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Sport  ( 17 septembre 2009)

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Les Africains de l’Est courent pour exister

Les coureurs d’Afrique de l’Est dominent la scène athlétique internationale depuis un demi-siècle. Quel est le secret de cette hégémonie? Un séjour dans la Vallée du Rift au Kenya, grande terre de champions, montre que pour eux, courir est le seul moyen d’avancer socialement, à force de travail.

Arnaud Bébien © Infosud

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Courir, manger, dormir,

sept jours sur sept.

 

 

A Eldoret, ville kényane de la vallée du Rift, chaque matin, avant même que le soleil ne perce, des coureurs prennent possession des chemins en terre rouge. Ils partent en petits groupes, sur un rythme tranquille, avant de se livrer, en fin de parcours, à une lutte infernale sur un rythme effréné. Trois cent soixante-cinq jours par an, le rituel est identique. Eldoret, comme Iten et Nyahururu, non loin de là, pourraient n’être que des villes banales du Kenya. Mais ici, plus qu’ailleurs à travers le monde, on compte une densité exceptionnelle de médaillés mondiaux et olympiques d’athlétisme. Kipchoge Keino, le pionnier, a démarré ici à la fin des années 1960, sur ces terres de l’ethnie kalenjin, la plus pourvoyeuse de champions. Kip Keino, John Ngugi, Moses Kiptanui, Paul Tergat ou Wilson Kipketer, devenu Danois, en font partie.

Les Kenyans, mais aussi les Erythréens, les Ethiopiens, les Ougandais et les Tanzaniens comptent parmi les meilleurs athlètes en fond et demi-fond à l’échelle mondiale. Ainsi, aux Jeux olympiques de Pékin en 2008, ils ont trusté tous les podiums du 800 mètres au marathon. Même scénario aux récents championnats du monde à Berlin, dans les meetings de la Golden League et tout récemment au Mémorial Van Damme à Bruxelles. En cross-country, Kenya ou Éthiopie sont les champions du monde par équipe, chaque année depuis 1981 chez les hommes et 1995 chez les femmes. Nulle part, on ne trouve la même concentration de champions que dans cette région du Kenya, non loin du lac Victoria.

À Iten, un homme a vu défiler depuis trente ans des centaines de journalistes, avec toujours la même question: “Pourquoi sont-ils si forts?”. Cet homme, Frère Colm O’Connell, venu d’Irlande dans les années 1970 pour enseigner, a vécu la transformation du Kenya, ancienne colonie britannique, en un pays de champions. D’ailleurs, juste devant son école, un panneau avertit les automobilistes du risque d’enfants qui “courent”, et non qui “traversent”…

 

La course, ça paye

Frère Colm a connu et entraîné des dizaines de champions. Dans la cantine de son école, un mur est décoré de photos jaunies de célébrités. Les plus grands ont leur arbre planté dans la cour de récréation. L’Irlandais a vu passer des entraîneurs et des scientifiques, à la recherche d’explications. La morphologie y a certainement sa part, mais pas uniquement. “Il est difficile d’affirmer que la génétique est la seule raison de leur domination, dit-il. Les gènes s’expriment dans le mode de vie, la morphologie, la mentalité et bien d’autres choses. Des scientifiques de l’université de Copenhague au Danemark sont venus ici et ont comparé la taille des mollets de jeunes Kenyans avec celle de Danois. Ils ont fait un tas de tests, sur les globules rouges et la capacité d’absorption d’oxygène. Mais jamais personne n’a pu réduire le phénomène à un seul facteur décisif.” Pour Colm, le succès actuel n’a rien de mystérieux: l’entraînement paie, tout simplement.

Nulle part on ne trouve la même concentration de champions que dans la vallée du Rift au Kenya.

Pour les enfants de la Rift Valley, les réussites des Paul Tergat and Co, qui sont devenus de vrais businessmen, sont des modèles. Pas seulement pour l’argent: il y a aussi une culture de la course qui pousse à imiter les dizaines de champions précédents. La question ne se pose pas: on court car c’est un moyen de devenir quelqu’un. Dès lors, ajoute le religieux irlandais, ils sont les meilleurs car ils travaillent dur, dans des conditions d’entraînement difficiles mais idéales pour l’endurance, notamment à cause de l’altitude (2.100 mètres). Même en fin de séance, lorsqu’ils sont tous éreintés, il s’en trouve toujours un pour placer une énième accélération... Cette émulation contribue à faire d’eux des machines à records et à victoires. La Fédération internationale d’athlétisme dispose à Eldoret d’un centre d’entraînement, et le Qatar a promis d’y construire une piste synthétique en échange de la naturalisation d’un coureur kényan.

