Social
(5 février 2009)
Médecin-conseil de la Mutualité,
une fonction
mal connue
Lorsqu’on
parle du médecin-conseil de la mutualité, bien des personnes – et même des
professionnels de la santé – pensent uniquement au “contrôle”. Contrôle de
l’incapacité de travail, contrôle du remboursement de certains soins ou
médicaments. C’est méconnaître le rôle d’accompagnement et de conseils que
joue également le médecin-conseil. Un rôle qui sera accru à l’avenir, comme
le prévoit une loi récente qui officialise les bonnes pratiques de terrain.
Grâce à son expertise médico-sociale,
le médecin-conseil est bien placé pour accompagner
les assurés sociaux.
"Les personnes que nous convoquons
la première fois lorsqu’elles sont en incapacité de travail arrivent très
souvent avec une appréhension et un a priori défavorable comme si on allait
les punir», convient le Dr Philippe Debaene, médecin-conseil
principal à la Mutualité St-Michel et à la Mutualité chrétienne du Brabant
wallon. «C’est
clair qu’elles n’ont pas demandé à nous voir et sont méfiantes. Mais nous ne
sommes pas des procureurs qui voyons les gens comme des profiteurs, avec
l’obsession de les remettre au travail le plus vite possible. En général, le
premier contact établi, s’instaure un climat de confiance. Nous tentons de
comprendre au mieux la situation médico-sociale de la personne et de voir
si son état de santé va s’arranger médicalement à moyen terme. On doit
toujours se projeter dans l’avenir avec un objectif de réinsertion
socio-professionnelle. Mais celle-ci n’est pas toujours possible. Notre
métier demande beaucoup de psychologie humaine, de bon sens aussi».
On pourrait ajouter à ces qualités la capacité d’écoute, la
diplomatie, le sens de la concertation et la connaissance de la réalité
sociale et professionnelle .
Geneviève Monville,
médecin-conseil principal à la Mutualité chrétienne de Liège et à celle de
Verviers et d’Eupen, partage ce point de vue et ajoute:
«Notre travail est
complexe car nous savons bien que l’incapacité de travail n’est pas que
maladie et peut aussi être révélatrice d’un malaise profond au travail ou
dans la vie. Nous voyons apparaître de plus en plus de pathologies liées au
stress, à l’épuisement professionnel, au harcèlement moral, à la dépression.
Nous sommes aussi davantage confrontés à des maladies graves et longues,
associées à la précarité sociale, aux toxicomanies, aux problèmes
psychiatriques lourds aussi».
L’incapacité
de travail
sous la loupe
L’évaluation de l’incapacité de travail des affiliés est une des missions
importantes du médecin-conseil de mutualité. Et certainement celle où son
expertise médico-sociale s’exprime pleinement.
«Notre métier est un passionnant observatoire social. Jamais je n’aurais été
confronté à une si grande variété de pathologies et de situations
médico-sociales en restant médecin généraliste toute ma carrière»,
assure Philippe Debaene qui reconnaît aimer pratiquer cette forme de
médecine intellectuelle et sociale sans argent, offrant par ailleurs une
qualité de vie possible grâce à des horaires de travail réguliers.
Notre métier demande
beaucoup de psychologie humaine, de bon sens aussi. |
En incapacité de travail, chaque
situation est appréhendée de manière individuelle, même s’il existe un fil
conducteur et des étapes importantes à respecter.
Ainsi, le travailleur qui a
déclaré son incapacité de travail à sa mutualité sera d’abord convoqué une
première fois afin de vérifier s’il remplit les conditions légales pour
obtenir une indemnité. A cette occasion, le médecin-conseil prend
connaissance des documents médicaux et examine lui-même le malade. Il évalue
aussi les répercussions de la pathologie sur le travail et la vie
quotidienne du patient.
Après le premier examen de
contrôle, s’il a reconnu la personne comme étant dans l’incapacité de
travailler, le médecin-conseil suit l’évolution de la maladie et, donc,
planifie de nouvelles consultations, de manière la plus judicieuse possible.
«En principe, on
convoque le patient à une date où la reprise du travail est plausible. Cela
ne sert à rien de faire déplacer inutilement les gens”, précise
Philippe Debaene.
“On tient compte bien sûr de la pathologie et du profil de la personne. Par
exemple, je convoquerai plus rapidement un jeune de 21 ans qui a déjà eu
trois incapacités de travail en quelques mois qu’un travailleur qui n’est
jamais absent du travail et a une grippe»
Afin d’obtenir un maximum
d’informations, le médecin-conseil prend contact avec le médecin traitant,
le médecin spécialiste ou le médecin du travail. Les médecins apprécient
généralement cette démarche. Parfois, le généraliste confirme alors qu’il ne
dispose effectivement plus d’éléments médicaux probants pour prolonger une
incapacité de travail qui serait indemnisée par l’assurance soins de santé.
