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Social (16 février 2006)

 

Le travail intérimaire, un secteur en pleine expansion

 

Le travail intérimaire a 50 ans d’histoire derrière lui. Des pionniers de l’intérim sous-traitant des indépendants pour des prestations exceptionnelles, aux grandes entreprises de travail intérimaire se profilant aujourd’hui comme des prestataires de services en ressources humaines et des partenaires de l’emploi, que de chemin parcouru !

 

1956. Lucille Rode Gregg fonde un bureau pour fournir un accompagnement sur mesure aux visiteurs de l’Expo Universelle de 1958. Se rendant vite rendu compte du besoin de personnel supplémentaire pour cet événement majeur, elle conclut un contrat de licence avec Manpower, entreprise américaine d’intérim. L’opération est un succès commercial…

L’Expo 58 marque véritablement le début du travail intérimaire en Belgique. «La formule a rencontré un certain succès dans les entreprises pour des raisons de flexibilité évidente», explique Roger Blanpain, Président de la société internationale du droit du travail et de la sécurité sociale, dans un ouvrage collectif très intéressant publié à l’initiative de Randstad sur les 50 ans du travail intérimaire (1). «Grâce au travail intérimaire, on pouvait remplacer un travailleur malade, absorber un surcroît d’activité, assurer des prestations exceptionnelles. Ce succès s’expliquait aussi par le fait que les intérimaires étaient sous statut d’indépendant et coûtaient donc bien moins cher que les salariés. D’où l’enthousiasme des entreprises. Et la résistance des syndicats», poursuit le Professeur.

La lecture de l’histoire du travail intérimaire – tumultueuse et passionnante à bien des égards, comme le livre précité en témoigne – nous apprend qu’il faudra attendre 1976 pour voir doter l’intérim d’un cadre juridique, et les intérimaires d’un statut de travailleur salarié. Un cadre provisoire qui n’a fait place à une loi définitive qu’en 1987, celle-là même qui réglemente toujours actuellement le secteur et a permis d’ancrer la concertation sociale sectorielle.

 

Une croissance soutenue

D’un point de vue économique, le secteur de l’intérim a connu une croissance pratiquement ininterrompue depuis ses débuts. «La reconnaissance légale du secteur et la restructuration économique à la fin des années 70 ont lancé le secteur sur les rails», précise Jan Denys, expert en marché du travail chez Randstad. Les années 80 ont été effectivement marquées par la réelle percée de l’intérim dans les entreprises industrielles pour répondre à leurs besoins de flexibilité. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : entre 1977 et 2004, le nombre de travailleurs intérimaires mis chaque année au travail est passé de 24.000 à 325.000 (2). Un nombre auquel on doit encore ajouter 103.000 étudiants jobistes. Concrètement, en 2004, 10 % de la population salariée belge est passée par l'intérim. En fait, le travail intérimaire constitue un peu plus de 2 % de l’emploi salarié en équivalents temps plein.

Le profil des intérimaires a aussi évolué au fil du temps. Avec son entrée dans les entreprises industrielles, l’intérim est devenu majoritairement le fait des ouvriers et des hommes alors qu’auparavant, il s’effectuait surtout pour des tâches administratives. Aujourd’hui encore, 63 % des intérimaires sont des ouvriers et 58 % sont des hommes.

 

Les facteurs de croissance

Le succès économique du travail intérimaire s'explique par plusieurs raisons croisées.

Du côté de la demande, l’intérim remplit de plus en plus de fonctions différentes. Le secteur a pu répondre aux besoins grandissants de flexibilité des entreprises. L’intérim permet notamment aux entreprises d’affronter des périodes d’activité intense. Mais il sert aussi souvent de tampon, les intérimaires pouvant être plus facilement congédiés lorsque l’activité économique est en régression.

Par ailleurs, de plus en plus d’entreprises font appel aux agences d’intérim pour trouver des collaborateurs permanents (c’est la fonction tremplin de l’intérim) et se décharger des tâches de recrutement et de gestion administrative de leur personnel. «Tout se passe comme si l’entreprise considérait que l’embauche de ses travailleurs et collaborateurs ne faisait plus partie de son métier et refusait d’assumer la responsabilité de gérer sa politique du personnel en regard de son projet d’entreprise», accuse Andrée Debrulle, juriste à la CSC en charge des négociations paritaires dans ce secteur. «Certaines entreprises préfèrent sous-traiter cette gestion et externaliser les risques en payant le prix fort. Car il faut le souligner, le travail intérimaire coûte deux fois plus cher à l’entreprise utilisatrice que l’embauche d’un travailleur salarié en direct. Ce coût élevé explique d’ailleurs que les PME recourent très peu au travail intérimaire».

Le succès de l’intérim s’explique aussi, du côté de l’offre, par la politique commerciale et de lobbying offensive du secteur pour  augmenter ses parts de marché, d’une part en agissant sur le terrain de l’intérim lui-même et d’autre part, en confiant à l’intérim de nouvelles fonctions. En fait, le secteur s’est toujours senti à l’étroit dans le cadre légal relativement rigide de l’intérim. Voyons ces deux axes en détails.

