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Social (6 mars 2008)

 

Syndicalisme au féminin

Dans le passionnant ouvrage, “Syndicalisme au féminin”, Marie-Thérèse Coenen nous dévoile comment les femmes se situent dans le monde du travail en Belgique. Mais aussi comment le mouvement syndical se préoccupe des femmes au travail et comment celles-ci investissent le syndicat. Un travail de grande ampleur qui, pour les seules années 1830-1940, compte près de 400 pages.

Les femmes ont toujours travaillé. Malgré les stratégies déployées pour les exclure du marché du travail, elles sont présentes dès les premières formes d’organisations ouvrières. Dans son vaste travail de relecture des sources, Marie-Thérèse Coenen, historienne (1), a repéré la militante, la déléguée, les ouvrières qui ont arrêté le travail et soutenu la cause à défendre. Un travail de fourmi, car bien souvent l’usage général du masculin ou du neutre dans la langue française, occulte la présence des femmes. En analysant les statistiques des grèves, en dépouillant les commentaires dans les journaux syndicaux, en scrutant l’iconographie, l’historienne a repéré les femmes, discrètes et anonymes pour la plupart, prêtes à défendre leurs droits, leurs conditions de travail, leur salaire. Certaines figures marquent cependant l’histoire telles Emilie Claeys, Victoire Cappe, Emilienne Brunfaut… Quel pouvoir ont-elles eu? Difficile à dire mais il est certain qu’elles donnent de la voix, rappellent régulièrement les contraintes qui pèsent sur les travailleuses, les inégalités dont elles sont victimes, les omissions qui les frappent.

 

En Marche: Lorsqu’on vous lit, on est assez impressionné par le machisme du monde syndical, peu enclin à laisser une place aux femmes.

Marie-Thérèse Coenen: J’ai toujours été fort intriguée par ce refus des hommes d’intégrer les femmes comme travailleuses à part entière. Dans le monde ouvrier du début du 19e siècle, la lutte des sexes était donc plus forte que la lutte des classes.

Il y a vraiment une opposition à la place des femmes dans le monde du travail et ce dès les premières formes d’organisations ouvrières. Nous sommes dans des cultures ouvrières paradoxales où par rapport à des métiers qualifiés, il n’est pas question que les femmes entrent en concurrence avec les hommes. Par contre, on accepte les femmes comme aidantes, comme petites mains, dans les postes secondaires non qualifiés et moins bien rémunérés. On considère même plus intéressant d’engager des femmes à certains postes plutôt que des jeunes apprentis vus comme des concurrents potentiels à terme. On promeut donc clairement la ségrégation des sexes dans les postes de travail.

 

EM: On a cru pendant longtemps que les femmes n’étaient pas présentes dans les syndicats, qu’elles ne militaient pas, mais vos recherches montrent le contraire.

M-T C: Lorsqu’on fait l’inventaire (et je l’ai fait pour les grèves avant ’14), que l’on dépouille l’ensemble des recensions qui existent sur les grèves, on voit que les ouvrières font grève, qu’elles arrêtent le travail pour réclamer des meilleures conditions de travail, d’hygiène, de dignité au travail. A travers ces grèves, on voit les arguments, les cas, les histoires qui se déroulent. Ce travail de recherche permet de montrer qu’elles étaient aussi actives dans l’entreprise.

 

EM: Dans l’histoire du mouvement syndical féminin, Victoire Cappe est définitivement un nom à retenir du côté chrétien.

M-T C: Victoire Cappe crée un syndicat des ouvrières de l’aiguille à Liège en 1907. Pour elle, c’est par le syndicat que l’on va arriver à l’émancipation des femmes, à la revendication des droits des femmes et surtout à l’augmentation de leurs salaires et à leur professionnalisme. Le syndicat est pour elle LE lieu d’organisation de défense et de réflexion sur les droits des travailleuses. C’est par l’étude qu’elles vont connaître leur situation et faire leur propre enquête sur le terrain pour voir ce qu’il faut changer, et c’est par le syndicat qu’elles arriveront à changer les choses.

C’est ce que Cardijn va synthétiser par la suite dans le “voir, juger, agir”. Voir la situation, l’analyser et puis agir.

Le modèle qui s’impose dans les organisations féminines chrétiennes est donc le modèle syndical.

Victoire Cappe crée un secrétariat des Unions professionnelles féminines chrétiennes. Ce sont des femmes qui organisent leur propre service syndical, leur service d’étude, leur bibliothèque, leurs formations. Elles ont quatre centrales et créent des sections syndicales sur le terrain et ça marche relativement bien. Et quand la Confédération de la CSC est créée, elles vont s’affilier comme les autres centrales.

La séparation des sexes est bien acceptée dans le monde chrétien dans le sens où les femmes doivent s’occuper des problèmes des femmes. Le modèle de la femme est bien celui de la femme au foyer. Le bien-être est de tendre vers une société où la femme est là pour élever les enfants et pour être l’épouse au foyer et l’éducatrice. Même si, avant’14, les femmes travaillent quand même…

 

EM: Pourquoi les femmes adhèrent-elles si peu au syndicat?

M-T C: Tout d’abord, le syndicat ne fait pas grand chose pour faciliter l’accès des femmes. On constate que, partout où il y a des sections spécifiquement féminines, les ouvrières viennent davantage aux réunions, animées par des militantes, pour discuter des questions qui les concernent. Mais à la fin du 19e siècle, la commission syndicale du POB (ancêtre de la FGTB) décide que l’affiliation des travailleuses doit se faire dans les syndicats existants, et s’oppose à l’organisation de syndicats féminins spécifiques. La lutte des classes est commune et le mouvement doit rester uni et indivisible. La lutte des classes prime sur la lutte des sexes en somme.

