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Social (18 juin 2009)

Quand le travail domestique

prend des allures d’esclavage

 

Nettoyer, faire le ménage, la cuisine, le baby-sitting, s’occuper du jardin et des animaux… peut ne pas être un travail comme un autre. Exercé parfois 7 jour sur 7, jusqu’à 20 heures par jour, pour un salaire de misère ou dans des conditions de vie inhumaines, il peut se muer en exploitation. C’est le lot de milliers de travailleurs domestiques. Pas seulement ailleurs, mais aussi chez nous, en Belgique. Les observateurs y voient une nouvelle forme d’exploitation des travailleurs illégaux.

 

    @ REPORTERS

Maria, arrivée du Brésil en 2003, trouve un emploi auprès d’une fa

mille de la périphérie de Bruxelles qui cherche une bonne d’enfant interne à plein temps. Levée à l’aube, elle travaille alors 17 heures par jour et finit rarement avant minuit. En plus d’être exploitée, elle est sous-alimentée. «Il n’y a rien à manger à la maison, Monsieur et Madame mangen

t à l’extérieur. Je ne peux aller nulle part. Je ne peux que boire de l’eau du robinet alors que Madame se lave les cheveux avec de l’eau en bouteille. La seule façon d’avoir à manger, c’est d’acheter quelque chose dans un magasin lorsque je vais promener les enfants. (…) Quand la famille est partie en week-end dans les Ardennes, j’ai dû les accompagner. Il n’y avait rien d’autre que de la charcuterie périmée depuis trois mois. J’ai refusé d’y toucher. Du vendredi matin au dimanche soir, je n’ai donc rien mangé. J’ai quand même bu en cachette un verre de lait qui était destiné au petit».

Le travail domestique, comme celui de Maria, est presté pour le compte de particuliers dans une maison, à huis clos. Le travailleur doit se charger de l’entretien de la maison, de la garde des enfants en échange du gîte et du couvert ainsi que d’une rémunération appropriée. Dans les faits, la réalité est souvent toute autre. Engager un domestique en toute légalité coûte cher, et les candidats pour effectuer ce genre de travail ne se bousculent pas au portillon. Beaucoup sont dès lors étrangers, et rarement déclarés. Avec l’élargissement de l’Union européenne, l’offre a augmenté et la concurrence entre les étrangers est telle que les salaires ont baissé.Ces travailleurs arrivent en Belgique dans l’espoir, pour la plupart, d’offrir une vie meilleure à leurs proches restés au pays. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), l’Europe compterait plus de 100 millions de travailleurs domestiques venus d’Amérique Latine, d’Asie, d’Afrique et, de plus en plus, d’Europe de l’Est. Difficile d’évaluer leur nombre en Belgique puisqu’ils sont souvent en situation irrégulière.

 

Entrées dans une impasse

Les femmes sont les plus concernées. Inge Ghijs, journaliste au Standaard, a réalisé en 2006 une des premières enquêtes belges sur les “esclaves domestiques” (1), dont les conclusions rejoignent celles du Comité français contre l’esclavage moderne (CFEM), actif depuis des années. Au cours de longs mois d’investigation, elle a rencontré plusieurs de ces femmes (et quelques hommes) qui ont raconté leurs histoires. Mineures issues d’une famille nombreuse ou mères désireuses d’offrir une meilleure éducation à leurs enfants, elles se laissent berner par les promesses d’un salaire attractif. Souvent, ce sont des amis de la famille ou des proches qui leur trouvent un emploi et se chargent des frais de transport. Loin d’être analphabètes, elles sont pour la plupart éduquées, travaillant comme secrétaire, infirmière, architecte voire médecin. Elles signent un contrat qui stipule qu’en cas de rupture, elles devront rembourser tous les frais qui ont été occasionnés pour elles : billet, visa touristique, trajet en bus vers la ville, vêtements, frais de téléphone. Arrivées à destination avec un visa de touriste, elles déchantent très vite. On leur confisque leurs papiers, ce qui les prive d’existence.

Commence alors, pour un grand nombre, un enfer au quotidien. Elles ne sont que rarement autorisées à sortir, sauf pour aller chercher les enfants à l’école. Leurs employeurs sont souvent au courant des risques encourus: le travail au noir et l’emploi d’illégaux sont, en effet, passibles d’amendes pouvant atteindre 25.000 euros. Mais, illégales sur le territoire, les victimes hésitent à se plaindre et témoigner, d’autant qu’elles connaissent rarement la langue, les lois du pays et leurs droits. Le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme rapporte que 195 victimes ont porté plainte en Belgique en 2008.

 

Au royaume de l’impunité

Ces situations d’humiliation, ce sentiment d’être dans une impasse… sont encore plus prégnants pour celles et ceux qui travaillent pour des ambassadeurs ou des diplomates. Officiellement, un ambassadeur a le droit de faire venir deux domestiques de son pays d’origine. Ces personnes reçoivent une carte d’identité spéciale valable un an et renouvelable, dont les conditions d’octroi ont été durcies en 1999. Un salaire net minimum équivalent à 1.000 euros par mois est prévu, ainsi que l’obligation de remettre la carte en mains propres au travailleur. Un grand nombre d’étrangers sont d’ailleurs attirés par les possibilités qu’offre cette carte bien qu’en pratique, elle n’est plus valable si le domestique quitte son employeur. Et la tentation de partir est grande car les conditions de vie sont souvent inhumaines.

