythique Perspective Nevsky, les boutiques de luxe rivalisent de
clinquant. Le pays est passé du communisme au néolibéralisme le plus
violent, laissant des traces jusque sur les visages. Au-delà de la
quarantaine, les âges se confondent dans la grisaille et la lassitude,
alors que les jeunes filles sont superbes, un peu voyantes, juchées sur
des talons vertigineux.
Sur la place des Palais, le bâtiment de
l’Etat-Major des Armées étire sa façade jaune pâle face à l’Ermitage, vert
d’eau. Le badigeon coloré de ses façades est la constante du style
petersbourgeois. Pour lutter contre la grisaille des jours? Sur les rives
de la Néva majestueuse, s’offre enfin la vision idyllique de la ville: les
quais de granit rose de la forteresse Pierre-et-Paul, la flèche dorée de
l’Amirauté, le dôme de Saint-Isaac. Les ponts qui relient les nombreuses
îles formant la ville se lèveront vers deux heures du matin dans la nuit
pâle du Nord, pour laisser les bateaux rejoindre le port. Et là, on touche
à la magie.
Le Palais d’Hiver,
centre emblématique de la ville, est construit dès 1754 par Bartolomeo
Rastreli pour Elisabeth 1ère, la fille de Pierre le Grand, première
impératrice de Russie. Démoli, reconstruit, agrandi, il forme aujourd’hui
avec le Petit, le Grand et le Nouvel Ermitages, l’un des plus riches
musées du monde. L’un des plus prestigieux aussi. Le charme opère dès
l’entrée, rue des Millionnaires, par un immense portique soutenu par dix
atlantes de granit, et par l’impressionnant escalier d’honneur, triomphe
baroque d’or et de feux. Les salles sont sombres, les murs rouge sang ou
vert bronze. Les planchers grincent; ça sent la cire d’abeille et la
poussière, cette poussière comme chargée d’histoire, si particulière aux
musées. Un vrai bonheur. Dans chaque salle, une babouchka vous suit d’un
œil las. Les «highlights» se repèrent au bruit. C’est là que s’agglutinent
les visiteurs, pour quelques secondes seulement, puis la salle est tout à
vous, miracle de la «Madone Litta», de Léonard de Vinci. Impossible de
tout voir mais comment choisir? Justement, ne pas choisir, se perdre dans
les salles, guetter l’un des 150 chats en «service officiel», chargés de
traquer les souris grignoteuses, grimper au second voir «La danse» de
Matisse, marcher devant, de gauche et de droite, et se laisser entraîner
par «La musique»... Et puis le «Champs de coquelicots» de Monet, «La dame
au chapeau vert» de Van Dongen, et trois merveilleux petits Vuillard... On
raconte qu’un collectionneur russe ayant vu ses toiles étatisées après la
révolution passa le reste de sa vie dans le musée, et mourut sous un
escalier...
Par la fenêtre, la
Néva se diapre d’un arc-en-ciel de mazout.
Le monde clos des cours
L’un des secrets de
Saint-Petersbourg, ce sont ses cours. Derrière les façades colorées des
palais sagement alignés, elles sont comme un monde clos, silencieux et
surpeuplé, caché aux yeux des touristes peu curieux. Elles sont pourtant
l’âme même de la ville, son cœur meurtri. Elles n’ont pas changé depuis
Dostoievski. Là, dans des tours grises au charme mélancolique, s’entassent
des familles entières, plusieurs générations dans une seule pièce. Il
n’est pas rare d’y trouver des appartements communautaires, les
«komunalka», vestiges d’une époque révolue. Dès 1917 les palais du centre
ville sont divisés en appartements pour les familles ouvrières jusque là
logées dans les taudis des faubourgs. Aujourd’hui certains sont devenus
propriétaires, mais les murs côté rue restent propriété de l’Etat. En
juillet, Saint-Petersbourg, la ville du président Poutine, accueillera le
sommet du G8. L’heure est aux travaux d’embellissement, simple rénovation
de façade. Devant la célèbre statue de Pierre le Grand sur son cheval
dressé, le cavalier d’airin de Pouchkine, une jeune mariée meringuée se
fait prendre en photo pendant que ses amis descendent une bouteille du
champagne local. Il paraît que cela porte bonheur.
Linda Léonard
(1) Le voyage était
organisé par l’asbl Aricia qui propose un tourisme contemporain à tous les
curieux de l'ordinaire. Sa conception du voyage? Approcher les réalités
actuelles diverses des lieux visités et comprendre ceux-ci dans leur
organisation sociale. Chaque voyage est conçu autour d'un thème, d'une
approche spécifique en rapport avec le lieu. Aricia offre le meilleur
rapport qualité/prix pour qui veut "voyager intelligent" -
www.aricia.be
(2) Célèbre poème de
Pouchkine à la gloire de Saint-Petersbourg.
(3) Personnage de
«Crime et châtiment» de Dostoievski.
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