Durant les six premiers mois
d’incapacité de travail, le médecin-conseil évalue surtout la façon dont la
maladie permet ou non à la personne de continuer à exercer son dernier
métier. Mais à partir du sixième mois d’incapacité, la loi l’oblige à tenir
compte de toutes les professions que pourrait exercer l’intéressé. Par
exemple, une infirmière qui ne peut plus exercer à domicile en raison de
graves problèmes de dos pourrait être reclassée dans d’autres secteurs de
soins moins lourds, voire dans des tâches plus administratives.
«On se trouve parfois
confrontés à des situations très difficiles»,
témoigne Geneviève
Monville. «C’est
tout le drame des personnes non qualifiées pour lesquelles il y a peu de
boulot disponible dans certaines régions. A l’inverse, certains travailleurs
sont hyper-qualifiés dans un secteur très pointu et n’ont jamais eu d’autre
expérience professionnelle qui leur permettrait de trouver un autre emploi.
On peut évidemment envisager alors une réadaptation professionnelle mais ce
n’est pas toujours évident».
A la fin de la première année
d’incapacité, le médecin-conseil doit envoyer un rapport médical au Conseil
Médical de l’Invalidité à l’INAMI. Ce rapport comporte un volet évaluation
et un volet proposition quant à la durée de l’invalidité, aux perspectives
de réinsertion… In fine, après explications complémentaires éventuelles ou
convocation de la personne devant un collège de trois médecins, c’est ce
Conseil Médical qui prend la décision d’accepter ou de modifier la
proposition du médecin-conseil. Précisons que l’assuré social peut
introduire un recours contre une décision de fin de reconnaissance de
l’incapacité de travail (ou toute décision du médecin-conseil de la
mutualité d’ailleurs) auprès du tribunal de travail.
Lorsque la personne entre en
invalidité, le médecin-conseil poursuit son rôle de conseiller et
d’accompagnateur. Il peut examiner avec elle les possibilités de reprise
partielle de travail autorisée, de reprise de travail adapté, de
réadaptation professionnelle, d’engagement bénévole… Il peut aussi décider
de mettre fin à une incapacité si de nouveaux éléments lui sont transmis et
montrent une évolution favorable de l’état de santé.
Des
autorisations en soins de santé
Le deuxième
grand volet des missions du médecin-conseil concerne les remboursements des
soins de santé par l’assurance soins de santé obligatoire.
L’incapacité de travail peut être révélatrice
d’un malaise profond au travail ou dans la vie.
Le coût des
soins aux personnes ne cesse de croître mais le budget de la sécurité
sociale consacré aux dépenses de santé n’est pas illimité. C’est pourquoi
les ministres successifs et l’INAMI ont établi des règles et des critères
toujours plus restrictifs pour que le remboursement de certaines prestations
ne soit accordé qu’aux personnes pour lesquelles leur efficacité a été
clairement démontrée. La liste de ces prestations est longue : médicaments
délivrés sous certaines conditions, remboursement majoré des frais de
kinésithérapie en cas d’affections particulières, traitements de logopédie,
certaines prestations de rééducation fonctionnelle, voiturettes,
appareillages, chaussures orthopédiques, prothèses dentaires, orthodontie,
soins infirmiers à domicile ou en maison de repos pour les personnes âgées …
Le temps de travail
que consacrent les médecins-conseils aux autorisations en soins de
santé est de plus en plus volumineux. |
C’est le
médecin-conseil qui doit apprécier si les conditions médicales et
administratives règlementaires sont bien remplies. Il le fait sur base des
données fournies par le prestataire de soins qui signe la demande
d’intervention. Lors de la collecte d’informations et pour certaines tâches
de contrôle, le médecin-conseil peut se faire aider et assister par
différents auxiliaires tels que des infirmiers, des logopèdes...
«Au fil des années,
ces procédures d’autorisations se sont multipliées, notamment dans le
secteur des médicaments car beaucoup sont très coûteux,
précise
Geneviève Monville.
Cette situation n’est pas de nature à revaloriser notre image auprès des
prestataires de soins. Nos confrères nous estiment tatillons et nous
accusent de prendre des décisions arbitraires sans rien connaître. Nous nous
basons pourtant sur leur avis, et les autorisations que nous accordons sont
basées exclusivement sur la conformité des exigences et critères légaux liés
au remboursement. Par ailleurs, nous sommes obligés de répondre dans des
délais donnés».