Les diplomates et ambassadeurs d’Afrique et du Moyen-Orient ont la plus mauvaise réputation. Début 2009, le cas de quinze domestiques maltraités à l’hôtel Conrad à Bruxelles par la famille d’un défunt Emir des Emirats Arabes a parfaitement illustré l’impunité qui règne auprès d’une partie du monde des diplomates et ambassadeurs, l’immunité diplomatique les protégeant de la justice, les services de police et d’inspection n’ayant pas le droit de pénétrer dans l’ambassade ni dans la résidence du diplomate.

Livrés à eux-mêmes, ces travailleurs sont quasiment prisonniers. Comme Souad, tunisienne arrivée en 1999. Elle a alors 24 ans et travaille avec une compatriote dans une immense villa auprès de l’ambassadeur des Émirats Arabes Unis. Elle subira durant de long mois des brimades avec un horaire éreintant. «Nous commencions à 6 heures et nous avions rarement fini avant 3 heures du matin. Sept jours sur sept. (…) L’ambassadeur et sa femme dormaient parfois jusqu’à midi. Quelquefois on nous tirait du lit à 4h du matin pour préparer quelque chose à manger». Elle est menacée et victime d’harcèlement sexuel. «J’ai dit à l’ambassadeur que je voulais rentrer en Tunisie, il m’a dit: ‘N’y pense même pas. Je connais bien le président, si tu pars, je ferai en sorte que ta vie devienne un enfer’. J’avais peur pour ma famille alors je n’osais rien faire.»

 

Si la condamnation des diplomates pour traite d’être humains est un combat souvent perdu d’avance, celui des domestiques de particuliers contre leur employeur n’est pas plus aisé. En effet, il est souvent très difficile de prouver qu’une travailleuse a été maltraitée. C’est la parole de l’employé contre celle de l’employeur. Sans preuve, l’affaire est souvent classée sans suite.

 

L’esclavage à domicile n’est pas l’apanage des pays industrialisés. Ainsi au Maroc, au Niger, au Brésil ou en Chine, il est fréquent de trouver des domestiques, souvent mineurs, considérés comme plus obéissants, meilleur marché, voire main d’œuvre gratuite.

Parfois, cependant, des campagnes de sensibilisation ou des organisations parviennent à améliorer leur sort. En Belgique, le Ministère de l’emploi diffuse depuis mai 2005 le document “Clés pour… Engager du personnel domestique non ressortissant de l’espace économique européen”(2) qui rappelle les règles qu’un employeur doit respecter. Son idée force consiste à rappeler que le travail domestique est un emploi comme les autres, soumis aux exigences de contrat écrit, de congés, d’inscription à la sécurité sociale, de séjour légal sur le territoire… Les associations comme l’Organisation pour les travailleurs immigrés clandestins vont dans le même sens, tout en demandant que les clandestins, qui n’ont parfois pas d’autre solution, soient eux aussi pris en compte. Ce sont donc les abus qui sont réprimés, pas l’emploi domestique comme tel.

Jihène Dhib

InfoSud

(1) “Esclaves domestiques: humilié(e)s, violé(e)s, caché(e)s”, d’Inge Ghijs, Edition Luc Pire, 2006.

(2) Infos: 02/233.42.14 - www.emploi.belgique.be

 

 

Réglementer et reconnaître le métier

Au Mali, des employeurs ont accepté que des filles domestiques suivent des cours d’alphabétisation. Au Rwanda, où la moitié des quelque 110.000 employés de maison ont moins de 19 ans, l’option consiste à tout faire pour améliorer le sort des domestiques, sans supprimer ce type de travail. Dans plusieurs pays, en effet, la tendance consiste à réglementer ce type de travail pour qu’il devienne un emploi comme les autres, sans abus.

Des ONG et des institutions internationales comme l’Organisation internationale du travail (OIT) plaident dans ce sens. Ainsi, au mois de mai, au Niger, Solidarité mondiale – ONG du Mouvement ouvrier chrétien – s’est investie dans un séminaire de sensibilisation des autorités publiques d’Afrique de l’Ouest et centrale à la problématique. Il en ressort une «action de plaidoyer sur les conditions de travail du personnel des bars, hôtels, restaurants et de maison». Elle s’adresse notamment aux employeurs nigérians, appelant au respect rigoureux des dispositions du code du travail, à la reconnaissance de la liberté syndicale et d’association pour ces travailleurs, à l’inscription de ces derniers auprès de la caisse nationale de sécurité sociale, à la reconnaissance de ces boulots comme des professions, des métiers à part entière… Des principes qui devraient inspirer tous les employeurs, peu importe leur nationalité, et tous les Etats qui sont appelés à renforcer leurs cadres législatifs en faveur des travailleurs domestiques.

L’OIT s’est fixée pour objectif, quant à elle, l’adoption d’une norme sur le travail domestique décent. Elle a précisé sa ligne de conduite dans un rapport de 2008 (1). La Conférence internationale du Travail 2010 devrait s’en saisir en vue de mieux protéger les domestiques.

(1) “Travail décent pour les travailleurs domestiques”, Genève, 2008. Une bonne part des informations de cet article provient d’un colloque organisé le 14 mai à Bruxelles par l’OIT et le Ministère de l’Emploi.


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