SOCIAL
(1er mars 2007)
“Nous
devons garder
notre
capacité d’indignation”
Le jeudi 8
mars 2007 sera la Journée internationale des femmes. Une journée
traditionnellement dévolue aux associations qui défendent les droits des
femmes et lors de laquelle elles rappellent leurs revendications. Mais quel
sens donner aujourd’hui à cette journée? Le combat des femmes pour plus
d’égalité ne manque-t-il pas de souffle nouveau? Les femmes du XXIe siècle
ne sont-elles pas encore et toujours les premières victimes de la précarité
et de la pauvreté?
Rencontre
avec Hafida Bachir, la nouvelle présidente nationale de Vie Féminine.
“Actuellement, il n’y a pas de politiques globales qui permettent aux femmes
de réellement investir correctement le champ professionnel. C’est-à-dire
avoir un revenu, une autonomie et ne plus être dépendante d’une série de
contraintes qui pèsent aujourd’hui sur les elles.”
Depuis le 1er juin
dernier, c’est Hafida Bachir qui a pris les rennes du mouvement Vie Féminine
en assumant le mandat de présidente nationale. Elle est loin d’être une
inconnue au sein du mouvement car elle y travaille depuis presque vingt ans.
C’est en 1988 qu’elle découvre Vie Féminine alors qu’elle est engagée à la
fédération de Bruxelles comme animatrice. Après avoir travaillé trois ans
avec les femmes des quartiers populaires de la Capitale, elle exercera
différentes responsabilités au sein du mouvement et de ses services jusqu’à
sa récente élection par l’ensemble des bénévoles du mouvement comme
présidente. Elle remplace ainsi Christine Weckx qui exerçait ce mandat
depuis cinq ans.
En
Marche: Quel sens a encore aujourd’hui la Journée internationale des femmes
du 8 mars ?
Hafida Bachir: Cette
journée a été, surtout ces dernières années, fortement récupérée par les
médias et les responsables politiques. C’est devenu un peu une fête gadget.
Pour certains mouvements, c’est un moment où l’on se retrouve et où l’on
fait la fête. Mais c’est la Journée internationale pour les droits des
femmes et pour moi, elle n’a pas du tout une dimension festive. Pour
d’autres mouvements, et je le déplore encore plus, elle est devenue un
moment où l’on ressort toute sa mitraille de revendications.
Je trouve qu’il nous faut
retrouver un nouvel élan. Le 8 mars doit être une journée qui rappelle que
dans le monde, et y compris ici chez nous, il y a encore énormément de
choses à obtenir en termes d’égalité entre les hommes et les femmes et
d’égalité sociale aussi.
Le combat des femmes ne doit pas
se limiter à des revendications. Il doit aussi faire en sorte que les
responsables politiques puissent avoir une autre lecture des inégalités.
EM:
Aujourd’hui, le monde politique propose des réformes au nom de l’égalité
hommes-femmes mais pas toujours à bon escient?
HB: On est en train de
donner le sentiment que l’égalité entre les hommes et les femmes est acquise
et en disant cela, on instrumentalise l’égalité entre les sexes.
Prenons l’exemple de la réforme
sur le divorce qui est en cours et contre laquelle nous nous battons. Les
motivations autour de cette réforme pour le divorce sont évidemment
d’alléger la procédure de façon à ce qu’elle soit moins contraignante, vécue
plus positivement pas les deux parties. L’intention est de pouvoir sortir
plus rapidement de ce moment conflictuel et souvent douloureux pour les deux
parties. Mais il y a une autre motivation derrière cette réforme qui est de
dire qu’aujourd’hui la société a évolué, que l’égalité est acquise et que
les hommes et les femmes sont sur le même pied. On a voulu réformer le
divorce pour l’adapter, dit-on, à l’évolution de la société.
Mais a-t-on analysé l’impact réel sur le quotidien des femmes? Toute une
série de femmes ont fait des “choix” qui ne leur permettent pas une réelle
autonomie. Elles ont réduit leur temps de travail ou ont carrément quitté le
marché du travail; elles se sont consacrées corps et âme à leurs enfants, au
ménage et à la maison. Et ces choix-là, elles les ont faits de manière
concertée avec leur conjoint. Aussi parce qu’elles ont un salaire moindre ou
parce qu’elles ne trouvaient pas de structure d’accueil pour leur enfant...
Aujourd’hui, la réforme du divorce ne tient pas compte de ces “choix” qui
ont été faits à un moment donné.
Prenons un des éléments de cette
réforme : les pensions alimentaires. Elles vont être revues en fonction des
années de mariage et vont être limitées dans le temps. Ce qui est piégeant,
c’est que désormais il va falloir prouver qu’on mérite cette pension. La
partie qui la demande, souvent la femme, va devoir prouver qu’il n’y a pas
faute et devoir persuader le juge de la nécessité d’octroyer un pension
alimentaire. Donc la notion de faute qui disparaît dans la dissolution du
mariage, réapparaît au moment de l’octroi de la pension alimentaire.
EM: Nous
sommes à la veille des élections législatives. Comment, selon vous,
devraient s’élaborer les politiques futures?