En ce qui
concerne l’autorisation de remboursement de médicaments, la situation est
particulièrement délicate.
«Nous devons
aussi contrôler qu’un certain nombre de critères sont respectés. Quand ils
ne le sont pas – comme c’est le cas pour certains traitements oncologiques
lourds et coûteux – refuser un remboursement est particulièrement pénible»,
avoue Philippe Debaene.
«On essaye alors de
voir si le Fonds de solidarité de l’assurance obligatoire ne peut pas
intervenir ou celui de la Mutualité chrétienne, créé dans le cadre de
l’assurance complémentaire. Mais je vous assure que sur le terrain, toute la
charge émotionnelle liée à ces questions n’est pas facile à gérer».
On l’aura
bien compris, le temps de travail que consacrent les médecins-conseils aux
autorisations en soins de santé est donc de plus en plus volumineux, grevant
inévitablement le temps consacré aux rencontres avec les patients, aux
contacts avec des confrères, des collaborateurs ou des partenaires…
Sans compter
que les médecins-conseils ont encore de nombreuses autres tâches à assumer:
ils participent en étroite collaboration avec le département juridique aux
expertises médicales lorsqu’une incapacité de travail est consécutive à un
accident avec tiers responsable ou de travail, ils donnent leur avis sur des
dossiers individuels et des services en assurance complémentaire
(convalescence, orthodontie, frais d’hospitalisation, etc)… Ils sont aussi à
la disposition des patients et de leur médecin traitant qui souhaitent des
conseils utiles par rapport à une maladie, à son traitement et aux
conditions de remboursement de celui-ci.
Le
médecin-conseil a donc une activité professionnelle qui va bien au-delà des
contrôles. Celle-ci est bien remplie, variée et riche de contacts.
Joëlle
Delvaux
Une
revalorisation
attendue
Le
médecin-conseil remplit une mission-clé dans la bonne application de
l’assurance soins de santé et indemnités, garant d’un système de solidarité
juste. Cependant, ce métier s’est dévalorisé ces vingt dernières années.
«D’une part, en
soins de santé, de nombreux contrôles sans plus-value médicale surchargent
le médecin-conseil et dénaturent sa fonction,
explique le Dr Yves
Van houte, médecin-directeur de l’Alliance nationale des Mutualités
chrétiennes.
Ainsi par exemple, les critères de remboursement d’ordre purement
administratif ne requièrent pas l’intervention du médecin-conseil. De même,
le contrôle de la répétition de certaines prestations dans un laps de temps
bien précis peut être confié à des personnes de son service, bien entendu
sous sa responsabilité finale», plaide-t-il.
La loi actualise les missions des
médecins-conseils. |
«D’autre part,
l’amélioration des conditions de travail et la revalorisation financière des
médecins généralistes ont creusé le fossé entre la médecine générale et la
fonction de médecin-conseil».
Forte de ce constat, la Mutualité
chrétienne a initié, il y a quelques années déjà, une réflexion de fond sur
la fonction de médecin-conseil. Le Dr Van houte résume:
«Les
contrôles en soins de santé restent nécessaires bien entendu mais les
médecins-conseils doivent pouvoir davantage les déléguer lorsqu’il n’y a pas
de plus-value médicale. Il faut surtout et impérativement renforcer la
fonction de conseil au cœur de ce métier: conseil et information aux
membres, mais aussi aux dispensateurs de soins sur l’application correcte
des règlements, sur la nomenclature… Conseils encore et interpellations des
mutualités et des pouvoirs publics sur les failles ou lacunes du système,
sur des mesures à prendre... grâce à leur connaissance de la réalité
sociale. Enfin, les médecins-conseils doivent pouvoir contribuer à
l’évaluation de l’utilisation optimale des ressources de l’assurance soins
de santé».
Une loi importante
Cette réflexion a servi de base à
la réforme de la fonction de médecin-conseil coulée dans une loi parue au
Moniteur belge le 31 décembre dernier, après de nombreux mois de discussions
(1).
Ainsi, la loi entend rendre
cette fonction plus attrayante (2) et actualise les
missions des médecins-conseils. Elle intègre de manière explicite la mission
de conseil et d’information à l’égard des assurés sociaux, des dispensateurs
de soins et de l’Autorité. Elle garantit que le médecin-conseil dispose d’un
soutien paramédical et administratif composé d’auxiliaires qui l’assistent
dans une série de tâches de contrôle. Last but not least, elle prévoit d’une
part une revalorisation financière pour les médecins-conseils et d’autre
part l’accès au système de l’Accréditation.