 

Courir, manger, dormir

Au Kenya, le salaire mensuel moyen est de 50 euros. Lors d’une compétition, en Europe ou aux États-Unis, un coureur et son manager peuvent gagner plusieurs dizaines de fois cette somme. Dans la Rift Valley, beaucoup de jeunes garçons et de jeunes filles, habitués à courir depuis l’enfance pour se rendre à l’école notamment, s’acharnent à s’entraîner encore et encore. Entre les deux ou trois entraînements quotidiens qui les amènent à courir bien souvent plus de 200 kilomètres par semaine, les athlètes retournent chaque fois dans leur chambre pour manger et dormir. Non seulement ils s’entraînent plus que les Occidentaux, mais ils se reposent aussi intensivement. Courir, manger, dormir, sept jours sur sept. 

Ces athlètes n’ont peur de rien, ne se fixent aucune limite. Ainsi, le Tanzanien Faustin Baha, 27 ans, vice-champion du monde de semi-marathon en 2000 derrière le Kenyan Paul Tergat, court depuis 1993, mais se voit encore parti pour 10 ans ! Il a des projets et compte sur l’argent de la course à pied. “Je veux construire une école pour les enfants. J’ai un terrain de dix hectares mais il me manque l’argent pour construire. Ma mère vit seule au village. Chaque jour, pour aller chercher de l’eau, elle doit marcher deux kilomètres. Je veux qu’il y ait l’eau au village. Mais là aussi, c’est une question d’argent.”

Certains sont devenus richissimes, comme Gebreselassie, à la tête d’un empire colossal qui emploie des centaines d’Éthiopiens, et qui envisage de se lancer en politique. La plupart ont la volonté d’aider leurs proches ou leur région d’origine. Tegla Loroupe, recordwoman du monde du marathon il y a dix ans, a financé les études de ses sœurs dans des universités américaines et a lancé une fondation qui cherche des fonds pour construire des orphelinats et des écoles dans sa région natale.

Arnaud Bébien,

InfoSud - Syfia

 

La génétique n’explique pas tout!

Pour tenter d’éclaircir le “mystère keynan” dans le domaine de la course de fond, nous avons interrogé un spécialiste: Gilles Goetghebuer, rédacteur en chef de “Zatopek” et de “Sport et vie”.

En Marche: Pourquoi les Kényans courent-ils si vite? Pourquoi trouve-t-on dans la Vallée du Rift autant de champions?

Gilles Goetghebuer: L’homme s’est toujours adapté à son milieu. Selon certaines théories, un climat chaud et sec favorisera les individus de grande taille qui jouissent d’une plus grande surface de refroidissement. En revanche, s’il fait très humide comme dans les forêts équatoriales, on trouvera davantage de populations de petite taille. L’alimentation joue aussi un grand rôle. Et l’altitude bien sûr! En courses longues distances, la plupart des champions actuels viennent de la Vallée du Rift, qu’ils soient kényans ou éthiopiens. Pourtant, ils ne sont pas les seuls sur terre à vivre à ces hauteurs. Récemment, une étude a montré que l’ancienneté sur le territoire comptait aussi beaucoup en matière d’adaptation. Ainsi les populations des Andes en Amérique du Sud qui se sont installées assez “récemment” en altitude – il y a environ 10 à 15.000 ans tout de même – se caractérisent par une concentration sanguine très forte en globules rouges. Cette polyglobulie peut même poser problème car un sang trop  visqueux circule mal dans les veines. Dans la chaîne de l’Himalaya, où l’on réside depuis plus longtemps (environ 50.000 ans), les gens produisent moins de globules rouges. Ils se sont adaptés de manière un peu différente. Grâce notamment à une amélioration des mécanismes ventilatoires. Enfin, il y a les Africains de la Vallée du Rift qui sont présents sur ces terres depuis au moins 200.000 ans. Là encore, ils démontrent des adaptations spécifiques qui les rendent particulièrement aptes à la course. Ils sont naturellement capables de mieux utiliser l’oxygène particulièrement rare sur ces hauts plateaux. Ils ont également développé une meilleure efficacité gestuelle. Tout cela explique en partie leurs très bonnes performances dans un sport comme la course à pied de longue distance.

 

En Marche: Les facteurs biologiques entrent-ils seuls en ligne de compte dans les performances des Africains de l’Est?

Gilles Goetghebuer: Non bien sûr, des facteurs sociologiques sont aussi en jeu. La plupart des champions africains courent depuis qu’ils sont tout petits. Ils vont à l’école en courant et parfois celle-ci est distante de 10 kilomètres. Quand une majorité d’enfants s’essayent à une même discipline dans un pays, il est normal que cette nation soit plus productrice de champions. Sur la côte ouest-africaine, c’est plutôt le sprint qui exerce la fascination. En Amérique centrale aussi. En Jamaïque, par exemple, lorsqu’on organise une épreuve de sprint, des centaines d’enfants sont sur la ligne de départ. Il est alors nécessaire d’organiser des dizaines de séries de sélection avant d’arriver à une finale. Les finalistes qui sortent du lot sont forcément d’un très bon niveau. Sur les hauts plateaux, au semi-marathon d’Eldoret, une des courses les plus dures au monde qui compte de nombreux champions, 450 athlètes kényans se disputent la victoire dans l’espoir d’être remarqués.

 


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