HB: J’aurais envie que les
nouvelles politiques qui seront menées dans les années à venir prennent en
compte l’ensemble des champs dans lesquels les femmes évoluent. Aujourd’hui,
les politiques de remise à l’emploi par exemple sont déconnectées des
politiques d’accueil de l’enfance qui sont elles-mêmes déconnectées des
politiques de mobilité et de toute une série d’autres politiques. La
recherche que nous avons menée auprès de 120 femmes autour de la précarité
(1) a permis de bien mettre en évidence que tout est
interconnecté. Lorsque l’on fait pression sur les femmes pour qu’elles
retrouvent un emploi (dans le cadre du contrôle des chômeurs), on ne tient
pas compte du manque de structure d’accueil qui ne leur permet pas de faire
garder leurs enfants. Pour trouver un emploi et une structure d’accueil, il
faut pouvoir se déplacer. Les plus démunies, souvent des familles
monoparentales, n’ont pas de possibilité d’avoir une voiture…
Tout est lié et il n’y a pas de
politiques globales qui permettent aux femmes de réellement investir
correctement le champ professionnel. C’est-à-dire avoir un revenu, une
autonomie et ne plus être dépendante d’une série de contraintes qui pèsent
aujourd’hui sur les elles. Il faut, à mon sens, élaborer des politiques
vraiment à contre-courant qui ne renforcent pas la précarité comme elles le
font de plus en plus aujourd’hui. Ce qu’il manque je crois, c’est une
lecture en amont de toute décision ou mesure politique.
EM: Vous
tirez la sonnette d’alarme pour les femmes mais notre société de plus en
plus duale ne met-elle pas de plus en plus de personnes dans des situations
précaires?
HB: Notre recherche sur la
précarité a révélé que tout un pan de la société est en train de fonctionner
dans un genre de No man’s land de débrouillardise. Nous tirons la sonnette
d’alarme parce que si aujourd’hui cela arrive aux femmes, demain cela
concernera de plus en plus de personnes qu’on appelle les travailleurs
pauvres.
EM:
Selon vous, le féminisme est-il toujours autant utile et nécessaire dans
notre pays?
HB: Il est plus que
nécessaire et moi j’y crois énormément. Le féminisme dans lequel je crois
est ancré dans les réalités de vie des femmes et en milieu populaire. Ca
c’est vraiment notre féminisme à nous, à Vie Féminine.
Lorsque nous portons une
revendication sur la place publique, ce n’est pas une théorie élaborée par
une minorité pensante, mais le fruit de toute une réflexion, tout un travail
d’interpellations et d’écoute des indignations des femmes. Chaque fois qu’on
porte une revendication, elle est ancrée et illustrée dans les réalités de
vie des femmes. Nous effectuons sans cesse un travail d’aller-retour qui
nous permet de faire évoluer nos revendications au fil des années en
fonction de l’évolution des réalités de vie des femmes.
C’est ça qui fait la force du
féminisme auquel je crois, un féminisme réellement ancré dans la vie des
femmes. Je ne pourrais pas l’imaginer autrement.
Je ne suis pas devenue féministe
en lisant des théories sur le féminisme mais bien parce que je me suis
indignée par ce que vivent les femmes, par ce qu’on leur fait subir. Et
c’est cette indignation qui me permet d’aller plus loin dans ma réflexion et
de faire des propositions pour que les femmes aient un meilleur sort.
EM:
Est-il facile aujourd’hui de mobiliser les femmes?
HB:
C’est possible de les
mobiliser autour d’une revendication à partir du moment où cela rejoint
leurs réalités. La mobilisation cela ne se décrète pas mais c’est le fruit
d’un travail au quotidien avec les femmes. Si, à un moment donné, elles
trouvent du sens à être dans la rue pour se battre sur tel ou tel aspect,
elles vont le faire. Si cela n’a pas de sens parce que cela n’a pas été mis
du tout en lien avec leur réalité de vie, elles ne se mobiliseront pas.
Il y a aussi tout un travail
d’éducation permanente qui permet de montrer aux femmes que nous sommes
toutes liées et qui leur permet de se sentir concernées par certaines
problématiques même si elles ne correspondent pas à leur quotidien. Se
sentir à un moment donné concernée c’est aussi le début de la mobilisation.
EM:
Quelle est la particularité d’un mouvement comme Vie Féminine aujourd’hui?
HB: La première dimension
et la plus importante pour nous, c’est cette proximité avec les femmes qui
nous fait garder notre capacité d’indignation et de proposition alternative.
Aujourd’hui, on travaille plus
sur cette question de la précarité mais nous ne voulons pas arriver trop
vite avec des revendications. A ce stade-ci, nous cherchons à persuader les
organisations, les institutions ou les responsables politiques de nous
écouter, d’entendre simplement ce qui ressort de cette recherche sur la
précarité. Il nous faut trouver des alliés.
Notre féminisme prend un nouveau
tournant. Nous pensons qu’on ne peut pas se dire féministe sans dénoncer
aussi toutes les injustices sociales qu’elles concernent les hommes ou les
femmes. On ne peut pas être féministe en étant racrapotées sur les droits
des femmes. Nous voulons nous préoccuper de toutes les injustices qu’elles
soient ici ou ailleurs dans le monde.
Mais, dans notre mouvement on ne
se voit pas que pour dénoncer. Les femmes prennent du plaisir à se retrouver
entre elles pour faire des choses qu’elles ont envie de faire, pour
révolutionner le monde à leur manière et pour résister à ce qu’elles vivent
au quotidien.
Je considère que nos lieux de
rencontre entre les femmes sont de vrais lieux de résistance joyeux et c’est
ça aussi qui fait la particularité de nos combats. Nos combats ne sont pas
déconnectés de cette joyeuseté populaire!
Propos
recueillis par Françoise Robert
(1) Les
résultats de cette recherche sont compilés dans l’ouvrage “Au féminin
précaire. Comment les femmes vivent-elles la précarité aujourd’hui?”, édité
par Vie Féminine et vendu au prix de 9 euros. Infos: 02/227.13.00.
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