 

Spécialisations et nouveaux champs d’activités

Au début des années 90, au moment où la croissance économique stagnait, le secteur a entamé un mouvement de spécialisation qui a stimulé la demande et a permis d’ailleurs de progresser quelque peu dans le secteur des services. Les agences se sont ainsi placées dans des niches comme les calls center, le personnel infirmier, les profils administratifs supérieurs, les cadres de plus de 50 ans…

Une autre évolution importante est la création d’agences in-house implantées dans les grandes entreprises industrielles. Ce service a boosté le recours à l’intérim dans les entreprises pratiquant déjà cette formule. Au point que certaines fonctionnent majoritairement avec du personnel intérimaire, ce qui n’est pas sans poser de questions.

L’entrée progressive de l’intérim dans de nouveaux segments du marché a aussi contribué de manière indéniable à la croissance du secteur. Après les artistes, ce sont maintenant les ouvriers de la construction, les saisonniers du secteur agricole et horticole, les étudiants et les travailleurs occupés via les titres-services qui peuvent dorénavant pousser la porte des agences d’intérim. Finalement, l’intérim est autorisé dans pratiquement tous les secteurs. Seuls la navigation intérieure et le déménagement connaissent encore une interdiction totale. De son côté, la fonction publique continue à appliquer des limitations très sévères puisque seuls les contractuels peuvent être remplacés par des travailleurs intérimaires. Mais le secteur de l’intérim revendique un assouplissement à cet égard.

 

Des services de gestion de ressources humaines

La forte croissance de son activité principale n’a pas enlevé au secteur l’envie d’aller voir au-delà des limites du travail intérimaire en développant des services axés sur les ressources humaines. Au milieu des années 90, les entreprises d’intérim ont commencé à s’intéresser à la recherche, au recrutement et à la sélection des travailleurs de même qu’à l’accompagnement du personnel licencié via l’outplacement. Elles offrent aussi du détachement de personnel pour des projets précis. Certaines proposent également des formations. Des sociétés distinctes ont été fondées et ont demandé un agrément spécifique. En 2002, les fédérations professionnelles de ces secteurs d’activité se sont d’ailleurs rassemblées en une structure commune: Ferdergon, la Fédération des partenaires de l’emploi.

 

Un partenaire de la politique de l’emploi ?

Le secteur intérimaire est reconnu par les pouvoirs publics comme acteur à part entière sur le marché du travail de par les fonctions qu’il remplit dans les faits (recrutement de personnel, tremplin vers l’emploi fixe, réponses aux besoins de flexibilité des entreprises…). L’amélioration du statut social du travailleur intérimaire a certes joué dans cette reconnaissance et partant, dans le succès du travail intérimaire.

Ce secteur se profile aujourd’hui comme partenaire dans les politiques d’emploi et d’insertion des travailleurs sans emploi. Dans le Pacte de solidarité entre les générations, il a quelque peu été entendu puisque les agences d’intérim pourront jouer un rôle actif dans la formation professionnelle individuelle en entreprise des demandeurs d’emploi. Mais tout reste à négocier avec les pouvoirs régionaux. Quant à la participation des entreprises d’intérim dans le placement et l’activation des demandeurs d’emploi, le scepticisme est de rigueur dans les rangs syndicaux. «Le travail intérimaire est certes un moyen pour beaucoup de travailleurs sans emploi de s’insérer sur le marché du travail et de trouver un emploi fixe. Mais peut-on raisonnablement confier à des entreprises à finalité commerciale le soin de replacer sur le marché du travail les demandeurs d’emploi les moins qualifiés et les plus difficiles à placer alors que ce n’est pas rentable pour elles?», s’interroge Andrée Debrulle. «Faire profiter les entreprises intérimaires des primes d’activation offertes par les pouvoirs publics ne doit se faire que sur base de garanties sérieuses. Tout cela sera discuté au sen du Conseil national du travail», ajoute-t-elle.

 

Ni ange, ni démon

Une chose est sûre en tout cas, l’intérim n’a pas fini de faire parler de lui. Comme le disent Evelyne Léonard et Armand Spineux, professeurs à l’Institut du travail à l’UCL, dans leur contribution à l’ouvrage publié par Randstad, ni ange, ni démon, le travail intérimaire cristallise les principales caractéristiques des changements en cours : il répond aux nouvelles stratégies patronales en matière de gestion des ressources humaines, il reflète les mutations du marché du travail, il concentre les traits des changements dans le travail lui-même : flexibilité, adaptabilité, employabilité, en somme une conception du travail comme parcours et non plus comme acquis. Il interroge aussi le rapport entre le service public et le secteur privé en matière de placement des demandeurs d’emploi.

Le danger d’une dualisation avec d’un côté des emplois fixes bien rémunérés (les emplois du savoir) et de l’autre des jobs flexibles mal payés (les emplois d’exécution), existe. Néanmoins, il faut constater que jusqu’ici, par le biais de la négociation collective, le travail intérimaire a évolué vers une flexibilisation régulée. La concertation sociale permet ainsi de concilier de la meilleure façon qui soit les intérêts des différents acteurs. Il faut donc continuer à faire confiance à la négociation sociale pour l’avenir.

 

 

Joëlle Delvaux

 

(1) «Plus est en vous – un demi-siècle de travail intérimaire en Belgique» - Ouvrage collectif sous la direction de Jan Denys, rédigé par 16 experts venus d’horizons différents pour faire l’état des lieux du travail intérimaire - 2005 - Ed. Randstad et LannooCampus. - Prix : 29,95 EUR.

(2) Ces chiffres ne disent rien de la durée des contrats  et périodes d’intérim. Certains sont de très courte durée.

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