Ces changements doivent encore
être concrétisés sur le terrain et il est encore trop tôt pour en mesurer
toute la portée. Mais cette loi constitue clairement une étape décisive sur
le chemin de la revalorisation du métier.
JD
(1) Loi du 19
décembre 2008 portant des dispositions divers en matière de santé. MB du 31
décembre 2008 – Edition 3 (p 69.326 à 69.329).
(2)
Actuellement, le nombre de médecins-conseils à la Mutualité chrétienne
s’élève à un peu plus de 100. L’ensemble des organismes assureurs emploient
quelque 280 médecins-conseils (équivalent temps plein) dont environ 40% sont
âgés de plus de 50 ans. Au cours des prochaines années, il faudra faire un
effort important pour réaliser les remplacements nécessaires.
Les
contrôles
médicaux
Lorsque l’on se trouve en incapacité de travail ou que l’on a été victime
d’un accident avec tiers responsable, on peut être confronté au contrôle
médical. Un concept qui recouvre des activités et fonctions médicales
différentes qu’il faut bien identifier pour éviter tout malentendu.
■
Le médecin-conseil de la mutualité a, parmi ses missions légales,
celle de vérifier les conditions médicales qui permettent aux affiliés en
incapacité de travail de bénéficier d’une indemnité (voir ci-contre). Le
médecin-conseil prend ses décisions de manière indépendante sans devoir
consulter l’administration ni se justifier auprès de la direction de la
mutualité. Les éléments de son dossier médical sont strictement
confidentiels .
Pour les agents nommés
du secteur public, c’est le service de santé administratif qui assure cette
mission.
■
Le médecin-contrôleur patronal
est chargé de
vérifier si l’état de santé du travailleur justifie son absence au travail.
Ce contrôle est effectué à la demande de l’employeur - souvent via un
service de contrôle médical indépendant - durant la période du salaire
garanti (un mois pour les employés et quinze jours pour les ouvriers). En
d’autres termes, le médecin-contrôleur détermine si le salaire garanti peut
être payé par l’employeur.
Dans le secteur public,
pour les agents nommés uniquement, cette mission est confiée au service de
santé administratif qui peut sous-traiter le contrôle à des médecins payés à
l’acte.
■
Le médecin conseil des assurances
intervient en cas
d’accident de travail ou d’accident de droit commun avec tiers responsable.
A la grande différence du médecin-conseil de mutualité, il n’a pas de
pouvoir de décision mais un rôle d’avis, de conseil vis-à-vis de la
compagnie d’assurances. Il n’a pas non plus de statut offrant la garantie du
secret médical partagé et l’indépendance par rapport à son mandant. Le
médecin conseil peut facilement être révoqué par la compagnie d’assurances
avec laquelle il a signé un contrat de prestations.
En cas d’accident du
travail, le médecin conseil des assurances joue le même rôle que le
médecin-conseil de la mutualité sauf que c’est l’assureur qui signifie la
fin de l’incapacité de travail à la personne.
En cas d’accident de
droit commun, le médecin conseil des assurances n’interfère pas dans le
cours de l’incapacité de travail (ceci est du ressort du médecin-conseil de
la mutualité ou du service de santé administratif). Il n’intervient qu’a
posteriori, pour estimer la consolidation ou évaluer les dommages en
incapacité et coûts en soins de santé.
Le médecin conseil des
assurances intervient également dans un troisième cas de figure : pour les
indépendants ayant contracté une assurance avec revenu garanti en cas
d’incapacité de travail. Son rôle consiste à vérifier la bonne application
du contrat.
■ Le
médecin conseil de victimes
(médecin de recours) est celui qui intervient en faveur de la victime en cas
de discussion par rapport à une décision d’indemnisation. Il peut s’agir du
médecin traitant de la victime ou d’un médecin qui possède une compétence
dans le domaine de l’expertise et une connaissance de la législation. Ce
médecin peut être désigné par le syndicat (s’il s’agit d’un accident de
travail et que la victime est syndiquée) ou par la compagnie d’assurances à
laquelle la personne a contracté une assistance juridique. A noter que le
médecin-conseil de la mutualité peut également donner conseils et avis dans
ce type de situation.
■ Le
médecin du travail
n’a pas de compétence particulière en ce qui concerne l’incapacité de
travail si ce n’est qu’il peut être consulté par le travailleur ou le
médecin-conseil de la mutualité pour donner son avis sur l’adéquation de la
reprise du travail de la personne à son poste habituel ou pour apporter, au
sein de l’entreprise, une aide à la réinsertion, notamment en poste adapté.
JD
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