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SOCIAL (15 février 2006)


 

Le modèle nordique,  “top modèle” de la Sécu en Europe ?

 

Le modèle social nordique est souvent présenté comme une issue possible aux problèmes économiques et sociaux qui se posent à de nombreux pays européens. Les pays scandinaves semblent en effet avoir réussi à combiner la sécurité de revenus souhaitée par les citoyens et la flexibilité de l'emploi demandée par les entreprises. Depuis plusieurs années, la “flexisécurité” est à la mode… A gauche comme droite! Analyse.


Contrairement à ce que l'on entend trop souvent dire, notre système de protection sociale reste élevé et compatible avec un niveau général élevé de prospérité. Comme l'indiquent Pierre Reman et Frédéric Delcor, dans un numéro récent de La Revue Nouvelle(1), la Belgique fait partie des 9 pays qui connaissent à la fois une prospérité élevée, un taux d'inégalité relativement inférieur et un taux de pauvreté relativement bas. Notre faiblesse proviendrait surtout de l'incapacité à reconvertir les régions de vieille industrialisation et de faire reculer le niveau de chômage. Par ailleurs, le modèle belge a quelque difficulté à assurer un niveau de revenu suffisant à ceux et celles qui perdent leur emploi. De manière générale, le taux de remplacement de l’ensemble des prestations sociales est en effet en régression. Le nouveau mécanisme légal de liaison au bien-être, récemment adopté par le Parlement, devrait cependant corriger cette tendance.
Malgré un bilan globalement positif, chacun sent bien monter les inquiétudes. Pourrons-nous dans l’avenir combiner sécurité de revenu et d’emploi, maintenir la solidarité qui garantit l’existence de chacun et assure la cohésion sociale depuis la fin de la guerre ?

Dans les années 90, une nouvelle notion est apparue: la flexisécurité. Elle nous vient du Nord de l'Europe (2), de ces pays qui auraient réussi à combiner la flexibilité du travail et de l’emploi avec la sécurité de revenus pour tous ceux qui travaillent. Pour beaucoup, cette notion est ambiguë. Elle est d'ailleurs aussi bien revendiquée par des défenseurs du libéralisme que par ceux qui estiment indispensable l’intervention de l’Etat dans la gestion des questions économiques et sociales! Mais, sans doute, a-t-on trop souvent tendance à opposer de manière frontale le modèle libéral - qui considère le marché comme le meilleur système de production et de répartition des richesses, tolérant un niveau élevé d'inégalités – et le modèle social-démocrate qui, précisément, s’y oppose au nom de la justice et de la solidarité. Dans les faits, les clivages sont plus subtils. Tous les pays européens sont à la recherche d'un nouveau souffle qui relancerait «l’économie sociale de marché», ce qui suppose un mix de sécurité et de prospérité. Et c'est ici que l'on cite souvent les pays nordiques, Danemark, Suède et Norvège, en parlant de "modèle scandinave" bien qu'ils recouvrent chacun des situations diverses.

Le “modèle nordique” existe-t-il vraiment?

C’est au Danemark qu’est apparue la notion de flexisécurité «inventée» par l'actuel premier ministre, Anders Rasmussen (parti de centre droit) (2). Celle-ci laisse entendre que les employeurs disposent d'une grande flexibilité pour embaucher ou licencier, mais qu'en contrepartie, les chômeurs bénéficient d'une haute protection et d'un encadrement qui doit favoriser leur retour au travail afin d’éviter qu’ils ne tombent dans des situations précaires. La politique d'activation, qui propose des formations aux travailleurs qui en ont besoin pour retrouver un emploi, est soutenue généreusement, au moins pendant 4 ans, pour autant que les chômeurs se conforment à leurs engagements. Cela coûte cher au Danemark, mais cela est accepté par la majorité de la population.
Lorsqu'on parle du modèle nordique, on évoque aussi souvent la Suède pour son système égalitariste, une importante redistribution des revenus et un niveau de vie élevé. Mais ce modèle est-il encore d'actualité? La Suède n'a-t-elle pas eu, elle aussi, à affronter les conséquences de la mondialisation et la montée du chômage, comme les autres pays européens?

De fait, le modèle social idéalisé de la Suède est encore pour beaucoup celui des années soixante/septante où le pays était en tête des pays en revenu par habitant, explique Olivier Servais dans La Revue Nouvelle (3). La société suédoise fonctionnait selon un compromis sur lequel les grandes forces sociétales s'étaient entendues. Les entreprises privées produisaient les richesses. L'Etat veillait à la redistribution, gérait l'éducation, la santé, les retraites… Quant aux syndicats, qui rassemblaient 85% des salariés, ils avaient renoncé à la lutte des classes et géraient les relations sociales. Les Eglises (luthériennes) enfin veillaient à la moralité de cette société qui ne connaissait guère la violence, le vol ou la corruption.
Mais, au début des années 90, la Suède doit faire face aux problèmes que connaissent tous les autres pays d'Europe. Des grandes sociétés, comme Volvo et Saab, passent sous contrôle étranger. Le chômage monte de 2 à 10%. L'institution scolaire et la santé se dégradent. Le travail au noir apparaît. Les inégalités croissent. Avec les libéraux qui arrivent au pouvoir, "la stratégie du renouveau" est marquée par l'ouverture à la compétition, l'effort d'innovation pour les universités et la recherche. L'Etat reste fort, mais se transforme. En principe, l'essentiel est sauf: l'économie reste privée; les services publics sont financés par l'impôt; l'Etat reste modeste, mais, malgré le retour au pouvoir des social-démocrates de 1993 à 2006, le modèle suédois a changé: "
Selon que l'on regarde le modèle suédois sous l'angle des principes ou celui de la gestion, il apparaît social-démocrate ou libéral."