Ensuite, il y a tout le problème de la cotisation syndicale. A l’époque, il s’agissait d’un syndicalisme à assurances multiples. Vous cotisez au syndicat et vous recevez votre journal, vous cotisez à la caisse de grève, vous êtes en même temps mutuelliste, votre cotisation va aussi à la section locale du parti et vous êtes aussi affilié à la caisse chômage, à la bourse du travail et ainsi de suite. Pour les hommes, c’est déjà assez difficile de se syndiquer, étant donné le montant élevé des cotisations qui doivent servir à assurer un ensemble de services. Pour les femmes, ces cotisations sont impossibles à payer vu leur niveau de salaire très bas.

Les centrales du textile et du vêtement demandent des cotisations moindres aux femmes mais leur proposent du coup aussi des services moindres.

Enfin, la législation sociale qui se met en place après’18 ne favorise pas l’engagement syndical des femmes. Le système d’assurance chômage libre et individuelle est restauré au sortir de la guerre via les caisses de chômage syndicales. Mais la loi retire ce droit aux femmes mariées par exemple. Une femme syndiquée qui cotise à une caisse primaire de chômage à travers sa cotisation syndicale a donc nettement moins intérêt à se prémunir contre ce risque qui n’est plus couvert ou seulement partiellement pour elle.

Un autre facteur peut expliquer la faible syndicalisation des femmes. C’est tout simplement le fait que les femmes n’ont pas des carrières professionnelles linéaires. Elles entrent au travail alors qu’elles sont adolescentes, se retirent une fois mariée et lorsqu’elles ont des enfants en bas âge, retournent travailler ensuite.

 

EM: Le premier volume de votre ouvrage se termine en 1940(2). Cette date marque pour vous une rupture?

M-T C: J’ai toujours pensé que la seconde guerre mondiale marquait un tournant dans l’histoire sociale belge mais je suis convaincue aujourd’hui que l’année 1936 représente une charnière bien plus marquante.

En 1936, lors de la grève des 500.000, une des grosses revendications a été le salaire minimum garanti. C’est une très vieille revendication qui consiste à dire qu’il est impossible pour un travailleur de vivre dignement avec un revenu qui est inférieur à un certain niveau.

En ’36 donc, la grande victoire a été de convenir d’un salaire minimum garanti de 32 francs par jour. Rien d’autre n’est dit dans l’accord national qui acte cette convention. Tout le monde le signe avec empressement et ce sont les commissions paritaires qui doivent le mettre en œuvre dans leurs différents secteurs. Au moment d’élaborer les plans de rattrapage, on constate qu’on n’a pas parlé du salaire des femmes. Les 32 francs par jour ne peuvent concerner que les hommes. En effet, les salaires féminins sont tellement bas qu’il est impossible de leur appliquer une telle hausse.

Des conférences du travail sont organisées pour affiner ce premier grand accord professionnel et on y décide que le salaire minimum garanti des femmes s’élèvera à 28 francs.

Clairement, on acte la discrimination salariale des femmes par rapport aux hommes. A partir de 36 aussi, le débat sur l’assurance chômage obligatoire revient à la une et les syndicats ne peuvent passer à côté des travailleuses salariées, futures cotisante.

 

EM: Et après? L’histoire n’est pas finie! Vous travaillez déjà sur le second volume qui couvrira la période de 1940 à aujourd’hui.

M-T C: Après ‘45 c’est une histoire beaucoup plus articulée. Le syndicat devient vraiment un partenaire social. La sécurité sociale est mise en place mais elle est très discriminante. La politique des salaires reste très inégalitaire.

Dès 1945 il y a une volonté d’occuper le terrain de la syndicalisation des femmes à la FGTB comme à la CSC. Les femmes ont été à l’école durant l’entre-deux guerres, elles ont accès à pas mal de professions et après’ 45, elles restent au travail. On se retrouve donc devant une croissance de la population active.

Après 1960, une tiérsarisation de l’emploi ouvre de nouveaux champs d’action pour le mouvement syndical.

En 66, lors de la grève de la FN, les femmes imposent la grève et montrent qu’elles représentent une force syndicale qu’on ne peut plus négliger.

On commence aussi à pointer des grandes revendications sociales spécifiques aux femmes: à travail égal salaire égal, l’équilibre vie privée/vie professionnelle, le partage des tâches, les crèches, la protection de la maternité, les conditions de travail et d’hygiène, le travail de nuit des femmes...

Propos recueillis

par Françoise Robert

 

(1) Marie-Thérèse Coenen est historienne, ancienne directrice du CARHOP. Elle enseigne l’histoire sociale à l’Institut Cardijn et est conseillère à la FOPES.

(2) Le second volume de “Syndicalisme au féminin” qui couvre la période de 1940 à aujourd’hui sortira fin 2008.

 

Syndicalisme au féminin

 

 

 

 

Volume 1, 1830-1940, 400 pages édition CARHOP.

Les lecteurs d’En Marche peuvent se procurer ce volume pour un prix avantageux de 25EUR (au lieu de 30EUR) s’ils passent commande avant le 20 mars 2008.

Frais de port en sus. Paiement à la réception de la facture.

Infos : CARHOP, 02/514.15.30, carhop@skynet.be, www.carhop.be

 


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