La Suède semble toutefois douter de "son" modèle, écrivent Anders Nilsson et Ôrjan Nyström (4) devant l'accentuation des inégalités salariales. Si celles-ci "s'accroissent de façon notable et durable, le modèle entrera tôt ou tard en crise : la logique universelle à l'œuvre dans les systèmes de redistribution – une même qualité de service pour tous – ne parviendra plus à satisfaire la surplus de demande de ceux qui ont vu leurs revenus augmenter"…ce qui alimentera leur insatisfaction et diminuera leur seuil de tolérance à des impôts élevés "et incitera les individus à compléter le système commun avec des solutions privées." Mais alors, on ne pourra plus parler simplement de réforme, mais de changement profond de l'Etat social.
Enfin, quand on évoque la Finlande, on pense à l'entreprise Nokia, symbole du développement des technologies de l'information et de la communication. On peut dire que c'est le résultat d'une politique voulue et réfléchie de longue date. La Finlande est aussi le pays où la santé est proportionnellement la moins coûteuse. Le modèle finlandais est "un système étatique coopératif avec une liaison forte avec l'industrie, des stratégies de long terme, une action très réfléchie de l'Etat qui soutient ces dynamiques et des efforts en matière de recherche tant privée que publique au-delà des 3% de l'objectif européen de Lisbonne." (3)


La cohérence sociale, moteur de la réussite

Il serait donc imprudent, écrit Olivier Servais(3), de parler d’un «modèle nordique» alors que chaque pays poursuit une stratégie nationale. Cela dit, constate La Revue Nouvelle, lorsque l'on place ces pays les uns à côté des autres, "les indicateurs comparatifs [les] situent (…) bien souvent en pointe en matière d'égalité, de lutte contre la pauvreté et de performances économiques…Ce sont aussi dans ces pays que les inégalités entre les hommes et les femmes sont les plus faibles du monde et que la proportion de personnes vivant sous le seuil de pauvreté est la plus basse."
Les pays nordiques semblent avoir démontré qu'il est possible de conjuguer l’efficacité économique avec une haute exigence de justice sociale et d'égalité et que la mondialisation, qui pèse là comme ailleurs, n'a pas supprimé toute marge de manœuvre. Mais, comme le dit Jean-Claude Barbier (2), la flexisécurité ne se réduit pas à quelques effets mécaniques de «donnant-donnant» entre plus de flexibilité pour l’emploi en échange d’une couverture élevée et durable de l’assurance-chômage ainsi que des politiques actives du marché du travail.

Ces solutions ne sont sûrement pas transposables telles qu’elles dans nos pays pour des raisons géographiques, démographiques ou par manque de ressources naturelles. Mais surtout parce que ces pays ont développé un «esprit civique» qui assure depuis un siècle la cohérence sociale de la société et qui facilite aujourd’hui sa capacité d’adaptation. Cette cohérence s’appuie sur des institutions collectives fondées sur des valeurs telles que l’universalisme, la solidarité, l’égalité et le pragmatisme, qui ne sont pas «tombées du ciel» ou liées à quelque «tempérament nordique», mais réalisées grâce aux actions individuelles et collectives menées depuis la fin du XIXe siècle, dans la manière de résoudre les conflits sociaux. Encore faut-il ne pas douter de ces valeurs !

La social-démocratie nordique a sans doute encore de beaux jours devant elle. Elle démontre que nous ne sommes pas obligés de nous convertir au capitalisme anglo-saxon, comme le voudraient les néolibéraux les plus acharnés. Mais cela suppose une forte implication des partenaires sociaux, une nouvelle philosophie du travail basée sur ce concept de flexisecurité, une politique de formation et d'éducation qui ne tolère que de faibles inégalités entre catégories sociales


Christian Van Rompaey
 

 

(1) Sécurité sociale: le miroir nordique. La Revue Nouvelle. Décembre 2006 (10 euros).
Les articles de ce dossier sont issus d'un colloque organisé le 9 juin 2006 par la chaire Max Bastin, la FOPES (Faculté ouverte de politique économique et sociale), l'Institut Emile Vandervelde et l'Observatoire social européen.
Plus d’informations: La Revue Nouvelle - Mensuel politique et social - Boulevard Général Jacques 126, 1050 Bruxelles - Abonnement : 85 EUR - Chômeurs et moins de 30 ans: 60 EUR
Tél./fax: 02/640.31.07 - joelle.kwaschin@euronet.be
(2) Au-delà de la flex-sécurité, une cohérence solidaire au Danemark par Jean-Claude Barbier. Dans Repenser la solidarité. L’apport des sciences sociales. Sous la direction de Serge Paugam. Collection Le lien social. P.U.F. 2007 (+/-50 euros).
(3) Le «modèle scandinave: un concept problématique». Olivier Servais. La Revue Nouvelle, décembre 2006.
(4) Quand la Suède doute de son modèle. La république des idées (Revue mensuelle). Septembre 2006 (8,29 euros).


 

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